Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 avril et 10 septembre 2018, le centre hospitalier universitaire de La Martinique (CHUM), représenté par MeI..., demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 5 avril 2018 du juge des référés du tribunal administratif de La Martinique ;
2°) de rejeter la demande des consorts E...ainsi que leurs conclusions d'appel incident ;
3°) de mettre à la charge des consorts E...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que Roland E...devait être indemnisé du préjudice moral que lui aurait causé un défaut d'information quant aux conséquences de l'angioplastie concernée ;
- ainsi, cette intervention est intervenue dans un contexte de semi-urgence et Roland E...ne pouvait s'y soustraire sans mettre en jeu son pronostic vital ;
- par ailleurs, le retard de prise en charge ne pouvait, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, donner lieu à une indemnisation d'un préjudice moral, qui n'était pas demandée, de plus, et contrairement à ce que soutiennent les intimés, la création d'une nouvelle fistule n'aurait pas réduit le délai de prise en charge ;
- en tout état de cause, ce retard n'est pas établi et n'a causé aucun préjudice à RolandE... ;
- enfin, aucune faute n'a été commise, les experts s'orientant plutôt vers un aléa thérapeutique.
Par trois mémoires, enregistrés les 10 et 21 juin et le 1er octobre 2018, Mmes F...L..., veuveE..., et J...E...et M. B...E..., représentés par Me G...A..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelant le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative. Ils demandent, en outre, à la cour, par la voie de l'appel incident :
1°) à titre principal, que le CHUM soit condamné à leur verser, à titre de provision et en tant qu'ayants droit de RolandE..., décédé le 13 septembre 2018, la somme totale de 53 854 euros, et à verser à Mme F...E..., à titre de provision, la somme de 5 000 euros ;
2°) à titre subsidiaire, la confirmation de l'ordonnance attaquée ;
3°) à titre encore plus subsidiaire, que l'ONIAM garantisse le CHUM contre les éventuelles condamnations supplémentaires qui pourraient être prononcées.
Ils soutiennent que :
- le consentement éclairé de Roland E...n'a pas été recueilli, aucune information ne lui ayant été donnée quant à l'intervention qui a été pratiquée, occasionnant ainsi une perte de chance de se soustraire aux risques inhérents à celle-ci ;
- cette intervention ne présentait pas un caractère d'urgence ;
- le retard de deux jours et demi dans sa prise en charge lui a causé un préjudice moral ;
- une faute a bel et bien été commise par le CHUM en ne pratiquant pas plus précocement la thrombectomie de la fistule ou en remplaçant celle-ci ;
- le déficit fonctionnel temporaire qu'a subi Roland E...doit être indemnisé par l'allocation d'une provision de 13 150 euros ;
- les souffrances, évaluées à 3,5 sur 7, seront réparées par une provision de 7 000 euros ;
- le préjudice esthétique, évalué à 4,5 sur 7, donnera lieu à une indemnisation provisionnelle de 12 000 euros ;
- les frais d'assistance par une tierce personne s'élèvent à la somme de 11 704 euros, au paiement de laquelle le CHUM sera condamné à titre provisionnel ;
- le préjudice moral du de cujus doit conduire à allouer une indemnité provisionnelle de 10 000 euros et celui subi, par ricochet, par sa veuve, à accorder une provision de 5 000 euros à cette dernière ;
- contrairement à ce que soutient l'ONIAM, une nouvelle expertise ne présenterait pas un caractère utile.
