Par un jugement n° 1603950 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'ONIAM à verser à la succession de D... B... une somme globale de 20 000 euros, à M. B... une somme de 35 584,30 euros et à Mme A... B... une somme globale de 22 000 euros, a mis à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 février 2019 devant la cour administrative d'appel de Nantes, dont le jugement a été attribué à la cour administrative d'appel de Bordeaux par une ordonnance n° 428645 du 17 août 2019 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, et un mémoire enregistré le 28 décembre 2020, l'ONIAM, représenté par Me Joliff, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il l'a condamné à verser des indemnités aux consorts B... ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts B... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- les dommages invoqués ne peuvent être considérés comme des conséquences anormales au regard de l'état de santé de D... B... comme de son évolution prévisible ; les conditions d'une réparation au titre de la solidarité nationale ne sont ainsi pas remplies ;
- 80 % des patients décédant dans un délai de 0 à 5 ans suivant la découverte d'un cancer de l'œsophage, l'évolution prévisible de l'état de santé de D... B... sans traitement chirurgical était, à court terme, le décès ; si le pronostic vital n'était pas engagé dans l'immédiat, il l'était dans un laps de temps court ; l'intervention a d'ailleurs été programmée un mois seulement après l'établissement du diagnostic ; seule cette intervention permettait d'espérer une survie longue éventuelle, et il n'existait pas d'alternative thérapeutique ; si les consorts B... font valoir que D... B... était éligible à des séances de radiothérapie ou de chimiothérapie, ils ne produisent pas d'élément médical remettant en cause l'analyse de l'expert, selon laquelle la voie chirurgicale était l'unique traitement envisageable ; le tribunal ne pouvait pas s'en tenir à la comparaison entre l'état préopératoire et l'état postopératoire de la patiente, mais devait examiner les conséquences suffisamment probables de la pathologie en les comparant avec celles ayant résulté de l'accident médical ; il résulte des conclusions de l'expert que seulement 20% des patients ont une chance de survie après un traitement chirurgical, de sorte que les chances de survie sans traitement sont réduites à néant ;
- le critère subsidiaire d'anormalité du dommage, tenant à la faible probabilité de sa survenance, n'est pas davantage rempli ; le risque de mortalité par fistule ou nécrose, de 5 à 8 % selon l'expert, était en outre majoré en raison du surpoids de D... B... ; l'expert a précisé que le risque de décès en cas de médiastinite était de 50 % ; une nouvelle expertise sur ce point ne présenterait donc aucune utilité.
Par des mémoires, enregistrés les 18 février, 9 juin et 9 décembre 2020, la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF demande à la cour d'annuler le jugement du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHU de Rennes à l'indemniser, de condamner cet établissement à lui verser une somme de 81 437 euros au titre des dépenses de santé exposées au profit de D... B... et de l'allocation versée à la suite du décès de cette dernière, ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et de mettre à la charge du CHU de Rennes une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- ses conclusions d'appel ont le caractère d'un appel incident ; elles ne soulèvent pas un litige distinct de l'appel principal et pouvaient être présentées après l'expiration du délai d'appel ;
- sa créance s'élève à 73 068 euros au titre des dépenses de santé exposées au profit de D... B... et à 8 369 euros au titre de l'allocation versée à M. B... à la suite du décès de son épouse, soit une somme totale de 81 437 euros ; elle a droit au versement d'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par des mémoires enregistrés les 26 mai 2020 et 1er janvier, 3 février et 5 février 2021, M. C... B... et Mme A... B..., représentés par Me Collart, concluent au rejet de la requête de l'ONIAM et à la mise à la charge de cet office d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou, à titre subsidiaire, à ce qu'une expertise médicale soit ordonnée aux fins de déterminer la probabilité de survenance du dommage, et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner le CHU de Rennes, ou à défaut celui-ci solidairement avec l'ONIAM, à leur verser une somme totale de 105 584,30 euros, avec intérêts au taux légal à compter de leur réclamation préalable ou à défaut de l'enregistrement de la requête, et capitalisation des intérêts, de mettre à la charge du CHU de Rennes, ou à défaut de celui-ci solidairement avec l'ONIAM, une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et d'ordonner au besoin une expertise médicale portant sur le suivi médical de D... B... au sein des services de réanimation et de chirurgie digestive de l'établissement dans les suites de l'intervention chirurgicale pratiquée le 11 juillet 2011.
