Mme A... F... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 28 février 2020 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours
et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement nos 2001152, 2001153 du 29 septembre 2020, le tribunal a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 19 octobre 2020 sous le n° 20BX03457, M. E..., représenté par la SCP Breillat, Dieumegard, Masson, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 février 2020 pris à son encontre par la préfète de la Vienne ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte
de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de lui délivrer une autorisation provisoire
de séjour avec autorisation de travail dans un délai de quinze jours et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois, sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la délégation de signature ne permet pas de déterminer si le directeur de cabinet
avait compétence pour prendre les décisions contestées ;
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- la préfète n'a pas porté d'appréciation personnelle sur le dossier, ce qui caractérise
une insuffisance de motivation ; elle s'est crue à tort liée par l'avis des médecins de l'OFII dont elle a repris les termes ;
- la préfète a porté une appréciation erronée sur ses liens respectifs en Arménie
et en France, ce qui caractérise un défaut d'examen de sa situation ;
- il a besoin d'un suivi pour vérifier l'absence de récidive de la tumeur cancéreuse dont il a été opéré en 2016, ainsi que d'un traitement anti-douleur ; contrairement à ce qu'a estimé
le collège de médecins de l'OFII, le défaut de prise en charge est susceptible d'entraîner
des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et les soins nécessaires, notamment l'acupuncture et l'oxycodone, ne sont pas disponibles en Arménie ; son état de santé n'a pas évolué depuis le dernier renouvellement de son titre de séjour ; il a droit à un titre de séjour
sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers
et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- il n'a plus d'attache en Arménie dès lors que son fils aîné réside en Belgique, sa fille en Suède et son plus jeune fils en France sous couvert d'un titre de séjour ; il vit en France avec son épouse et leur fils depuis près de neuf ans ; ainsi, la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- eu égard à son état de santé, la décision méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle n'est pas motivée en fait ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des risques pour sa vie et du fait que l'isolement dans lequel il se trouverait en Arménie caractérise un traitement inhumain.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2021, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens invoqués par M. E... ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 17 décembre 2020.
II. Par une requête enregistrée le 19 octobre 2020 sous le n° 20BX03456, Mme E..., représentée par la SCP Breillat, Dieumegard, Masson, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 29 septembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 février 2020 pris à son encontre par la préfète de la Vienne ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte
de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail dans un délai de quinze jours et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois, sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- la délégation de signature ne permet pas de déterminer si le directeur de cabinet avait compétence pour prendre les décisions contestées ;
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- la motivation de la décision selon laquelle elle aurait déclaré " avoir trois enfants dont deux vivant en Arménie " est erronée et démontre l'absence d'examen de sa situation, ses deux enfants aînés résidant en Belgique et en Suède ;
- eu égard à l'état de santé de son époux, elle avait droit au titre de séjour sollicité pour l'accompagner ;
- le refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle n'a plus aucune attache en Arménie et qu'elle réside en France depuis près de neuf ans avec son époux, qui souffre d'un carcinome orbitaire, et leur plus jeune fils, qui travaille régulièrement comme cuisinier et vit avec eux contrairement à ce qu'a retenu le tribunal ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle n'est pas motivée en fait ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car l'isolement dans lequel elle se trouverait en Arménie caractérise un traitement inhumain.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2021, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens invoqués par Mme E... ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme E..., de nationalité arménienne, déclarent être entrés en France
le 28 décembre 2011, accompagnés de leur plus jeune fils alors mineur, et se sont vu refuser l'asile. M. E... a bénéficié d'un titre de séjour en raison de son état de santé à compter
du 27 février 2013, et Mme E... pour l'accompagnement de son époux à compter
du 24 mars 2018. Par arrêtés du 28 février 2020, la préfète de la Vienne a refusé de renouveler ces titres de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. et Mme E... relèvent appel du jugement
du 29 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, après les avoir jointes,
a rejeté leurs demandes d'annulation de ces arrêtés. Les requêtes sont relatives
à un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date des arrêtés contestés, M. et Mme E... résidaient en France depuis plus de huit ans, dont sept ans en situation régulière pour M. E..., et que leur plus jeune fils avec lequel ils vivaient était titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 26 juin 2018
au 27 juin 2020 et travaillait sous contrat à durée indéterminée. En outre, contrairement
à ce qu'indiquent les arrêtés, leurs deux autres enfants ne résidaient pas en Arménie,
mais en Belgique et en Suède où ils étaient titulaires de titres de séjour. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. et Mme E... sont fondés à soutenir que les décisions de refus de titre de séjour du 28 février 2020 portent à leur droit au respect
de leur vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations précitées, et que c'est à tort que le tribunal a rejeté leurs demandes.
4. Eu égard au motif d'annulation retenu au point précédent, il y a lieu d'enjoindre
à la préfète de la Vienne de délivrer à M. et Mme E... des cartes de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter
de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
5. M. et Mme E... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite,
leur conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme totale de 1 600 euros, à verser
à la SCP Breillat, Dieumegard, Masson sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui
a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers nos 2001152, 2001153
du 29 septembre 2020 et les arrêtés de la préfète de la Vienne du 28 février 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Vienne de délivrer à M. et Mme E... des cartes
de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois
à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Breillat, Dieumegard, Masson une somme totale
de 1 600 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir
la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... E..., à Mme A... F... épouse E..., à la préfète de la Vienne, au ministre de l'intérieur et à la SCP Breillat, Dieumegard, Masson.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne C..., présidente-assesseure,
Mme B... D..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2021.
La présidente,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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Nos 20BX03456, 20BX03457