à lui verser la somme de 85 000 euros avec intérêts à compter du 21 mai 2016 et capitalisation
à compter du 21 mai 2017, et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 juillet 2018 et un mémoire enregistré le 16 mars 2020, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, H... et associés, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de Mme E... ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une nouvelle expertise médicale ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de ramener l'indemnité allouée à de plus justes proportions ;
4°) de rejeter la demande présentée par Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- aucun lien de causalité certain n'est scientifiquement établi entre l'administration de vaccins contenant un adjuvant aluminique, la lésion histologique dénommée myofasciite à macrophages (MFM) et un syndrome clinique spécifique, ce qu'a d'ailleurs jugé le Conseil d'Etat par une décision n° 415694 du 6 mai 2019 ;
- les premiers symptômes sont apparus en octobre 1998, 7 ans après les premières injections et 18 mois après le dernier rappel vaccinal, ce qui constitue un délai anormalement long ; ainsi qu'il résulte de la critique de l'expertise, les symptômes cliniques présentés par Mme E... s'expliquent par ses pathologies, la tendinopathie calcifiante bilatérale étant la cause des douleurs irradiant aux bras et aux épaules, le syndrome du canal carpien celle des paresthésies de la main, et l'hypothyroïdie celle de la fatigue et des troubles cognitifs, ces derniers étant au demeurant peu invalidants ; les constats que Mme E... n'a présenté aucune réaction clinique aux injections réalisées entre 1969 et 1979 et que celles de 2003 et 2009 n'ont pas aggravé sa pathologie démontrent que l'adjuvant aluminique n'est pas à l'origine de ses symptômes ; alors qu'aucune IRM et aucun scanner n'ont été réalisés, le seul bilan neurologique du 3 mai 2017 est insuffisant pour attribuer le dysfonctionnement cognitif à une MFM ; ainsi, c'est à tort que les premiers juges ont retenu une présomption de causalité entre la vaccination contre le virus de l'hépatite B et les préjudices allégués ;
- à titre subsidiaire : une nouvelle expertise doit être ordonnée dès lors qu'il n'a pas été mis à même de faire valoir ses observations sur le lien de causalité comme sur le calcul des préjudices dans le cadre de l'expertise amiable, laquelle n'a pas été réalisée à son contradictoire, et que les experts ne se sont pas prononcés sur l'imputabilité des symptômes aux pathologies autres que la MFM (colopathie fonctionnelle, hypothyroïdie, syndrome du canal carpien et périarthrite scapulo-humérale) ;
- à titre infiniment subsidiaire : l'indemnisation allouée en réparation des préjudices subis par Mme E... doit être calculée déduction faite de la créance de l'organisme social, laquelle n'est pas remboursable par l'ONIAM ; l'indemnisation des souffrances endurées ne saurait excéder 1 849 euros ; ni l'existence d'un préjudice d'incidence professionnelle, ni son lien avec la MFM ne sont démontrés, et il est impossible de savoir si Mme E... perçoit une pension d'invalidité, de sorte qu'aucune somme ne peut être allouée à ce titre ; la somme de 50 000 euros allouée au titre du déficit fonctionnel permanent est très excessive dès lors que les troubles présentés par Mme E... peuvent s'expliquer par ses pathologies autres que la MFM ; les souffrances endurées après consolidation sont incluses dans le déficit fonctionnel permanent ; le lien entre la MFM et le préjudice sexuel retenu par les experts n'est pas établi.