Ils soutiennent que :
- la condition d'anormalité du dommage à laquelle est subordonnée une indemnisation au titre de la solidarité nationale est en l'espèce satisfaite ; l'évolution prévisible de l'état de santé sans traitement s'apprécie à court terme ; si l'expert a indiqué que les chances de survie des patients atteints d'un cancer de l'œsophage étaient de 20 % à 5 ans, ce taux de survie, certes faible, n'est pas exceptionnel ; une durée de survie de 5 ans ne constitue pas un court terme ; l'expert précise d'ailleurs que certains patients atteints de tumeurs évoluées ont des chances inespérées de survie ; D... B..., décédée quatre semaines seulement après sa prise en charge chirurgicale, ne courait pas un risque de mort imminente en l'absence de traitement ; son cancer, diagnostiqué précocement, était classé T2N0R0, sans lésion suspecte ganglionnaire tant à l'étage médiatisnal qu'abdominal et sans métastases ; aucun processus tumoral n'était donc identifiable ; il s'est écoulé un délai supérieur à deux mois entre le diagnostic et l'intervention, qui n'a donc pas été réalisée en urgence ; il existait en outre une alternative thérapeutique à la chirurgie, consistant en une radiochimiothérapie exclusive, traitement qui avait d'ailleurs été proposé à D... B... et que cette dernière a écarté au motif qu'elle ignorait les moindres performances d'une chirurgie ; l'intervention chirurgicale, qui a conduit à son décès prématuré, a ainsi entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de ce traitement ;
- la condition d'anormalité du dommage est en tout état de cause satisfaite au regard de la faible probabilité de survenance du dommage ; il convient de prendre en compte non pas le risque, apprécié globalement, de l'intervention, mais celui qui est à l'origine de l'accident ; or, D... B... n'est pas décédée à cause de la survenue d'une fistule, mais des suites d'une médiastinite secondaire à cette fistule ; aucun élément au dossier ne permet d'évaluer le risque de décès consécutif à une médiastinite secondaire au type d'intervention en l'espèce pratiquée ; à supposer même que la présence de la fistule soit regardée comme étant la cause du décès, l'expert a repris leurs déclarations sur le risque global de mortalité de 5 à 8 % tel qu'il leur avait été présenté, sans préciser le pourcentage de mortalité consécutive à la survenance d'une fistule ; une nouvelle expertise est nécessaire pour déterminer l'occurrence du risque qui s'est, en l'espèce, réalisé ;
- leur appel provoqué dirigé à l'encontre du centre hospitalier, qui ne soulève pas un litige distinct de l'appel principal, est recevable ; la circonstance que l'établissement n'ait pas été condamné en première instance est sans incidence sur la recevabilité de leur appel provoqué ;
- le CHU de Rennes a manqué à son devoir d'information et n'a pas recueilli le consentement éclairé de D... B... à l'intervention chirurgicale ; l'information délivrée par cet établissement à la patiente était incomplète ; elle n'a pas été informée des chances de guérison à 5 ans que lui offrait l'intervention chirurgicale, en prenant en compte le risque opératoire, et de l'alternative thérapeutique consistant en un traitement par radiothérapie et chimiothérapie ; elle a consenti à l'intervention chirurgicale dans l'ignorance des perspectives réelles de survie à 5 ans des différents traitements envisageables ; si elle a été informée du risque global de décès pour ce type d'intervention chirurgicale, elle n'a pas été informée ni du taux de risque de survenue d'une fistule, ni de la majoration du risque de décès du fait de son surpoids ; elle n'a pas davantage été informée du risque de décès par l'évolution d'une médiastinite, ni même du risque infectieux, en particulier d'infection pulmonaire ; outre son caractère incomplet, l'information qui lui a été donnée était erronée s'agissant des chances de survie à 5 ans ; elle aurait pu prendre une autre décision si elle avait été dûment informée des moindres performances de ce traitement ; alors que le chirurgien lui avait expliqué qu'il pratiquerait une anastomose œso-gastrique, l'autopsie a révélé qu'il avait réalisé une anastomose œso-colique ;
