Procédure devant la cour :
Par une requête, un mémoire et des pièces enregistrés les 20 décembre 2018, 28 juillet, et 26 août 2020, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa réclamation préalable et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 131 052 euros en réparation du préjudice financier subi du fait des erreurs commises par l'administration dans le calcul de son indemnité différentielle pour la période du 1er septembre 1986 au 30 avril 2016 et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier car les premiers juges ont statué ultra petita, dès lors que la ministre n'a jamais contesté l'existence d'une faute ;
- la ministre lui a versé une indemnité différentielle au taux de 16 % au lieu de 32 %, de sorte que son indemnité différentielle est calculée de façon erronée depuis 1986 ;
- sa créance n'est pas prescrite, car il n'a eu connaissance de sa créance qu'à compter du jugement du tribunal administratif de Rouen du 25 août 2015 ;
- la prescription a été interrompue à deux reprises : par le courrier du 18 septembre 2013 qui constitue une communication ayant trait au fait générateur, à l'existence et au montant de la créance et par sa réclamation du 26 juin 2017 ;
- la prescription quadriennale ayant été interrompue par le courrier du 18 septembre 2013, seules les créances antérieures au 1er janvier 2009 sont prescrites ;
- sur la période du 1er septembre 1986 au 30 septembre 2013, il a droit au paiement de la somme de 119 640 euros et sur la période du 1er octobre 2013 au 30 avril 2016, il a droit au paiement de la somme de 11 412 euros.
Par une ordonnance du 23 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2020.
Un mémoire a été enregistré pour M. D... le 4 décembre 2020,
Un mémoire a été enregistré pour la ministre des Armées le 19 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962 ;
- le décret n° 67-99 du 31 janvier 1967 ;
- le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;
- le décret n° 89-753 du 18 octobre 1989 ;
- l'arrêté du 23 décembre 2009 fixant les compétences du service du commissariat des armées en matière de règlement des dommages causés ou subis par le ministère de la défense, de défense de ce ministère devant les tribunaux administratifs et de protection juridique de ses agents militaires et civils ;
- la décision du 17 juillet 2017 portant délégation de signature (direction centrale du service du commissariat des armées) ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... A...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., recruté en qualité d'ouvrier de l'Etat le 13 avril 1975, exerçait ses fonctions en dernier lieu, jusqu'au 1er mai 2016, date de son admission à la retraite, à la direction générale de l'armement à Biscarosse (département des Landes). Il avait été intégré le 1er septembre 1986 dans le corps des techniciens d'études et de fabrications. A ce titre, il a bénéficié de l'indemnité différentielle due à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère de la défense, en application du décret n° 62-1386 du 23 novembre 1962. Par courrier du 18 septembre 2013, le ministre de la défense l'a informé du nouveau mode de calcul de l'indemnité différentielle et que le montant de cette indemnité serait réduit de 180 euros brut par mois à compter du 1er octobre 2013. Estimant que le calcul de cette indemnité était erroné, il a par une lettre datée du 26 juin 2017, réceptionnée par l'administration le 3 juillet 2017 suivant, sollicité auprès du ministre de la défense l'indemnisation de son préjudice, à hauteur de 131 052 euros ainsi que le calcul de son indemnité différentielle en prenant en compte un taux de 32 % de prime de rendement. Suite à la décision implicite rejetant sa réclamation préalable, il a demandé au tribunal administratif de Pau l'annulation de la décision implicite ayant rejeté sa demande indemnitaire préalable et la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 131 052 euros. M. D... relève appel du jugement du 30 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
2. M. D..., qui demande l'annulation de la décision implicite ayant rejeté sa demande indemnitaire préalable et la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 131 052 euros, doit être regardé, ainsi que l'a jugé implicitement le tribunal administratif de Pau, comme recherchant la responsabilité de l'Etat en raison des erreurs commises par son administration dans le calcul de son indemnité différentielle.
