I. Par une requête, enregistrée le 22 octobre 2020 sous le n° 20BX03534, la préfète
de la Charente demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2002083 du 2 octobre 2020
de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter les conclusions formées par Mme B... à l'encontre de la décision
du 7 août 2020 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an,
et tendant à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'État au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Elle soutient que :
- le premier juge a estimé à tort que la décision interdisant à l'intéressée le retour
sur le territoire français était insuffisamment motivée ; la jurisprudence n'exige aucunement
que la mention des critères qui fondent l'interdiction de retour soit faite spécifiquement
dans la motivation dédiée à cette mesure, mais admet la motivation par référence à celle des décisions prises concomitamment ; ni le législateur, ni la jurisprudence n'ont entendu imposer que les quatre critères soient réunis pour que l'autorité compétente puisse prendre une décision portant interdiction de retour sur le territoire français ; il revient uniquement à cette autorité de mettre en balance les différents éléments définis avant de prendre sa décision, et de mentionner dans l'arrêté ceux qui sont à même de la justifier.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 février 2021, Mme B..., représentée
par la SCP Breillat, Dieumegard, Masson, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme
de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat, à verser à son conseil en application
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que la décision portant interdiction de retour d'une durée d'un an
est insuffisamment motivée et n'est pas justifiée au regard des dispositions du III de
l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mme B... a été admise au maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 18 mars 2021.
II. Par une requête, enregistrée le 22 octobre 2020 sous le n° 20BX03535, la préfète
de la Charente demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2002081 du 2 octobre 2020
de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter les conclusions formées par M. B... à l'encontre de la décision
du 7 août 2020, portant à son encontre interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, et tendant à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat
au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Ses moyens sont identiques à ceux de la requête n° 20BX03534.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 février 2021, M. B..., représenté
par la SCP Breillat, Dieumegard, Masson, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat à verser à son conseil en application de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ses moyens sont identiques à ceux invoqués par Mme B... dans la requête n° 20BX03534.
M. B... a été admis au maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 18 mars 2021.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique,
sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... B... née le 20 février 1974 et M. F... B... né le 16 juillet 1965, ressortissants albanais, sont entrés en France, selon leurs déclarations, le 20 août 2019, accompagnée de leur fille mineure. Leurs demandes d'asile ont été examinées selon la procédure accélérée et rejetées par deux décisions de l'Office français de protection des réfugiés
et des apatrides (OFPRA) du 28 février 2020. Par deux arrêtés du 7 août 2020, la préfète de la Charente leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
La préfète de la Charente relève appel des jugements du 2 octobre 2020 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers en tant que, après avoir rejeté les conclusions de Mme et M. B... à fin d'annulation des obligations de quitter le territoire français et des décisions fixant le pays de renvoi, elle a annulé les décisions portant interdiction de retour, lui a enjoint de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement des intéressés dans le système d'information Schengen, et a mis des sommes à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi
du 10 juillet 1991. Ces requêtes, relatives à la situation d'un couple, présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour
sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution
de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution
de l'obligation de quitter le territoire français. / L'étranger à l'encontre duquel a été prise une interdiction de retour est informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 24 du règlement (CE)
n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l'établissement,
le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II). Les modalités de suppression du signalement de l'étranger en cas d'annulation ou d'abrogation de l'interdiction de retour sont fixées par voie réglementaire. / (...) Le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".
3. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
4. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction
de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels
elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée
de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens
avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise
en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
5. Après avoir relevé que Mme et M. B... sont entrés très récemment sur le territoire français, qu'ils ne bénéficient plus d'un droit à s'y maintenir, qu'ils ne démontrent pas y avoir établi des liens personnels et familiaux anciens, stables et intenses, et que, leur fille âgée
de 15 ans ayant vécu en Albanie jusqu'en septembre 2019, il n'existe aucun obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue dans ce pays, les arrêtés du 7 août 2020 concluent qu'il y a lieu, " au regard de ces éléments ", de prononcer à l'encontre des intéressés une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Ces indications, qui ont permis
à Mme et M. B... de comprendre et de contester ces interdictions de retour, sont suffisantes alors même qu'elles ne précisent pas qu'ils n'ont jamais fait l'objet de mesures d'éloignement
et qu'ils ne constituent pas une menace pour l'ordre public. Par suite, la préfète de la Charente est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, la magistrate désignée
par la présidente du tribunal administratif de Poitiers s'est fondée sur une insuffisante motivation pour annuler les interdictions de retour.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif
de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme et M. B... devant le tribunal administratif et la cour.
7. En premier lieu, les décisions sont signées, pour la préfète de la Charente, par Mme Delphine Balsa, secrétaire générale de la préfecture. Cette dernière a reçu délégation de la préfète, par un arrêté du 9 janvier 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, pour signer tous arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Charente et notamment les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire des arrêtés doit donc être écarté.
8. En deuxième lieu, il ne ressort pas de la rédaction des arrêtés contestés que, pour assortir d'interdictions de retour les obligations de quitter le territoire français dans le délai de trente jours prises à l'encontre de Mme et M. B..., la préfète se serait fondée à tort sur les dispositions de l'article L. 511-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'est accordé.
9. En troisième lieu, eu égard à la courte durée de présence de Mme et M. B... sur le territoire français, où ils sont dépourvus d'attaches familiales, et alors même qu'ils n'ont pas fait l'objet, à la date des décisions litigieuses, d'une précédente mesure d'éloignement à laquelle ils ne se seraient pas conformés, la préfète de la Charente n'a pas commis d'erreur d'appréciation en prenant à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
10. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Charente est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers a annulé les décisions portant interdiction de retour, lui a enjoint de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement des intéressés dans le système d'information Schengen, et a mis des sommes à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par voie de conséquence, les demandes présentées par Mme et M. B... devant le tribunal
et le surplus de leurs conclusions d'appel doivent être rejetés.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 des jugements n° 2002083 et n° 2002081 du 2 octobre 2020
de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Poitiers sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme et M. B... devant le tribunal administratif
de Poitiers tendant à l'annulation des interdictions de retour, à ce qu'il soit enjoint à la préfète
de la Charente de prendre toute mesure propre à mettre fin à leur signalement dans le système d'information Schengen et à l'allocation de sommes au bénéfice de leur avocat, ainsi
que le surplus de leurs conclusions d'appel, sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à M. F... B..., au ministre
de l'intérieur et à la SCP Breillat Dieumegard, Masson. Une copie en sera adressée à la préfète de la Charente.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne C..., présidente-assesseure,
Mme A... E..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 avril 2021.
La présidente,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne,
et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
6
Nos 20BX03534, 20BX03535