Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 mai 2020 et régularisée le 18 août 2020, M. A... E..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 18 mars 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 12 mars 2020 de la préfète de la Gironde ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée d'incompétence de son signataire ;
- il n'est pas établi que le renouvellement de son titre de séjour lui aurait été refusé ;
- il est en situation de se voir attribuer un titre de séjour de plein droit sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne peut donc faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- la décision en litige méconnaît l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est illégale dès lors qu'elle est contraire aux impératifs de santé publique interdisant les mouvements de population, qui doivent primer toute autre considération ;
- il est dans l'impossibilité de quitter le territoire français dès lors que ce déplacement n'entre pas dans le champ des exceptions prévues par le décret 2020-260 du 16 mars 2020, intervenu certes postérieurement à la décision attaquée mais pendant l'instance devant le premier juge et entrant immédiatement en vigueur ; il n'existe donc aucune perspective raisonnable d'exécution de la mesure, les services préfectoraux étant par ailleurs fermés ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est inapplicable dès lors qu'il était dans l'impossibilité totale de quitter le territoire français pour la durée de l'ensemble des mesures considérées en raison de la pandémie ;
- il n'est pas établi qu'il existe un risque qu'il se soustraie à la décision attaquée ;
- il n'existe aucune obligation de ne pas accorder un délai de départ de 30 jours ;
- il devait bénéficier d'un délai de départ volontaire supérieur à celui prévu par l'article L. 511-1 (II) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à la crise sanitaire ;
- l'interdiction de retour porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- l'interdiction de retour dans un contexte de pandémie peut lui causer de graves problèmes de santé s'il devait tomber malade à l'étranger ;
- la décision d'assignation à résidence est dépourvue de base légale ;
- il justifie de garanties de représentation suffisantes ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-2, alinéa 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'en raison de la crise sanitaire due à la pandémie de COVID-19, il n'existe aucune perspective raisonnable d'exécution de l'obligation.
M. A... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2020/006109 du 29 avril 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur
sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E..., ressortissant marocain, relève appel du jugement du 18 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 12 mars 2020 de la préfète de la Gironde portant respectivement, d'une part, obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'autre part, assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision en litige, que M. A... E... a fait l'objet d'un arrêté portant refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français le 4 avril 2018, le renouvellement de son titre de séjour en qualité de travailleur saisonnier lui ayant été refusé. Cet arrêté n'a pas été exécuté et il s'est donc maintenu irrégulièrement sur le sol national. Par suite il se trouvait, comme l'a justement indiqué le préfet, dans le cas prévu au 3° du I des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider de prononcer une obligation de quitter le territoire français.
5. En troisième lieu, le requérant persiste à soutenir qu'il devrait se voir attribuer un titre de séjour de plein droit sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne peut donc faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Toutefois, ainsi que l'a jugé à bon droit le premier juge, s'il se prévaut de l'absence de lien familial au Maroc et de son concubinage depuis plus de deux ans avec une compatriote titulaire d'une carte de résident, et indique qu'il vit depuis 6 ans sur le territoire sans être défavorablement connu des services de police, il ne produit pas davantage en appel qu'en première instance de document de nature à corroborer ses dires. Il s'est par ailleurs maintenu en situation irrégulière sur le sol français et ne justifie d'aucune démarche qui aurait permis de régulariser sa situation. Dans ces conditions, il n'est pas dans une situation lui permettant d'obtenir un titre de séjour de plein droit. Pour les mêmes motifs, l'obligation de quitter le territoire français ne porte pas au droit de M. A... E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. En quatrième lieu, la décision d'éloignement ayant été prise avant les mesures de confinement général, elle n'apparaît pas en tout état de cause contraire aux impératifs de la santé publique.
7. En cinquième lieu si M. A... E... soutient qu'il était dans l'impossibilité de quitter le territoire français dès lors que ce déplacement n'entre pas dans le champ des exceptions à l'interdiction de déplacements hors du domicile prévues par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, cette circonstance postérieure à la décision attaquée est sans incidence sur sa légalité, qui doit s'apprécier à la date à laquelle elle a été prise. Il en va de même de la fermeture des frontières entre la France et le Maroc, intervenue le 14 mars 2020.
Sur la légalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire :
8. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ; f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts ; h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français.(...) ".
9. En premier lieu, M. A... E... reprend en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance, et sans critiquer utilement les réponses apportées par le premier juge, les moyens tirés de ce qu'il n'est pas établi qu'il existe un risque qu'il se soustraie à la décision attaquée et qu'il n'existe aucune obligation de ne pas accorder un délai de départ de 30 jours. Dès lors, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
10. En deuxième lieu, si M. A... E... soutient qu'en raison de l'épidémie de covid-19 les frontières sont fermées et qu'il n'y aurait rétablissement des liaisons aériennes avec le Maroc que le 10 juillet, cette circonstance est seulement susceptible de modifier, le cas échéant, les conditions de l'exécution de cet arrêté, mais demeure sans incidence sur sa légalité, qui s'apprécie, ainsi qu'il a été dit, à la date à laquelle il a été pris.
Sur l'interdiction de retour :
11. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
12. Il résulte des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur depuis le 1er novembre 2016, que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ volontaire, ou lorsque l'étranger n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour satisfaire à cette obligation, il appartient au préfet d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. La durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au paragraphe III de l'article L. 511-1 précité, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
13. Il ressort de la décision attaquée que, pour édicter la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans à l'encontre de M. A... E..., la préfète de la Gironde s'est fondée sur ce qu'il s'est maintenu irrégulièrement en France dans le seul but de s'y installer et s'oppose à tout retour dans son pays d'origine, qu'il est sans ressources légales sur le territoire national, qu'il ne justifiait pas de la nature et de l'ancienneté de ses liens familiaux en France, et qu'il s'est soustrait à la mesure d'éloignement précédemment prise à son encontre. Au regard de l'ensemble de ces éléments, qui sont corroborés par les pièces du dossier, M. A... E... ne justifiait pas de circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français, les conditions dans lesquelles il pourrait être soigné dans son pays au cas où il contracterait la maladie Covid 19, relevant d'une simple hypothèse, ne pouvant utilement être invoquées. Dans ces conditions, et alors même qu'il ne trouble pas l'ordre public, la préfète de la Gironde n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en prononçant à l'encontre de M. A... E... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur la décision d'assignation à résidence :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. A... E... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai pour soutenir que la décision d'assignation à résidence serait elle-même illégale.
15. En second lieu, pour soutenir que son éloignement ne demeure pas une perspective raisonnable, le requérant se prévaut de la situation sanitaire due à l'épidémie de coronavirus rendant son départ impossible, les liaisons aériennes ayant été suspendues par les autorités marocaines le 14 mars 2020. Toutefois, à la date à laquelle la décision litigieuse a été prise, le 12 mars 2020, il n'apparaît pas, eu égard à la durée nécessairement temporaire des dispositions exceptionnelles mises en oeuvre, qui ont dans un premier temps été annoncées pour 15 jours, et compte tenu de la durée de quarante-cinq jours de l'assignation à résidence, qu'en estimant que l'éloignement de M. A... E... restait une perspective raisonnable, la préfète de la Gironde aurait méconnu sur ce point les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine D..., président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
Mme Kolia Gallier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.
La présidente-assesseure,
Anne Meyer La présidente, rapporteure
Catherine D...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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20BX01672