Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2019, M. D..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 juillet 2019 ;
3°) d'annuler l'arrêté du 19 avril 2019 de la préfète de la Gironde ;
4°) d'enjoindre à la préfète de lui remettre son titre de séjour par le biais des services pénitentiaires ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la préfète devra justifier de la délégation de compétence donnée au signataire de l'acte attaqué ;
- il a été privé d'une garantie dès lors que la procédure préalable contradictoire à la décision de retrait du titre de séjour n'a pas été respectée ;
- en ce qui concerne la décision de retrait du titre de séjour :
- elle méconnaît le principe à valeur constitutionnelle de la présomption d'innocence alors que les seuls faits sur lesquels a entendu se fonder la préfète pour établir l'existence d'une menace à l'ordre public ne sont pas établis, ont été contestés quant à leur existence même et à leur qualification et sont couverts par le secret de l'instruction ; c'est donc à tort que les premiers juges n'ont pas pris en compte l'ensemble des éléments du dossier pour apprécier la menace réelle à l'ordre public qu'il aurait représentée, alors que le préfet n'a, à aucun moment, produit d'éléments de nature à établir les faits reprochés et que le seul fait d'être placé en détention provisoire ne crée pas une présomption de culpabilité ou de menace pour l'ordre public ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il n'a jamais fait l'objet d'aucune condamnation, qu'il était titulaire d'un titre de séjour pluriannuel et disposait d'un emploi depuis juillet 2016 et que son épouse ainsi que ses quatre enfants, qui l'ont rejoint en France, viennent régulièrement le voir en maison d'arrêt depuis son incarcération préventive, le 13 juillet 2018 ; sa famille ne saurait être regardée comme constituant une charge pour la société alors que la demande de titre de séjour de Mme D... était en bonne voie d'aboutissement avant la survenance de cette décision de retrait du titre ; c'est à tort que le tribunal n'a pas pris en considération l'ensemble des éléments caractérisant sa vie privée et familiale ;
- la préfète a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision de retrait du titre de séjour méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 et porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses quatre enfants mineurs ; c'est également à tort que le tribunal a considéré que la cellule familiale pouvait se reconstituer au Maroc alors qu'il est actuellement incarcéré ;
- en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants ;
- la décision lui refusant tout de délai de départ volontaire est entachée d'une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
- en ce qui concerne, enfin, l'interdiction de retour sur le territoire français pendant trois ans : elle n'est pas justifiée et porte atteinte au respect des droits de la défense au cas où il serait libéré avant son procès ; elle est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2019, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2019/017846 du 24 octobre 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée,
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., de nationalité marocaine, né le 15 décembre 1974, a indiqué être entré en France le 10 août 2015, titulaire d'une carte de résident " longue durée " délivrée par les autorités espagnoles. Il a ensuite obtenu la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en qualité de salarié ouvrier agricole, ce titre étant valable du 5 avril 2017 au 4 avril 2018, puis la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle en qualité de salarié sur le fondement des articles L. 313-17 et L. 313-18 du même code, valable du 26 juin 2018 au 25 juin 2022. Cependant, à la suite de son placement en détention provisoire à compter du 13 juillet 2018 au regard d'une enquête sur des faits de viol commis sur une personne vulnérable, la préfète de la Gironde, par un arrêté du 19 avril 2019, a décidé de lui retirer son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de renvoi, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. M. D... relève appel du jugement du 11 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 19 avril 2019.