Par deux mémoires, enregistrés le 11 juin et le 6 juillet 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeC..., conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient que :
- les conditions de mise en oeuvre de la solidarité nationale ne sont pas réunies, eu égard à l'existence de fautes commises par le CHUM ainsi qu'en raison de ce que les seuils de gravité et d'anormalité des préjudices n'ont pas été atteints ;
- aucune condamnation ne saurait être prononcée à son encontre en l'absence d'organisation d'une expertise au contradictoire de toutes les parties.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
-le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné M. H...en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. RolandE..., qui était, notamment, insuffisant rénal et, à ce titre, dialysé à raison de trois séances par semaine, a fait l'objet d'une fistulographie de contrôle, le 22 septembre 2015, qui a mis en évidence une sténose significative au niveau de la jonction de la veine céphalique et sous-clavière. Alors qu'une angioplastie de dilatation avait été prévue le 20 octobre 2015, il a présenté une thrombose de sa fistule de dialyse, entre le 22 et le 25 septembre 2015. Il a ensuite été admis aux urgences chirurgicales du centre hospitalier universitaire de La Martinique (CHUM) le 5 octobre 2015 et une thrombectomie de cette fistule a été pratiquée au cours d'une intervention réalisée le 7 octobre 2015. Cependant, l'évolution du patient s'est caractérisée, dans les suites opératoires immédiates, par l'apparition d'une paralysie médio-cubitale totale de la main gauche.
2. Saisie par les soins de RolandE..., le 5 juillet 2016, la commission interrégionale de Guadeloupe et Martinique de conciliation et d'indemnisation (CIGMCI) a désigné deux experts, l'un spécialisé en neurologie et l'autre en chirurgie cardiovasculaire et thoracique, lesquels ont conclu à l'existence d'un lien entre la paralysie de la main gauche et une atteinte tronculaire des nerfs médian et cubital gauches survenue au cours de l'intervention du 7 octobre 2015. La commission précitée a conclu, à travers son avis du 11 avril 2017, à l'existence d'un lien de causalité directe entre la paralysie et le geste opératoire, tout en relevant également une prise en charge tardive et un défaut d'information imputable au CHUM. Néanmoins, la demande de Roland E...a été rejetée, en l'absence de consolidation de son état de santé, mais était susceptible d'être réexaminée, à la suite d'une nouvelle saisine de la commission intervenant après production d'un certificat médical de consolidation, et à l'issue d'une nouvelle expertise.
3. Roland E...et son épouse, Mme F...L..., ont ensuite demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Martinique la condamnation du CHUM à leur verser une somme totale de 58 854 euros. Le CHUM relève appel de l'ordonnance du 5 avril 2018 du juge des référés précité en tant qu'elle l'a condamné à verser à Roland E...une somme de 2 000 euros en réparation, d'une part, du préjudice moral causé du fait du défaut d'information préalablement à l'intervention du 7 octobre 2015 et, d'autre part, du préjudice subi en raison de sa prise en charge tardive. Mme F...K..., veuveE..., Mme J...E...et M. B...E..., demandent à la cour, par la voie de l'appel incident et en qualité d'ayants droit de RolandE..., décédé le 13 septembre 2018, la réformation de cette ordonnance en tant qu'elle ne leur a pas accordé la condamnation du CHUM à leur verser, à titre provisionnel, la somme totale de 53 854 euros, et à verser à Mme F...E..., à titre de provision, la somme de 5 000 euros.
Sur les conclusions relatives au bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
4. D'une part et aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 : " I. -Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
6. .Enfin et en application des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, il appartient aux praticiens des établissements publics de santé d'informer directement le patient des investigations pratiquées et de leurs résultats, en particulier lorsqu'elles mettent en évidence des risques pour sa santé. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé et il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. Lorsque le défaut d'information est constitué, il appartient au juge de rechercher si le patient a subi une perte de chance de se soustraire aux dommages qui se sont réalisés, au regard des risques inhérents à l'acte médical litigieux, des risques encourus par l'intéressé en cas de renonciation à cet acte et des alternatives thérapeutiques moins risquées. La réparation du préjudice résultant de la perte de chance de se soustraire au risque dont le patient n'a pas été informé et qui s'est réalisé, correspond à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que l'existence d'une perte de chance peut être niée.
En ce qui concerne le défaut d'information :
7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts précités, que l'intervention du 7 octobre 2015 présentait un caractère impérieux de sorte que RolandE..., qui était dialysé trois fois par semaine, comme il a été exposé au point 1, ne pouvait raisonnablement s'y soustraire. En conséquence, il ne saurait être regardé comme ayant privé d'une chance d'éviter les préjudices allégués. Il suit de là que c'est à tort que l'ordonnance attaquée a condamné le CHUM à verser une provision à M. et Mme E...en réparation du préjudice moral causé par le défaut d'information allégué.
