1°) d'annuler le jugement du 15 octobre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de titre de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme
de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de séjour a été pris en méconnaissance des dispositions de
l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
il ressort du rapport du référent fraude de la préfecture que le père de son fils est français ; la circonstance qu'il ne participe pas à l'éducation de cet enfant, et celle qu'il ne souhaite pas vivre avec elle, ne remettent pas en cause ce lien de filiation ;elle participe à l'entretien et à l'éducation de ses deux enfants, dont l'un est français ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; en effet, elle fait l'objet d'une mesure de contrôle judiciaire qui lui interdit de quitter le département de la Gironde ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée et repose sur une appréciation erronée de sa situation ; elle est entrée en France en 2011, a fourni des efforts d'intégration et est mère de deux enfants nés en France, la décision omettant de mentionner le second ; elle contribue à leur éducation et à leur entretien.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 mai 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête, présentée après l'expiration du délai d'appel, est irrecevable ;
- sur le fond, il s'en remet à ses écritures produites en première instance.
Par une ordonnance du 6 mai 2019, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 mai 2019 à 12h00.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une
décision du 24 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante nigériane née le 7 février 1986, entrée en France en 2011 selon ses déclarations, a sollicité le 14 décembre 2016 la délivrance d'un titre de séjour en qualité de mère d'un enfant français, prénommé B... et né le 4 novembre 2016.
Par un arrêté du 4 juin 2018, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité au motif que la reconnaissance de paternité du jeune B... par un ressortissant français présentait un caractère frauduleux, et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Mme D... fait appel du jugement
du 15 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Gironde :
2. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a présenté le 13 novembre 2018 une demande d'aide juridictionnelle, soit avant l'expiration du délai d'appel d'un mois fixé par l'article R. 776-9 du code de justice administrative. L'intéressée a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 24 janvier 2019, et aucune pièce du dossier ne permet d'établir la date de notification de cette décision. Par suite, le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que la requête enregistrée le 14 février 2019 serait tardive.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 313-11du CESEDA, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ".
4. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire,
il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés.
Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou après l'attribution de ce titre, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait.
5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport d'entretien établi
le 11 janvier 2018 par le référent " fraude " de la préfecture de la Gironde, que le ressortissant français qui a reconnu le jeune B... a également reconnu trois autres enfants de trois mères différentes, et n'a jamais mené de vie commune avec Mme D... ni participé à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Cependant, de tels éléments ne sont pas de nature à démontrer que ce ressortissant français ne serait pas le père biologique du jeune B.... A cet égard,
il ressort du même rapport d'entretien que l'intéressé a déclaré avoir entretenu une relation avec la requérante durant quelques mois et lui avoir demandé d'interrompre sa grossesse, demande révélant qu'il considérait être le père biologique de l'enfant à naître.
Enfin, les divergences entre les déclarations de Mme D... et ce ressortissant français sur certains détails de leur relation, qui ont conduit le référent fraude à estimer que cette paternité était " douteuse ",ne suffisent pas à établir de manière certaine le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité litigieuse. Le refus de titre de séjour en litige repose ainsi sur une inexacte application des dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La requérante est fondée, pour ce motif, à en demander l'annulation. Cette annulation entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français, fixant le délai de départ volontaire, désignant le pays de renvoi et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018: " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. / Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de
l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ".
8. Il est constant que l'auteur de la reconnaissance de paternité du jeune B..., fils de Mme D..., ne contribue pas effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant. En vertu des dispositions désormais applicables du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas nécessairement qu'un titre de séjour soit délivré à Mme D..., mais seulement que le préfet de la Gironde réexamine son droit au séjour au regard du respect de sa vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur de son enfant. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder à ce nouvel examen dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions combinées de
l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de quelque somme que ce soit au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1802878 du 15 octobre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du 4 juin 2018 du préfet de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la demande de titre de séjour de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2019.
Le rapporteur,
Marie-Pierre E...Le président,
Catherine GiraultLe rapporteur,
Marie-Pierre E...Le président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
Le greffier,
Vanessa BEUZELIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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