- des fautes médicales ont été commises dans la prise en charge; la fistule, identifiée dans la nuit du 12 au 13 juillet 2011, n'a été traitée que le 3 août suivant ; l'antibiothérapie mise en place le 12 juillet 2011 a été arrêtée dès le 19 juillet ; l'intervention du 22 juillet 2011 visait seulement au traitement des complications infectieuses, et non au traitement de la fistule, contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges ; malgré la médiastinite constatée le 22 juillet 2011, aucune nouvelle antibiothérapie probabiliste n'a été mise en place ; la présence, le 29 juillet 2011, d'un pseudomonas souche Ticar S, n'a pas davantage conduit à la mise en place d'une antibiothérapie, et aucune hémoculture n'a été pratiquée jusqu'au 3 août puis à partir du 4 août; alors qu'un nouvel écoulement purulent puis digestif a été constaté le 30 juillet, confirmant la récidive de la fistule, l'intervention de mise en place d'une endoprothèse n'a été réalisée que le 3 août suivant, en dépit de l'état critique de D... B... ; le retard de reprise chirurgicale est imputable au départ en congés du praticien l'ayant opérée ; un autre praticien du CHU de Rennes a reconnu que la fistule n'avait pas été correctement traitée ; les examens médicaux qui auraient permis de constater la récidive de la médiastinite n'ont pas non plus été réalisés ;
- eu égard à la gravité des infections suivant l'intervention, à la remontée de la fièvre constatée dans la matinée du 4 août 2011 et au doute sur l'étanchéité de l'endoprothèse, D... B... n'aurait pas dû être transférée dans le service de chirurgie digestive, mais au contraire rester dans le service de réanimation, afin de bénéficier d'une surveillance renforcée, qui aurait permis de prendre en charge la médiastinite des suites de laquelle elle est décédée ;
- D... B... n'a pas bénéficié de soins adaptés au sein du service de chirurgie digestive ; alors qu'elle présentait, le 8 août 2011 à 22h55, une forte fièvre et un encombrement bronchique, l'infirmière n'a alerté ni son supérieur de garde ni le service de réanimation, et n'a pas prodigué des soins adaptés ni anticipé l'aggravation rapide de l'état de D... B..., dont le décès a été constaté à 3 heures 30 ;
- une faute technique a été commise dans l'exécution du geste chirurgical ; il résulte du rapport d'autopsie que le chirurgien a réalisé, non pas l'anastomose œso-gastrique qui était prévue, mais une anastomose œso-colique, qui présente un risque plus élevé d'apparition d'une fistule ; ils ne peuvent établir la faute par d'autre moyen qu'en s'appuyant sur ce rapport d'autopsie, et le dossier médical ne comporte pas de compte-rendu de l'intervention chirurgicale ;
- au regard de ces éléments, il convient à tout le moins d'ordonner une expertise portant sur le suivi médical de D... B... ;
- D... B... a enduré des souffrances physiques, évaluées à 5/7 par l'expert, et subi un préjudice moral d'impréparation ; ses préjudices doivent être évalués à la somme totale de 35 000 euros ; elle a également subi un déficit fonctionnel temporaire qui doit être évalué à 3 000 euros ;
- M. B... a exposé, du fait du décès de son épouse, des frais d'obsèques et de sépulture d'un montant total de 3 584, 30 euros ; il était marié avec D... B... depuis 33 ans ; alors qu'il avait opté pour une cessation progressive de son activité professionnelle à partir du 1er janvier 2011, il a dû reprendre cette activité à temps complet à partir du 16 janvier 2012 afin de rompre son isolement ; les troubles qu'il a ainsi subis dans ses conditions d'existence doivent être évalués à 40 000 euros ;
- Mme A... B..., enfant unique dont la mère est décédée quelques semaines seulement après la naissance de son fils, a été contrainte de se mettre en arrêt de travail puis d'opter pour un arrêt temporaire de ses activités professionnelles de septembre à décembre 2011 ; les troubles qu'elle a ainsi subis dans ses conditions d'existence doivent être évalués à 20 000 euros ;
- le jeune E... F... B..., avec qui D... B... avait commencé à lier une relation, a subi du fait du décès de sa grand-mère un préjudice qui doit être évalué à 4 000 euros.