Sur la demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. M. D... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 octobre 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux, cette demande est devenue sans objet et il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
Sur la légalité de l'arrêté de la préfète de la Gironde du 19 avril 2019 :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusée ou retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ". L'autorité administrative ne peut opposer un refus à une telle demande ou retirer la carte dont un étranger est titulaire qu'au regard d'un motif d'ordre public suffisamment grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur. Il appartient ainsi à cette autorité d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle et actuelle pour l'ordre public, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration. Lorsque l'administration oppose ce motif pour refuser de faire droit à une demande de délivrance ou de renouvellement d'une carte de séjour temporaire ou retirer une carte de séjour, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par lettre recommandée du 7 mars 2019, notifiée le 11 mars suivant, la préfète de la Gironde a informé le requérant de ce qu'elle entendait, sur le fondement de l'article L. 313-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, retirer la carte de séjour pluriannuelle dont il était titulaire au motif qu'il était placé en détention provisoire depuis le 13 juillet 2018 pour des faits de " viol commis sur une personne vulnérable, avec quantum de validité de 12 mois ". Cette même lettre indiquait à M. D... qu'il disposait d'un délai de quinze jours pour faire parvenir ses observations en retour. Par une lettre du 20 mars 2019, l'appelant, assisté d'un conseil, a présenté ses observations dont il ressortait, comme l'a relevé le préfet dans sa décision, que M. D..., tout en invoquant la présomption d'innocence jusqu'à ce qu'il soit jugé, reconnaissait avoir fait " une erreur " qu'il " regrettait ". Dans ces conditions, compte tenu de la gravité des faits ainsi reprochés et reconnus par l'intéressé, et alors même que M. D..., qui est le père de quatre enfants mineurs l'ayant rejoint récemment en France accompagnés de son épouse, n'aurait pas été connu défavorablement des services de police et n'aurait pas fait l'objet de condamnation pénale, la préfète de la Gironde n'a pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce en considérant qu'à la date de la décision attaquée, l'intéressé représentait une menace pour l'ordre public. Par suite, elle pouvait légalement, sur le fondement des dispositions précitées, sans méconnaître le principe de présomption d'innocence ni être tenue d'attendre l'issue des poursuites pénales engagées contre M. D..., décider de lui retirer son titre de séjour pluriannuel en qualité de salarié.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Il ressort des pièces du dossier que si M. D... s'est prévalu de ce qu'il a bénéficié d'une carte de séjour temporaire en qualité de salarié valable du 5 avril 2017 au 4 avril 2018, puis d'une carte de séjour pluriannuelle valable pour une durée de quatre ans, à compter du 26 juin 2018, il est constant, ainsi qu'il vient d'être dit, qu'il a été placé en détention provisoire au regard d'une enquête pour des faits de viol sur personne vulnérable à compter du 13 juillet 2018 avec quantum de validité de 12 mois, faits pour lesquels il a reconnu avoir commis " une erreur ". Par ailleurs, si son épouse, de nationalité marocaine et ses quatre enfants mineurs résident avec lui sur le territoire français depuis le mois de mai 2017, il ressort des pièces du dossier, comme l'ont souligné les premiers juges, que, d'une part, Mme D... faisait l'objet, à la date de la décision attaquée, d'une mesure portant obligation de quitter le territoire français prise le même jour, d'autre part, que les quatre enfants mineurs du couple ont la même nationalité que leurs parents, de sorte que la cellule familiale pourra, à l'issue de la période de détention de M. D..., se reconstituer dans le pays d'origine ou bien en Espagne, où résidaient, jusqu'en 2017, Mme D... et ses enfants, où le requérant demeure titulaire d'un titre de séjour en cours de validité et d'un lieu de résidence, et où vivent, notamment, la mère de l'intéressé et deux membres de sa fratrie. Si le requérant a soutenu avoir exercé une activité salariée en contrat à durée indéterminée depuis le 4 juillet 2016, outre ce qui a été précédemment exposé, il ne justifie pas de liens d'une particulière intensité sur le territoire français et n'établit pas davantage être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de 36 ans et où résident toujours son père et quatre de ses frères et soeurs. Par suite, comme l'ont à bon droit souligné les premiers juges, compte tenu tant des conditions que du caractère récent du séjour en France de M. D..., ainsi que de sa situation familiale, la décision attaquée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par cette mesure et n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation.
7. En troisième lieu, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant stipule que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
8. M. D... a soutenu que la décision attaquée méconnaissait l'intérêt supérieur de ses quatre enfants mineurs, nés de son union avec Mme C.... Toutefois, compte tenu du jeune âge de ceux-ci et de la possibilité de reconstituer la cellule familiale au Maroc, pays d'origine de M. D... et de son épouse, ou dans tout autre pays dans lequel le requérant établirait être légalement admissible, notamment en Espagne, la décision en litige, qui n'avait en elle-même ni pour objet ni pour effet de séparer l'intéressé de ses enfants, ne pouvait être regardée comme ayant méconnu les stipulations de l'article 3-1 précité de la convention internationale des droits de l'enfant.
9. En dernier lieu, M. D... se borne à reprendre en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance et sans critiquer la réponse qui lui a été apportée par le tribunal administratif, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'incompétence de son signataire et de ce que la décision procédant au retrait du titre de ce séjour aurait été édictée en méconnaissance du principe du contradictoire. Il en va de même des moyens tirés de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait dépourvue de base légale, méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation. Il en va également ainsi s'agissant des moyens tirés par M. D... de ce que la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire aurait fait une inexacte application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de ce que la décision lui interdisant le retour sur le territoire français porterait atteinte au respect des droits de la défense et serait entachée d'une erreur d'appréciation de sa situation personnelle. L'appelant n'apportant aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le tribunal administratif sur l'ensemble de ces moyens, il y a lieu de les écarter par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
10. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Gironde du 19 avril 2019. Par voie de conséquence, les conclusions qu'il présente à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. D... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
M. Thierry B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.
Le rapporteur,
Thierry B...Le président,
Catherine Girault
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
No 19BX02817