Par des mémoires en défense enregistrés les 31 janvier et 14 mai 2020, Mme E..., représentée par la SCP Julia, B..., Bourdon, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'expert indique qu'elle ne présentait aucun antécédent permettant d'expliquer la survenue des symptômes ; le délai entre les injections réalisées entre 1991 et 1997 et l'apparition des symptômes en 1998 était normal dès lors qu'il peut aller jusqu'à 12 ans pour la MFM ; un diagnostic différentiel d'exclusion permet de rattacher les symptômes à la MFM ; ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a retenu un lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et la MFM ;
- dans sa décision n° 415694 du 6 mai 2019, le Conseil d'Etat réalise un bilan
coût / avantages des vaccins obligatoires contenant des adjuvants aluminiques, sans revenir sur sa jurisprudence selon laquelle le lien entre ces adjuvants et la MFM n'est pas exclu ; l'analyse critique de l'expertise produite par l'ONIAM ne démontre pas que ses symptômes de fatigue chronique, de troubles cognitifs et de douleurs articulo-musculaires auraient une autre origine que la MFM ;
- elle sollicite la confirmation des sommes allouées par le tribunal administratif, auprès duquel elle a réservé ses demandes relatives à son déficit fonctionnel temporaire et ses pertes de gains professionnels actuels et futurs, qu'elle réclamera devant lui après confirmation de l'obligation indemnitaire de l'ONIAM ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Ladoire, rapporteur public,
- et les observations de Me H..., représentant l'ONIAM et de Me B..., représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., agent des services hospitaliers, soumise en raison de son activité professionnelle à une vaccination contre le virus de l'hépatite B, a subi trois injections de vaccins contenant des adjuvants aluminiques les 24 octobre, 20 novembre et 12 décembre 1991, puis deux rappels les 21 octobre 1992 et 18 avril 1997. Elle a présenté à partir d'octobre 1998 des cervicalgies se compliquant de douleurs irradiant aux deux bras et aux deux épaules, a été hospitalisée du 25 au 27 mars 1999 en raison de paresthésies des deux mains et de douleurs de la main droite irradiant dans l'avant-bras droit, et son état de fatigue associé à ces symptômes a conduit à un diagnostic de fibromyalgie. En 2004, une biopsie du muscle deltoïde gauche à l'emplacement des vaccinations contre l'hépatite B a montré des lésions de myofasciite à macrophages. Mme E... a été admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er mai 2006. En 2015, elle a saisi l'ONIAM d'une demande d'indemnisation des préjudices résultant des pathologies qu'elle imputait à sa vaccination contre le virus de l'hépatite B. Après avoir ordonné une expertise, l'ONIAM a rejeté sa demande le 18 mai 2016 au motif que les différents symptômes qu'elle présente se rattachent à des pathologies distinctes et autonomes, et non aux symptômes cliniques d'une myofasciite à macrophages. L'Office relève appel du jugement
du 29 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, estimant que les symptômes ne pouvaient résulter d'une autre cause que les vaccinations, l'a condamné à verser à Mme E... une indemnité de 85 000 euros.
2. En vertu des dispositions de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire est assurée par l'ONIAM. En l'espèce, il est constant que la vaccination contre le virus de l'hépatite B présentait un caractère obligatoire.
3. Dans le dernier état des connaissances scientifiques, l'existence d'un lien de causalité entre une vaccination contenant un adjuvant aluminique et la combinaison de symptômes constitués notamment par une fatigue chronique, des douleurs articulaires et musculaires et des troubles cognitifs n'est pas exclue et revêt une probabilité suffisante pour que ce lien puisse, sous certaines conditions, être regardé comme établi. Tel est le cas lorsque la personne vaccinée, présentant des lésions musculaires de myofasciite à macrophages à l'emplacement des injections, est atteinte de tels symptômes, soit que ces symptômes sont apparus postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, soit, si certains de ces symptômes préexistaient, qu'ils se sont aggravés à un rythme et avec une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de l'état de santé antérieur à la vaccination, et qu'il ne ressort pas des expertises versées au dossier que les symptômes pourraient résulter d'une autre cause que la vaccination. En l'espèce, il est constant que des lésions musculaires de myofasciite à macrophages ont été constatées à l'emplacement des injections.
4. La mission d'expertise diligentée par l'ONIAM demandait d'indiquer, pour chacun des symptômes, leur date d'apparition médicalement constatée, et dans le cas où ils auraient préexisté à la vaccination, s'ils s'étaient aggravés à un rythme et avec une ampleur qui n'étaient pas prévisibles, ou dans le cas contraire, si au vu du délai de leur survenue, ils pouvaient être rapportés à la vaccination ou résulter d'une autre cause. Si les experts ont décrit la chronologie d'apparition des diverses douleurs, des paresthésies et de la fatigue postérieurement à la vaccination, ils n'ont pas répondu à la question de savoir si ces symptômes pouvaient être attribués à une autre cause que la vaccination, alors qu'ils avaient fait état d'antécédents de syndrome du canal carpien non opéré et de pathologies scapulo-humérales pouvant être à l'origine des douleurs, ainsi que d'une hypothyroïdie anciennement traitée par Levothyrox susceptible d'expliquer au moins partiellement l'asthénie. Les experts n'ont pas davantage recherché si l'activité professionnelle de Mme E..., sur laquelle aucune précision n'est apportée alors que l'exercice des fonctions d'agent des services hospitalier nécessite des efforts physiques répétés, aurait pu être à l'origine de certains symptômes, en particulier des cervicalgies, des douleurs irradiant aux deux bras et des paresthésies des deux mains. Ainsi, l'expertise, qui conclut à l'absence de " diagnostic de certitude en matière de pathologie, y compris de fibromyalgie ", ne permet pas d'écarter la possibilité que les symptômes présentés par Mme E... résultent d'autres causes que la vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B. Par suite, l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le lien de causalité déterminé selon les modalités exposées au point précédent devait être regardé comme établi.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la demande de Mme E....
