Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 septembre 2020, M. A... demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa demande d'expertise ;
3) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le premier juge ne pouvait lui faire grief de n'apporter aucun élément de nature à démontrer une négligence dans l'administration des soins alors que sa situation de détenu ne lui permettait pas de recueillir des témoignages et que l'expertise avait précisément pour objet d'établir les faits reprochés ;
- il a souffert pendant 17 jours de fièvre, fortes quintes de toux, violentes douleurs thoraciques et abdominales, difficultés respiratoires, et l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire s'est bornée à diagnostiquer une simple grippe sur la base de seuls relevés de température ; il accusait pourtant une importante perte de poids, présentait une notable hémoptysie et baignait quasi-quotidiennement dans son urine et ses excréments ; le personnel pénitentiaire a tardé à prendre ses alertes au sérieux et à le transférer au CHU où il a été soigné 10 jours pour une infection pulmonaire qui aurait pu lui être fatale ; la circonstance relevée par le premier juge qu'il aurait été vu 19 fois par un médecin ou un membre de l'unité médicale de l'établissement n'est pas de nature à établir que les soins reçus auraient été appropriés à son état de santé et de même qualité qu'à l'égard d'un individu libre, ce que l'expertise doit rechercher ;
- les faits sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat et l'expertise est utile.
Par un mémoire enregistré le 6 octobre 2020, le CHU de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et subsidiairement à ce que la mission de l'expert soit précisée et que les frais soient mis à la charge de M. A....
Il soutient que M. A... n'apporte aucun élément nouveau en appel, alors qu'il avait la possibilité de solliciter son dossier médical préalablement ; il ne décrit pas les conditions de sa prise en charge par le CHU, et aucune faute n'apparaît imputable à celui-ci.
Par un courrier du 7 décembre 2020, la Caisse primaire d'assurance maladie du Tarn indique ne pas être en mesure de chiffrer sa créance.
La requête a été communiquée au garde des sceaux, qui n'a pas produit d'observations en appel.
La présidente de la cour a désigné, par une décision du 1er décembre 2020, Mme Catherine Girault, président de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
1. M. A..., incarcéré au centre pénitentiaire de Baie-Mahault du 3 novembre 2018 au 12 septembre 2019, s'est plaint de la mauvaise qualité des soins qu'il aurait reçus pendant la période du 1er mars au 1er mai 2019. Sa demande d'expertise a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe aux motifs qu'il n'apportait aucun élément à l'appui de ses allégations de négligence, et qu'il a été vu en consultation médicale à 19 reprises entre son incarcération au centre pénitentiaire de Baie-Mahault le 8 novembre 2018 et son transfèrement dans un autre établissement en métropole le 12 septembre 2019, et notamment à six reprises durant la période litigieuse des mois de mars et d'avril 2019, au cours de laquelle il se plaint de ne pas avoir été pris en charge médicalement. Il relève appel de cette ordonnance.
Sur l'utilité de l'expertise :
2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription. De même, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne.
3. En premier lieu, au regard de la situation de vulnérabilité particulière d'un détenu et de l'objet de l'expertise sollicitée, destinée à évaluer si le comportement de l'administration et du centre de soins auquel le centre pénitentiaire était rattaché lui a permis de bénéficier des soins appropriés à son état de santé, le premier juge ne pouvait opposer à l'intéressé l'absence d'éléments autres que ses propres allégations de négligence à son égard. En second lieu, le nombre de consultations médicales durant la période de deux mois litigieuse, fût-il élevé à six, n'était pas davantage de nature à établir à lui seul l'efficacité de sa prise en charge, alors que l'intéressé indique que lors de son hospitalisation les médecins qui l'ont vu ont précisé qu'il n'aurait pas survécu à une pathologie pulmonaire aigue s'il était resté incarcéré. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a dénié toute utilité à l'expertise demandée.
