Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2021, le préfet de Lot-et-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 décembre 2020.
Il soutient que :
- le signataire de ces actes disposait d'une délégation de signature régulière ;
- ces décisions sont suffisamment motivées ;
- il n'a pas commis d'erreur de fait dès lors qu'aucune demande de titre de séjour de M. A... n'est en cours d'examen par le préfet de Tarn-et-Garonne ;
- il n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A....
Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2021, M. A..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 novembre 2020 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi, ainsi que la décision du même jour par laquelle le préfet de Lot-et-Garonne l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- le préfet n'a pas procédé à un examen approfondi et sérieux de sa situation dès lors qu'il avait déposé une demande de titre de séjour ;
- l'arrêté du 30 novembre 2020 méconnaît l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant dès lors que le préfet n'a pas pris en compte les effets que pourraient avoir sa décision sur la situation de son beau-fils ;
- cet arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il vit en France depuis neuf ans, est marié à une ressortissante française et s'occupe de son beau-fils handicapé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 28 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme E... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né le 21 février 1983, est entré sur le territoire français le 3 avril 2012 selon ses déclarations. Par un arrêté du 30 novembre 2020, le préfet de Lot-et-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi. Le préfet a assorti cet arrêté d'une décision du même jour assignant M. A... à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Le préfet de Lot-et-Garonne relève appel du jugement du 7 décembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 30 novembre 2020 ainsi que la décision du même jour portant assignation à résidence, lui a enjoint de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'État, au bénéfice de Me F..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur le moyen retenu par le premier juge :
2. Pour annuler l'arrêté et la décision du 30 novembre 2020 litigieux, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a retenu le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. A....
3. Si, en première instance, M. A... a fait valoir qu'il avait déposé une demande de titre de séjour en 2019 auprès du préfet de Tarn-et-Garonne à la suite de son mariage avec une ressortissante française, toutefois, aucun élément au dossier ne permet d'établir la réception par les services de la préfecture du courrier du 30 juillet 2019 dans lequel l'avocat de l'intéressé sollicite la régularisation de sa situation " pour raisons familiales ". Par ailleurs, le courrier du 16 décembre 2019 adressé par M. A... au préfet de Tarn-et-Garonne, reçu le 18 décembre suivant, ne saurait être regardé, eu égard à son contenu, comme une demande de titre de séjour. Il ressort en outre des pièces du dossier, et en particulier du courriel du 8 décembre 2020 émis par la préfecture de Tarn-et-Garonne, que si le préfet détenait, à la date des actes en litige, le passeport de M. A... après en avoir vérifié l'authenticité, aucune demande de titre de séjour n'a été déposée par l'intéressé auprès cette préfecture. Dans ces conditions, dès lors qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que M. A... a effectivement présenté une demande de titre de séjour auprès des services de la préfecture de Tarn-et-Garonne, l'absence de mention de sa déclaration selon laquelle il a présenté une telle demande dans l'arrêté contesté n'est pas de nature à révéler que le préfet de Lot-et-Garonne n'aurait pas procédé à un examen approfondi de la situation de l'intéressé. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur ce motif pour considérer que la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... était illégale.
4. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Sur les autres moyens :
5. En premier lieu, M. Morgan D..., secrétaire général de la préfecture de Lot-et-Garonne, a reçu délégation, par un arrêté de la préfète de Lot-et-Garonne du 4 septembre 2020, publié le 7 septembre suivant au recueil des actes administratifs spécial de l'État dans le Lot-et-Garonne, à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives à la délivrance de titres de séjour relevant des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que toutes les décisions d'éloignement et décisions accessoires s'y rapportant prises en application du livre V de ce code. Ainsi, M. D... disposait d'une délégation de signature régulière pour signer les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions en litige manque en fait et doit être écarté.
6. En deuxième lieu, l'arrêté du 30 novembre 2020 mentionne notamment les conditions d'entrée de M. A... sur le territoire français, la circonstance que l'intéressé a présenté une demande d'asile en France rejetée définitivement par la Cour nationale du droit d'asile le 2 décembre 2013, qu'il a fait l'objet de trois mesures d'éloignement les 23 avril 2015, 8 juillet 2016 et 28 novembre 2017 qui n'ont pas été exécutées, et qu'il a déclaré être marié à une ressortissante française depuis le 5 janvier 2019 mais ne pouvait prétendre à la délivrance d'un titre de séjour en tant que conjoint de ressortissant français. Par ailleurs, la décision du 30 novembre 2020 portant assignation à résidence indique les raisons pour lesquelles M. A... ne peut bénéficier d'un délai de départ volontaire, ainsi que l'existence d'un risque de soustraction à la mesure d'éloignement, avant de préciser les éléments de sa situation personnelle. Au regard de ces éléments, les décisions litigieuses sont suffisamment motivées. Par suite, ce moyen doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Et aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
8. Le mariage de M. A... avec une ressortissante française, en date du 5 janvier 2019, est récent. En outre, les différents témoignages produits par l'intéressé indiquent que la relation avec son épouse datait de seulement deux ans à la date des décisions attaquées. S'il ressort de plusieurs attestations versées au dossier que le plus jeune enfant de cette dernière, né en 2011, présente un handicap important et est attaché à M. A..., qui l'a accompagné à plusieurs rendez-vous médicaux, ces éléments ne permettent pas de considérer que la présence de l'intéressé serait indispensable au bien-être du jeune enfant. Par ailleurs, alors même que M. A... serait entré sur le territoire français depuis neuf ans, comme il le fait valoir, il est constant qu'il a fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement, notamment du 8 juillet 2016 et du 28 novembre 2017, qu'il n'a pas exécutées. En outre, l'intéressé n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans et où résident encore ses parents et ses frères. Dans ces conditions, eu égard notamment au caractère récent du mariage de M. A..., les décisions attaquées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts qu'elles poursuivent. Ces décisions ne peuvent pas davantage être regardées, compte tenu de ces éléments, comme méconnaissant l'intérêt supérieur de l'enfant de son épouse. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant et celui tiré de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise le préfet doivent être écartés.
9. Enfin, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Et aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
10. M. A... ne peut se prévaloir utilement des dispositions citées ci-dessus qu'à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le requérant, dont la demande d'asile a définitivement été rejetée par une décision du 2 décembre 2013, ainsi qu'il a été rappelé au point 6, serait soumis à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Lot-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 30 novembre 2020, ainsi que la décision du même jour portant assignation à résidence, lui a enjoint de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation et a mis à la charge de l'État, au bénéfice de Me F..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
12. La présente décision, qui rejette la demande de première instance présentée par M. A... tendant à l'annulation des décisions du 30 novembre 2020, n'appelle aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions présentées par M. A... aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A... demande au bénéfice de son conseil titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2005513 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre de l'intérieur et à Me F....
Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme E... B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.
La présidente,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX00061 2