En ce qui concerne la prise en charge tardive :
8. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, à la suite de l'apparition de la thrombose de la fistule de dialyse de RolandE..., entre le 22 et le 25 septembre 2015 ce dernier a été admis aux urgences du CHUM le 5 octobre suivant et y a bénéficié d'une thrombectomie deux jours plus tard. S'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts désignés par la CIGMCI, que cette intervention aurait dû être réalisée dès le 6 octobre, date à laquelle elle avait été initialement programmée, mais qu'elle a été reportée au lendemain en raison d'un manque de place au bloc, cette circonstance n'a pas été à l'origine des troubles apparus au décours de l'opération. Par ailleurs, les consorts E...n'ont pas soutenu, en tout état de cause, que ce retard d'un jour leur aurait causé un préjudice moral, de sorte que c'est à tort que le premier juge leur a alloué, à titre provisionnel, une indemnisation à ce titre.
En ce qui concerne l'existence d'autres fautes :
9. S'agissant du geste opératoire lui-même, que les experts considèrent être directement à l'origine de la paralysie médio-cubitale totale de la main gauche dont a été atteint Roland E...à compter du 7 octobre 2015, laquelle a entraîné les préjudices, autres que le préjudice moral de RolandE..., dont les consorts E...demandent la réparation, les experts précités n'ont pu déterminer si cette paralysie résulte d'une faute ou d'un aléa thérapeutique. Il résulte en effet de l'instruction que l'intervention concernée s'est avérée très difficile à réaliser eu égard aux particularités présentées par la thrombose de la fistule du patient. En outre, si les experts ont estimé que la thrombectomie aurait dû être réalisée dès la constatation de la thrombose de la fistule, sauf à réaliser à la place de cette intervention une nouvelle fistule, la seule circonstance qu'elle n'a été effectuée que le 7 octobre 2015, alors du reste que la réalisation d'une nouvelle fistule, qui ne pouvait être faite rapidement, présentait également des risques, ne semble pas, à elle seule, en lien direct et certain avec la paralysie de la main gauche du patient apparue au décours de cette intervention.
10. Dans ces conditions et à supposer que la paralysie constatée en postopératoire immédiat aurait été provoquée non par une simple compression forte et prolongée des troncs nerveux mais par une section partielle des nerfs, le CHUM peut à bon droit se prévaloir d'un contexte opératoire très délicat et de ce que l'indication de la réalisation d'une nouvelle fistule ne correspondait pas au choix le plus adapté en l'occurrence pour dénier l'existence d'une faute de nature à engager sa responsabilité et, en conséquence, contester le caractère sérieux de la créance revendiquée par les consortsE.... Dans ces conditions et comme l'a estimé le premier juge, la créance relative aux préjudices patrimoniaux, extrapatrimoniaux et par ricochet subis par Roland E...et sa veuve ne présente pas le caractère non sérieusement contestable exigé par les dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
11. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le CHUM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de La Martinique l'a condamné à verser à M. et Mme E...une somme de 2 000 euros à titre de provision et, par voie de conséquence, a mis à sa charge une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, d'autre part, que les conclusions incidentes des consorts E...doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHUM, qui n'est pas, dans la présente instance de référé, la partie perdante, la somme sollicitée par les consorts E...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
13. Par ailleurs, il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des consorts E...la somme que demande le CHUM au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 1800041 du 5 avril 2018 du juge des référés du tribunal administratif de La Martinique sont annulés.
Article 2 : Les conclusions incidentes des consorts E...et les conclusions du CHUM relatives aux frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme F...L..., veuveE..., à Mme J...E..., à M. B...E..., au centre hospitalier universitaire de La Martinique, à la caisse générale de sécurité sociale de La Martinique, et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Fait à Bordeaux, le 14 décembre 2018.
Le juge des référés,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 18BX01587