Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2020, M. E..., représenté par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 septembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 juin 2020 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit à l'issue de ce délai et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
s'agissant de la décision portant refus d'un titre de séjour :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation, alors que l'avis du collège de médecins est lui-même insuffisamment motivé et a été rendu treize mois avant la décision litigieuse ;
- elle méconnaît le principe des droits de la défense, en particulier celui d'être entendu, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux ;
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors que n'est pas établie l'absence d'authenticité des documents d'état civil qu'il a présentés et partant le caractère frauduleux de sa demande ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée ;
- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée ;
- le préfet a méconnu l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
s'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :
- il n'a pas déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement et il ne représente pas une menace pour l'ordre public, de sorte qu'il ne remplit pas les conditions pour faire l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire français ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2021, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant congolais né le 20 septembre 1997, est entré en France, selon ses déclarations, le 10 novembre 2015. Sa demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 juillet 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 17 mars 2017. L'intéressé a déposé, le 3 avril 2018, une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade. Par un arrêté du 15 juin 2020, le préfet de la Gironde a refusé son admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit à l'issue de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. E... relève appel du jugement du 18 septembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision litigieuse vise les conventions internationales et les dispositions légales dont il est fait application, comporte des éléments de faits relatifs à la situation de M. E... et expose avec précision les raisons pour lesquelles le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Ces indications étaient suffisantes pour permettre à l'intéressé de comprendre et de contester la mesure prise à son encontre. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté. Si le requérant met en cause l'exactitude de certaines mentions de l'arrêté attaqué, une telle circonstance est sans incidence sur l'appréciation du caractère suffisant de la motivation, laquelle ne révèle en l'espèce aucun défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé par l'autorité administrative.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, saisi par le préfet, a émis, le 3 mai 2019, un avis selon lequel l'état de santé de M. E... nécessitait une prise en charge médicale mais que le défaut de cette prise en charge ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dès lors, en ne se prononçant pas également sur l'accès effectif de l'intéressé à un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine, le collège de médecins n'a pas entaché son avis d'un défaut de motivation. Par suite et contrairement à ce que soutient M. E..., le préfet de la Gironde pouvait régulièrement prendre une décision de refus de séjour au vu de cet avis.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un État membre est inopérant. En outre, M. E..., à l'occasion du dépôt de sa demande, a été conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demandait que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartenait, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il jugeait utiles. Il lui était également loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Par suite, le moyen tiré de ce que M. E... aurait été privé du droit à être entendu doit être écarté.
5. En quatrième lieu, il ne ressort pas des termes mêmes de la décision litigieuse que le préfet se serait estimé lié ni par les décisions prises par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, ni par l'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
6. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. ".
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que si l'état de santé de M. E... nécessite une prise en charge médicale, le défaut de celle-ci ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Les éléments médicaux produits à l'instance, en particulier une attestation mentionnant une hospitalisation au Congo en 2014 pour une " mélancolie associée d'une anxiété énorme " et un certificat médical du 5 octobre 2020 aucunement circonstancié ne peuvent suffire à infirmer l'avis émis collégialement par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration alors même que cet avis a été rendu un an avant la décision litigieuse. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En sixième lieu, le requérant, qui admet avoir initialement détenu de faux documents d'identité, soutient qu'il n'a pas dissimulé son identité lors du dépôt de sa demande d'asile puis de sa demande de titre de séjour et qu'ainsi, le préfet ne peut lui imputer une volonté de fraude, de sorte qu'il a entaché sa décision d'une erreur de fait. Toutefois, même à supposer avérée l'absence de fraude, il ressort des pièces du dossier, notamment des termes mêmes de la décision litigieuse, que le préfet de la Gironde aurait pris la même décision s'il n'avait pas retenu l'existence d'une fraude.
9. En septième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. E... est célibataire, sans charge d'enfant et ne justifie pas de l'existence de liens d'une nature ou d'une intensité particulière en France. La durée de son séjour en France est en majeure partie consécutive à l'instruction de sa demande d'asile, en définitive rejetée. Rien ne fait obstacle à ce que sa vie privée et familiale se poursuive ailleurs qu'en France notamment dans son pays d'origine. Par suite, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. E....
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7 ci-dessus, la décision obligeant M. E... à quitter le territoire français ne méconnaît pas les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier des termes de la décision litigieuse, que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé au regard des risques actuels et personnels susceptibles d'être encourus en cas de retour dans son pays d'origine.
12. L'appelant se borne à reprendre en appel le moyen tiré de ce que le préfet se serait estimé à tort en situation de compétence liée ainsi que les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux. Dans ces conditions, il y a lieu, par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge, d'écarter ces moyens.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
13. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) Sauf s'il n'a pas satisfait à une précédente obligation de quitter le territoire français ou si son comportement constitue une menace pour l'ordre public, le présent III n'est pas applicable à l'étranger obligé de quitter le territoire français au motif que le titre de séjour qui lui avait été délivré en application de l'article L. 316-1 n'a pas été renouvelé ou a été retiré (...). / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
14. M. E... qui faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français se trouvait dans le cas prévu par les dispositions citées ci-dessus dans lequel le préfet peut assortir cette mesure d'éloignement d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans. Les circonstances que le requérant ne représenterait pas une menace actuelle pour l'ordre public et qu'il ne se serait pas soustrait à une mesure d'éloignement précédente ne font pas obstacle à l'édiction d'une mesure d'interdiction de retour. Par ailleurs, eu égard notamment à la nature et à l'ancienneté des liens de M. E... avec la France, le préfet n'a pas fait, en lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, une inexacte application des dispositions citées ci-dessus.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
M. B... A..., président-assesseur,
Mme F... C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.
La présidente,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03415