Par des mémoires enregistrés les 2 novembre 2020 et 21 janvier 2021, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet des conclusions des consorts B... et de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF dirigées à son encontre.
Il soutient que :
- les conclusions des consorts B... et de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF dirigées à son encontre, présentées après l'expiration du délai d'appel, sont irrecevables ; l'appel principal de l'ONIAM, dirigé contre le jugement en tant qu'il l'a condamné à indemniser les préjudices des consorts B..., n'a pas pu avoir pour effet de l'attraire à l'instance d'appel en qualité de défendeur ; il doit être regardé comme ayant été simplement été mis en cause comme observateur ;
- ces conclusions soulèvent en outre un litige distinct de l'appel principal, relatif au droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
- le sort de la caisse est insusceptible d'être aggravé par l'admission de l'appel principal ou des conclusions d'appel des consorts B... ;
- D... B... a bien été informée du risque principal de la chirurgie œsophagienne, de la majoration de risque en raison de son surpoids, des autres solutions thérapeutiques possibles et des meilleures chances de survie à la suite d'un traitement chirurgical ; à supposer établie l'existence d'un manquement au devoir d'information, elle n'a perdu aucune chance de se soustraire à l'acte chirurgical compte tenu de son état de santé, de son évolution prévisible et de l'absence d'alternative thérapeutique ;
- aucune faute médicale n'a été commise dans la prise en charge;
- ainsi que l'a relevé l'expert, aucune faute technique n'a été commise lors de l'intervention ; la mention, dans le compte-rendu d'autopsie, d'une anastomose oeso-colique, est une erreur de plume ;
- les consorts B... n'apportent aucun élément médical à l'appui de leur argumentation relative aux fautes prétendument commises dans le suivi post-opératoire ;
- ils ne démontrent pas davantage le caractère prétendument prématuré du transfert de D... B... dans le service de chirurgie digestive, au sein duquel ont été mis en place une surveillance et des soins adaptés.
Par une ordonnance du 9 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mars 2021.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience
Ont été entendus au cours de l'audience publique
- le rapport de Mme Beuve Dupuy, première conseillère,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ravaut, représentant l'ONIAM, et de Me Collart, représentant les consorts B..., en présence de M. C... B... et de Mme A... B....
Considérant ce qui suit :
1. D... B..., atteinte d'un carcinome épidermoïde du tiers inférieur de l'œsophage classé T2N0 diagnostiqué en mai 2011, a subi le 11 juillet 2011, au sein du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes, une intervention chirurgicale d'œsophagectomie avec gastrolyse, jéjunostomie et anastomose œsogastrique. Dans la nuit du 12 au 13 juillet 2011, elle a présenté une détresse respiratoire liée au lâchage explosif de l'anastomose. Une antibiothérapie a été mise en place jusqu'au 19 juillet suivant. Le 22 juillet 2011, elle a subi une intervention chirurgicale de reprise pour sepsis, consistant en l'évacuation d'une collection abdominale, une toilette péritonéale et un drainage péricardique. Une fibroscopie réalisée le 3 août 2011 a mis en évidence une récidive de la fistule avec nouveau lâchage de l'anastomose, et une endoprothèse a alors été mise en place. Le 8 août 2011, D... B... a été transférée du service de réanimation vers celui de chirurgie digestive. Le soir même, vers 23 heures, elle a présenté de la fièvre et un encombrement bronchique. Son décès a été constaté le 9 août, vers 2h30. Selon une autopsie réalisée le jour même, D... B... est décédée des suites d'une médiastinite.
