Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2020, Mme E... C..., représentée par Me Hay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres du 24 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Deux-Sèvres, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité ou, à titre subsidiaire, d'examiner de nouveau sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au bénéfice de son conseil au titre de ses frais de défense, Me Hay s'engageant à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle si elle parvient, dans les deux mois de la délivrance de l'attestation de fin de mission, à recouvrer auprès de l'Etat la somme allouée.
Elle soutient que :
- le tribunal a fait reposer sur elle, à tort, la charge de la preuve de la fraude ;
- le préfet n'apporte pas la preuve de ce que le ressortissant français en cause n'est pas le père biologique de l'enfant ;
- l'arrêté méconnait le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle est mère d'une enfant française avec laquelle elle vit ;
- l'arrêté porte atteinte à sa vie privée et familiale et à l'intérêt supérieur de l'enfant.
Mme E... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Marianne Hardy a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... C..., ressortissante comorienne née en 1991, a sollicité son admission au séjour dans le cadre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 24 avril 2019, la préfète des Deux-Sèvres a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Mme E... C... relève appel du jugement du 17 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la copie intégrale de l'acte de naissance produit par Mme E... C..., que la jeune D..., née le 30 mars 2014 à Mamoudzou, a été reconnue le 28 février 2014 à la mairie de Nîmes par un ressortissant français. Pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par Mme E... C... en sa qualité de parent d'enfant français, la préfète des Deux-Sèvres a relevé que sa fille avait été reconnue de manière anticipée à la mairie de Nîmes par un ressortissant français né en 1947 aux Comores et domicilié à Nîmes alors que Mme E... C..., née quant à elle en 1991, résidait à Mayotte, que Mme E... C... et ce ressortissant français n'ont jamais vécu ensemble et n'ont aucun contact, que ce dernier n'a jamais vu la fille de Mme E... C... et ne participe pas à son entretien ni à son éducation, que Mme E... C... ne connaît rien sur lui et n'a pas pu fournir sa carte nationale d'identité et, enfin, qu'il aurait déclaré à son cousin avoir des doutes sur sa paternité. Toutefois ces simples suspicions ne peuvent être regardées comme des éléments suffisamment précis de nature à établir que ce ressortissant français ne serait pas le père biologique de l'enfant de Mme E... C.... Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a considéré que la préfète avait pu légalement estimer que la reconnaissance de paternité avait été souscrite dans le seul but de permettre à Mme E... C... d'obtenir un titre de séjour et refuser, pour ce motif, de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme E... C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 avril 2019 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être renvoyée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
7. L'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas nécessairement, eu égard au motif sur lequel elle se fonde, la délivrance à Mme E... C... d'un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de prendre une telle mesure doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Deux-Sèvres de procéder à un nouvel examen de la demande de Mme E... C..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme E... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Hay, avocat de Mme E... C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hay de la somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901785 du 17 octobre 2019 du tribunal administratif de Poitiers et l'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres du 24 avril 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Deux-Sèvres de procéder à un nouvel examen de la demande de titre de séjour présentée par Mme E... C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Hay une somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que M. Hay renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... E... C..., au ministre de l'intérieur et à Me Hay.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 27 août 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 24 septembre 2020.
Le président-rapporteur,
Marianne Hardy Le président-assesseur,
Didier Salvi
Le greffier,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
No 20BX00477