4. Il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée et, statuant par l'effet dévolutif de l'appel, d'ordonner l'expertise dans les conditions fixées ci-après, au contradictoire tant du CH de Pointe-à-Pitre-Les Abymes que de l'Etat, dès lors que la circonstance qu'en vertu du code de la santé publique, le service public hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie réglementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire n'exonère pas l'Etat du devoir de suivre avec attention l'état de santé des détenus.
5. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. A... présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Les conclusions du CHU de Pointe-à Pitre ne peuvent qu'être rejetées
ORDONNE :
Article 1er : M. B... C..., expert en pneumologie exerçant à l'Institut Médico légal, 12 avenue Rockfeller 69008 LYON 08, est désigné pour réaliser une expertise aux fins de :
1. Se faire communiquer le dossier médical de M. A..., ainsi que les éléments de son dossier pénitentiaire afférents aux signalements qu'il aurait pu effectuer aux surveillants, et tous documents relatifs à l'état de santé du détenu entre le 1er mars 2019 et le 1er mai 2019 ;
2. Entendre M. A..., l'examiner, prendre connaissance de toutes autres pathologies antérieures ou postérieures à l'épisode de 2019. Le cas échéant et s'il l'estime utile, entendre tout membre du personnel du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et du Centre Hospitalier Universitaire Pointe-à-Pitre/Les Abymes en contact avec le requérant entre le 1er mars 2019 et le 1er mai 2019 ;
3. Décrire en détail les conditions de la survenance d'une infection, les symptômes notés, les demandes de l'administration pénitentiaire au service de santé et les soins prodigués. Indiquer si les soins reçus par M. A... au centre pénitentiaire de Baie-Mahault entre le 1er mars 2019 et le 1er mai 2019 ont été conformes aux règles et usages, diligents et adaptés à son état ;;
4. Rechercher si les soins, traitements et interventions prodigués par les médecins et/ou l' établissement de santé, tant au titre de l'établissement du diagnostic, le choix de la thérapie, la réalisation des soins, qu'au titre du suivi et de la surveillance ont été pleinement justifiés par l'état du patient, parfaitement adaptés au traitement de son état, et conformes aux données acquises de la science et de la pratique médicale au jour des faits ;
5. Dans la négative analyser de façon détaillée et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précautions nécessaires, négligences, maladresses ou autres défaillances fautives notamment au niveau de l'établissement du diagnostic, du choix de la thérapie, des soins, de la surveillance ; préciser à qui elles sont imputables ;
6. Déterminer la nature des préjudices subis, en quantifiant le cas échéant sur une échelle de 1 à 7 les souffrances supplémentaires, physiques et psychiques, résultant d'un retard de soins, préciser la durée de ce retard et l'incapacité qui en est résultée, en distinguant éventuellement avant et après consolidation. Dire s'ils sont directement imputables à un acte de prévention de diagnostic ou de soins, y compris une abstention, ou résultent de l'évolution normale de la pathologie initiale. Dire quelles sont les causes possibles de ce dommage et indiquer le cas échéant si d'autres pathologies ou une infection nosocomiale ont pu interférer sur les événements qui en sont à l'origine. Préciser si l'état de la victime en lien avec l'infection pulmonaire en cause est susceptible de modification en aggravation ou en amélioration ;
7. D'une manière générale fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités encourues au regard des préjudices subis, le lien de causalité entre ces diverses lésions et séquelles et les fautes ou négligences commises, et les parts éventuellement imputables à l'administration pénitentiaire et aux intervenants du CHU.
Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 3 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 4 : L'expertise aura lieu en présence de M. A..., du garde des sceaux, ministre de la justice, du CHU de Pointre-à-Pitre-Les Abymes et de la CPAM du Tarn.
Article 5 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert déposera son rapport au greffe en format dématérialisé dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 7 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.
Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D... A..., au garde des sceaux, ministre de la justice, au CHU de Pointre-à-Pitre-Les Abymes et aux CPAM du Tarn et de Guadeloupe . Copie en sera adressée au directeur du centre pénitentiaire de Baie Mahault.
Fait à Bordeaux, le 7 janvier 2021.
Le juge d'appel des référés,
Catherine Girault,
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance
N° 20BX03033 2