2. M. C... B..., son époux, agissant en son nom propre et en qualité d'ayant-droit de D... B..., et Mme A... B..., sa fille, agissant en son nom propre, en qualité d'ayant-droit de D... B... et en qualité de représentante légale de son fils mineur E... F... B..., ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner solidairement le CHU de Rennes et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser une somme totale de 97 055,49 euros en réparation des préjudices liés à la prise en charge de D... B.... La caisse de prévoyance et de retraite de la SNCF a demandé au tribunal administratif de condamner le CHU de Rennes à lui verser une somme de 81 437 euros au titre de ses débours ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal a estimé que le CHU de Rennes n'avait commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité et que les conditions d'indemnisation des conséquences dommageables d'un accident médical au titre de la solidarité nationale étaient remplies. Le tribunal a condamné l'ONIAM à verser à la succession de D... B... une somme globale de 20 000 euros, à M. B... une somme de 35 584,30 euros et à Mme A... B... une somme de 22 000 euros, a mis à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties. L'ONIAM relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné. M. C... B... et Mme A... B... concluent au rejet de l'appel de l'ONIAM et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué, de condamner le CHU de Rennes, ou subsidiairement le centre hospitalier et l'ONIAM, à leur verser une somme totale de 105 584, 30 euros, avec intérêts et capitalisation des intérêts.
Sur la recevabilité des conclusions d'appel de la caisse de prévoyance et de retraite de la SNCF :
3. Le jugement du tribunal administratif de Rennes, notifié à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF le 26 décembre 2018, a condamné l'ONIAM à indemniser les consorts B... et rejeté la demande de la caisse tendant à la condamnation du CHU de Rennes à l'indemniser au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion. Ainsi, l'appel de l'ONIAM n'est pas susceptible d'aggraver la situation de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF. Les conclusions d'appel de cette dernière, tendant à la réformation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande dirigée contre le CHU de Rennes, présentent le caractère d'un appel principal. Ces conclusions ont été enregistrées le 18 février 2020, postérieurement à l'expiration du délai d'appel. Par suite, elles sont irrecevables.
Sur l'appel principal de l'ONIAM :
4. Il résulte des dispositions combinées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et de l'article D. 1142-1 du même code que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit notamment être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Il en va ainsi des troubles, entraînés par un acte médical, survenus chez un patient de manière prématurée, alors même que l'intéressé aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l'évolution prévisible de sa pathologie.
5. Il résulte de l'instruction que, lors de l'établissement du diagnostic en mai 2011, le cancer de l'œsophage dont souffrait D... B... était à un stade précoce et non métastasique. Son pronostic vital n'était ainsi pas engagé à court terme, et l'intervention chirurgicale d'œsophagectomie a d'ailleurs été programmée, non pas en urgence comme le soutient l'ONIAM, mais deux mois après la découverte de la tumeur. De plus, si l'expertise diligentée par la Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) indique que l'œsophagectomie était la " meilleure solution thérapeutique ", il résulte de l'instruction qu'il existait une alternative consistant en une radiochimiothérapie sans chirurgie, traitement qui avait été proposé à la patiente lors d'une réunion de concertation pluridisciplinaire au sein de l'établissement de santé l'ayant initialement prise en charge en soulignant qu'un tel traitement " peut guérir sans risque opératoire ". Dans ces conditions, et alors même que le taux global de survie à moyen terme des patients atteints d'un cancer de l'œsophage serait relativement faible, le lâchage de l'anastomose survenu dans la nuit du 12 au 13 juillet 2011 et ayant entraîné un processus infectieux des suites duquel D... B... est décédée le 9 août suivant, est à l'origine du décès prématuré de l'intéressée. Ainsi que l'ont estimé les premiers juges, cet accident médical a ainsi, dans les circonstances de l'espèce, eu des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles D... B... était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de l'acte chirurgical en cause.
6. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal l'a condamné à indemniser les consorts B... en application du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.
Sur l'appel provoqué des consorts B... à l'encontre du CHU de Rennes :
7. Un appel provoqué est recevable dès lors que l'appel principal est accueilli, que les conclusions ne soulèvent pas un litige distinct et que la décision rendue sur l'appel principal est susceptible d'aggraver la situation de l'auteur de l'appel provoqué. L'appel principal présenté par l'ONIAM étant rejeté, l'appel provoqué des consorts B... à l'encontre du CHU de Rennes est irrecevable et doit être également rejeté.
Sur l'appel incident des consorts B... relatif au montant de la réparation due par l'ONIAM :
En ce qui concerne les préjudices subis par D... B... :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise diligentée par la CCI, d'une part, que D... B... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 11 juillet 2011, date de son hospitalisation, au 9 août suivant, date de son décès, d'autre part, que l'intervention pratiquée le 11 juillet 2011 aurait nécessité, en dehors de toute complication, une hospitalisation d'une durée de 15 à 20 jours. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel total en lien avec l'accident médical en l'évaluant à la somme de 200 euros.