6. L'état du dossier ne permet pas de se prononcer sur le lien de causalité entre les troubles présentés par Mme E... et la vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1er : Avant de statuer sur la demande indemnitaire de Mme E..., il sera procédé
à une expertise médicale contradictoire par un collège de deux experts, spécialisés l'un en neurologie et l'autre en rhumatologie, en présence de Mme E... et de l'ONIAM.
Article 2 : Les experts auront pour mission :
1°) de prendre connaissance du dossier médical de Mme E..., du rapport de l'expertise
du 2 décembre 2015 réalisée par les professeurs Trèves et Laroche, ainsi que de l'analyse critique de cette expertise réalisée par les docteurs Jacquier et Liance, respectivement médecin référent et interne de l'ONIAM, et d'examiner Mme E... ; de demander le cas échéant la réalisation des examens complémentaires qui paraîtraient utiles à la réponse aux questions posées ; de recueillir tout élément de nature à éclairer l'activité professionnelle de Mme E... ;
2°) de préciser, pour le syndrome du canal carpien bilatéral et l'hypothyroïdie, la date d'apparition de la pathologie, son évolution et les traitements dont elle a fait l'objet ;
3°) de décrire la pathologie complexe des épaules, son évolution depuis la date de son apparition et les traitements dont elle a fait l'objet ;
4°) de préciser la nature des troubles cognitifs, leur date d'apparition, leur évolution, les investigations auxquelles ils ont donné lieu et les traitements éventuellement suivis ;
5°) d'expliciter le diagnostic de " fibromyalgie en rapport avec l'exercice professionnel " retenu à partir de 1999 au regard de la nature des troubles présentés et de leur évolution ; de donner leur avis sur le bien-fondé de ce diagnostic ;
6°) eu égard aux réponses aux points précédents et compte tenu de l'état antérieur de l'intéressée, de donner leur avis sur l'existence d'un lien de causalité entre les symptômes de Mme E... ou leur aggravation et les injections de vaccin contre le virus de l'hépatite B qu'elle a subies en 1990, 1992 et 1997 ; de préciser si ces symptômes peuvent être rattachés à une autre cause, et notamment à l'activité professionnelle ;
7°) d'évaluer le cas échéant les préjudices en lien exclusif avec la vaccination contre le virus de l'hépatite B :
- de dire si l'état de santé de Mme E... a entraîné un déficit fonctionnel temporaire, et d'en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;
- de dire si l'état de santé de Mme E... peut être considéré comme consolidé ; de préciser s'il subsiste un déficit fonctionnel permanent, et dans l'affirmative d'en fixer le taux ;
- de dire si l'état de santé de Mme E... a justifié ou justifie l'aide d'une tierce personne ; de fixer les modalités, la qualification et la durée de cette intervention ;
- de préciser les frais liés au handicap ;
- de donner leur avis sur la répercussion de l'incapacité médicalement constatée sur l'activité professionnelle de Mme E..., et le cas échéant sur la possibilité d'une réadaptation à une nouvelle activité professionnelle ;
- de donner leur avis sur l'existence de préjudices personnels en lien avec la maladie (souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément, préjudice sexuel), et le cas échéant d'en évaluer l'importance ;
- d'apporter à la cour tous autres éléments estimés utiles à l'évaluation des préjudices de Mme E....
Article 3 : Pour l'accomplissement de leur mission, les experts pourront se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressée.
Article 4 : Les experts seront désignés par la présidente de la cour. Après avoir prêté serment, ils accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, les experts déposeront leur rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par la présidente de la cour dans la décision les désignant. Ils en notifieront une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à Mme G... F... épouse E.... Une copie en sera adressée aux professeurs Trèves et Laroche, experts.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme K... J..., présidente,
Mme A... D..., présidente-assesseure,
Mme C... I..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
La rapporteure,
Anne D...
La présidente,
Catherine J...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX02901