Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juin 2018 et un mémoire enregistré le 24 janvier 2019, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 juin 2018 ;
2°) de mettre à la charge de M. H...la somme de 800 euros en application combinée des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté en considérant qu'il n'existait pas de traitement dans le pays d'origine du requérant alors que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 24 avril 2017 indique que le défaut de prise en charge médicale ne devrait pas entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité de sorte que l'existence d'un traitement médical est sans incidence sur la légalité de la décision ;
- il existe un traitement pour les troubles dont souffre le requérant en Algérie ;
- il résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat que le nom du médecin ayant établi le rapport médical n'a pas à figurer sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2018, M. B...H..., représenté par Me Jouteau, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- pour l'essentiel, il s'en remet à ses écritures de première instance ;
- le jugement se fonde sur la circonstance que le défaut de prise en charge médicale est susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ce qui n'est pas contesté par le préfet. Le traitement ne se cantonne pas aux médicaments mais comprend également la relation patient-thérapeute.
M. H...est maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Cécile Cabanne pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Paul-André Braud, premier-conseiller ;
- et les observations de Me Jouteau, avocat, représentant M.H....
Considérant ce qui suit :
1. M. B...H..., ressortissant algérien né le 1er mars 1969, est entré en France le 11 mars 2015. Le 14 novembre 2016, il a sollicité son admission au séjour au fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par un arrêté en date du 9 août 2017, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer le certificat de résidence sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du 14 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 9 août 2017 et lui a enjoint de délivrer un certificat de résidence algérien.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algérien et de leurs familles : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 susvisé : " Les conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge médicale, mentionnées au 11° de l'article L. 313-11 du CESEDA, sont appréciées sur la base des trois critères suivants : degré de gravité (mise en cause du pronostic vital de l'intéressé ou détérioration d'une de ses fonctions importantes), probabilité et délai présumé de survenance de ces conséquences. Cette condition des conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge doit être regardée comme remplie chaque fois que l'état de santé de l'étranger concerné présente, en l'absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d'une atteinte à son intégrité physique ou d'une altération significative d'une fonction importante. Lorsque les conséquences d'une exceptionnelle gravité ne sont susceptibles de ne survenir qu'à moyen terme avec une probabilité élevée (pathologies chroniques évolutives), l'exceptionnelle gravité est appréciée en examinant les conséquences sur l'état de santé de l'intéressé de l'interruption du traitement dont il bénéficie actuellement en France (rupture de la continuité des soins). Cette appréciation est effectuée en tenant compte des soins dont la personne peut bénéficier dans son pays d'origine. ".
3. Pour annuler l'arrêté préfectoral du 9 août 2017, les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien au motif que le défaut de prise en charge médicale de M. H...pouvait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que les médicaments composant son traitement n'étaient pas tous disponibles en Algérie.
4. Cependant, selon l'avis du 24 avril 2017, sur lequel le préfet de la Gironde s'est fondé, le collège des médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de M.H..., nécessitait une prise en charge médicale, le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments de son dossier, son état de santé pouvait lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine. Or, le seul certificat médical se prononçant sur les conséquences induites par une absence de prise en charge médicale est le certificat médical du praticien hospitalier suivant M. H...en date du 1er septembre 2017 en vertu duquel le risque encouru est " la majoration de la symptomatologie post-traumatique et dépressive avec un risque auto et/ou hétéroagressif ". Un tel certificat n'est guère circonstancié tant sur la gravité du risque que sur sa probabilité et son délai présumé de survenance au sens de l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 susvisé. Dans ces conditions, ce risque ne peut, en l'état des précisions fournies, être qualifié de conséquence d'une exceptionnelle gravité au sens du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur ce moyen pour annuler l'arrêté du 9 août 2017 du préfet de la Gironde. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. H...devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Sur la légalité de l'arrêté du 9 août 2017 :
En ce qui concerne le refus de certificat de résidence :
6. En premier lieu, M. H...semble soutenir que ce refus est insuffisamment motivé dès lors qu'il se fonde uniquement sur l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Cependant, une telle critique qui se rattache au bien-fondé de la motivation, est sans incidence sur le caractère suffisant de cette motivation. Par ailleurs, l'arrêté litigieux vise les textes fondant le refus de certificat de résidence et énonce les motifs de fait qui le fonde. Dès lors, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.
7. En deuxième lieu, M. H...n'établit ni même n'allègue avoir adressé au préfet de la Gironde, préalablement à l'arrêté litigieux, des documents lui permettant d'apprécier son état de santé. Dans ces conditions, le préfet de la Gironde ne pouvait que se fonder sur l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Dès lors, la reprise des termes de l'avis dans l'arrêté en litige, ne permet pas à elle seule d'établir que le préfet se serait estimé lié par celui-ci et aurait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence.
8. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient M.H..., il ressort de la motivation de l'arrêté, qui rappelle sa situation familiale et administrative afin de s'assurer que sa décision ne porte pas une atteinte disproportionné au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, que le préfet de la Gironde a procédé à un examen complet de sa situation.
9. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue du 3° de l'article 13 de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, en vigueur depuis le 1er janvier 2017 : " (...)La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article 67 de la même loi : " (...) V. - L'article 5, le 3° de l'article 13, l'article 14, le 2° du I et le VIII de l'article 20 et le troisième alinéa du 6° du II de l'article 61 entrent en vigueur le 1er janvier 2017. VI.- la présente loi s'applique aux demandes pour lesquelles aucune décision n'est intervenue à sa date d'entrée en vigueur. Le 3° de l'article 13, l'article 14, le 2° du I de l'article 20 et le troisième alinéa du 6° du II de l'article 61 s'appliquent aux demandes présentées après son entrée en vigueur. ".
10. D'autre part, il résulte de l'application combinée des dispositions des articles R. 311-1 et R. 311-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la demande de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour est réputée déposée par l'étranger le jour de sa présentation physique au guichet de la préfecture en possession des pièces énumérées de façon exhaustive par les articles R. 311-2-2 et R. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile. Si M. H...soutient que sa demande de certificat de résidence a été déposée le 14 novembre 2016, il ne conteste pas qu'elle n'a été dûment complétée qu'en février 2017, soit postérieurement au 1er janvier 2017. Dans ces conditions, sa demande de certificat de résidence relevait, pour le régime procédural, du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de l'article 13 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016. Par suite, c'est donc à bon droit que le préfet de la Gironde a consulté, non pas le médecin de l'agence régionale de santé, mais le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
11. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du courriel de la directrice territoriale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à Bordeaux, lequel fait foi jusqu'à preuve du contraire, que c'est le docteur I...E...qui a rédigé, le 10 avril 2017, le rapport médical concernant M.H.... Dès lors, le moyen tiré de son inexistence, alors au demeurant que M. H...n'en a même pas sollicité la communication auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, doit être écarté comme manquant en fait.
12. En sixième lieu, comme indiqué au point précédent, le médecin ayant établi le rapport médical concernant M. H...est le docteur I...E.... Or, il ressort de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 24 avril 2017 que ce collège était composé des docteurs D...C..., F...J...et A...G.... Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que le médecin ayant établi le rapport médical aurait siégé dans le collège de médecins ne peut qu'être écarté.
13. En septième lieu, si comme le soutient M. H...l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne se prononce pas sur l'existence du traitement requis par son état de santé dans son pays d'origine comme le prévoit l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'est pas tenu de le faire lorsque, comme en l'espèce, il estime que le défaut de prise en charge médicale ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
14. En huitième lieu, M. H...fait valoir que le refus est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard du conflit qui l'oppose à son épouse qui a motivé sa venue en France afin de se rapprocher de son père qui est titulaire d'une carte de résident. Cependant, en l'absence de tout élément sur le conflit allégué avec son épouse et alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il n'est pas dépourvu d'autres attaches familiales en Algérie où résident ses sept enfants, sa mère et ses sept frères et soeurs, le refus contesté n'est nullement entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
15. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité du refus de certificat de résidence ne peut être accueillie.
16. En deuxième lieu, les moyens tirés de l'absence de rapport médical, du caractère incomplet de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration doivent, en tout état de cause, être écartés pour les motifs énoncés lors de l'examen de la légalité du refus de certificat de résidence.
17. En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté pour les motifs énoncés au point 4.
18. En quatrième lieu, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation doit être écarté pour les motifs énoncés au point 14.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
19. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que les exceptions d'illégalité du refus de certificat de résidence et de l'obligation de quitter le territoire français ne peuvent être accueillies.
20. En second lieu, M. H...se prévaut de son état de santé pour soutenir qu'il sera exposé à un traitement contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Algérie. Cependant, comme indiqué précédemment, il n'est pas établi que le défaut de prise en charge médicale pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 9 août 2017. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens présentées par M. H...doivent être rejetées.
22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du préfet de la Gironde présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800428 du tribunal administratif de Bordeaux en date du 14 juin 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. H...devant le tribunal administratif de Bordeaux et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions du préfet de la Gironde présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...H..., au ministre de l'Intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 20 février 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président- assesseur,
M. Paul-André Braud, premier-conseiller,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 22 mars 2019.
Le rapporteur,
Paul-André BraudLe président,
Marianne Pouget
Le greffier,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX02469