9. En deuxième lieu, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par D... B..., estimées par l'expert à 5/7, en les évaluant à 13 500 euros.
10. Enfin, le préjudice d'impréparation et le préjudice ayant résulté pour D... B... de la douleur morale éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite, que les consorts B... imputent à des fautes commises par le centre hospitalier, ne trouvent pas leur origine dans l'accident médical survenu.
11. Il résulte de ce qui précède que les consorts B... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal leur a alloué, en leur qualité d'ayant-droits de D... B..., une somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis par cette dernière.
En ce qui concerne les préjudices propres subis par les consorts B... :
S'agissant des préjudices subis par M. C... B... :
12. Le tribunal a alloué à M. C... B..., époux H... D... B..., une somme de 3 584,30 euros au titre des frais funéraires et une somme de 32 000 euros en réparation de son préjudice d'affection. Ces montants n'étant pas contestés en appel, il y a lieu de confirmer le jugement sur ces points.
13. M. B... fait valoir devant la cour qu'il a reporté son départ en retraite, initialement prévu au 1er juillet 2012 dans le cadre d'une cessation progressive d'activité, au 30 septembre suivant, afin de ne pas s'isoler socialement alors qu'il endurait le deuil de son épouse. Cette prolongation temporaire de son activité professionnelle ne caractérise cependant pas des troubles dans ses conditions d'existence. Ses conclusions tendant à l'indemnisation d'un tel préjudice ne peuvent dès lors être accueillies.
S'agissant des préjudices subis par Mme A... B... :
14. Le tribunal a alloué à Mme A... B..., fille H... D... B..., une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'affection. Ce montant n'étant pas contesté en appel, il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.
15. Mme A... B..., mère d'un enfant âgé de 3 mois à la date du décès de D... B..., a été placée en congé maladie durant le mois d'août 2011 puis, sur sa demande, en congé parental de septembre à décembre 2011. En se bornant à produire un courriel adressé à sa hiérarchie le 17 août 2011, soit quelques jours après le décès de sa mère, elle n'établit pas que son congé parental, destiné à élever un enfant âgé de moins de trois ans, serait imputable à l'accident médical ayant entraîné le décès de sa mère. Ses conclusions tendant à l'indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence liés à l'interruption de son activité professionnelle de septembre à décembre 2011 ne peuvent, dans ces conditions, être accueillies.
S'agissant du préjudice subi par Théodore F... B... :
16. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante évaluation du préjudice d'affection subi par le jeune E... F... B..., petit-fils H... D... B..., âgé de 3 mois à la date du décès de cette dernière, en lui allouant une somme de 2 000 euros.
17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 16 que l'appel incident des consorts B... relatif au montant de la réparation allouée par le tribunal doit être rejeté.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
18. D'une part, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter de la réception par la partie débitrice de la réclamation de la somme principale. Les sommes allouées par le tribunal aux consorts B... doivent ainsi être assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'avis de la CCI à l'ONIAM, qui doit être regardée comme équivalant à une demande préalable formée devant cet office, soit le 4 juillet 2013.
19. D'autre part, pour l'application l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. En l'espèce, les consorts B... ont demandé la capitalisation des intérêts dans un mémoire enregistré le 26 mai 2020, date à laquelle les intérêts étaient dus pour plus d'une année entière. Cette demande prend ainsi effet à compter du 26 mai 2020.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Rennes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la caisse de prévoyance et de retraite de la SNCF.
21. Il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : Les sommes que le tribunal a été condamné à verser aux consorts B... porteront intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2013. Les intérêts échus à la date du 26 mai 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement n° 1603950 du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'ONIAM versera aux consorts B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions d'appel de la caisse de prévoyance et de retraite de la SNCF et le surplus des conclusions d'appel des consorts B... sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. C... B..., à Mme A... B..., à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, à la MAAF, à la MIF, à la mutuelle générale des cheminots et au centre hospitalier universitaire de Rennes.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mars 2022.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX03697