Sur la régularité du jugement
3. Si M. D... soutient que les premiers juges ont statué ultra-petita en considérant qu'il n'établissait pas la faute dont il prétendait avoir été victime, alors que la ministre des Armées n'a jamais contesté la réalité de celle-ci, une telle circonstance affecte le bien-fondé du jugement et non sa régularité. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur les conclusions indemnitaires
4. Aux termes de l'article 1er du décret du 23 novembre 1962 relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications, visé ci-dessus : " Les techniciens d'études et de fabrications relevant du ministère des armées provenant du personnel ouvrier ou du personnel contractuel régi par le décret du 3 octobre 1949 perçoivent, le cas échéant, une indemnité différentielle ; cette indemnité est égale à la différence entre, d'une part, le salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenaient les anciens ouvriers ou le salaire réellement perçu par les anciens contractuels à la date de leur nomination et, d'autre part, la rémunération qui leur est allouée en qualité de fonctionnaire (...) ". Aux termes de l'article 6 du décret du 18 octobre 1989 portant attribution d'une indemnité compensatrice à certains techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense, visé ci-dessus : " Les dispositions du décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962 demeurent applicables : / 1° Aux techniciens supérieurs d'études et de fabrications nommés au titre de l'article 15 du décret susvisé qui bénéficiaient de ces dispositions antérieurement à leur nomination dans un corps de techniciens supérieurs d'études et de fabrications (...) ". Aux termes de la décision du 13 juin 1968 relative aux taux de la prime de rendement attribuée aux ouvriers du ministère des armées visée ci-dessus : " A compter du 1er avril 1968, les primes de rendement allouées aux ouvriers et aux techniciens à statut ouvrier des armées varient de 0 à 32 p. 100 du salaire du 1er échelon du groupe professionnel auquel ils appartiennent. La moyenne des primes ainsi accordées ne peut dépasser 16 p. 100 du salaire minimum de chaque groupe dans la région parisienne et 14 p. 100 en province. Cependant, ce dernier pourcentage sera porté à 15 p. 100 à compter du 1er octobre 1968 et à 16 p. 100 à compter du 1er avril 1969 (...) ".
5. Il résulte, d'une part, de ces dispositions que les techniciens supérieurs d'études et de fabrications qui bénéficiaient de l'indemnité différentielle antérieurement à leur nomination dans ce corps continuent à percevoir cette indemnité telle qu'elle était calculée par différence entre, d'une part, le salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenaient les anciens ouvriers ou le salaire réellement perçu par les anciens contractuels à la date de leur nomination et, d'autre part, la rémunération qui leur est allouée en qualité de fonctionnaire.
6. Il résulte, d'autre part, des dispositions précitées, que l'indemnité différentielle prévue à l'article 1 du décret du 23 novembre 1962 doit être calculée en déduisant du salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenait M. D... à la date de sa nomination dans le corps des techniciens supérieurs d'études et de fabrications, la rémunération qui lui est allouée en qualité de fonctionnaire. S'agissant de la rémunération ouvrière à prendre en compte pour ce calcul, celle-ci doit comprendre, en application desdites dispositions, la prime de rendement attribuée aux ouvriers. Aux termes de la décision du 13 juin 1968 susvisée, si le taux maximal moyen accordé au sein de chaque groupe ne pouvait dépasser 16 % du salaire minimum de chaque groupe, la prime de rendement maximale que pouvait percevoir un ouvrier était de 32 %.
7. Il résulte de l'instruction, ainsi que la ministre des Armées l'a d'ailleurs admis en première instance, que l'indemnité différentielle versée à M. D... prenait en compte un taux de sa prime de rendement au taux de 16 % au lieu de 32 %. Par suite, l'administration en faisant une application erronée des conditions réglementaires relatives à cette prime, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a considéré qu'il n'établissait pas, en se bornant à produire sa feuille de paye d'avril 2016, la faute consistant pour l'administration à avoir retenu à tort un taux de 16 % pour la prime de rendement attribuée aux ouvriers et entrant dans le salaire maximum à prendre en compte pour le calcul de son indemnité différentielle.
8. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Pau.
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale soulevée en première instance par la ministre des Armées ;
9. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement./ Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...). ". Aux termes de l'article 3 de la loi précitée : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".
10. Il résulte de l'instruction que le courrier du 18 septembre 2013 rappelle les règles applicables pour mettre fin à des différences constatées dans le calcul de l'indemnité différentielle au sein du ministère, et que ces différences " proviennent du mode de détermination de la prime de rendement qui est l'un des éléments pris en compte, aussi bien pour la rémunération en tant qu'ouvrier de l'Etat qu'en tant que TSEF ". Il énonce d'ailleurs que : " le montant de la prime de rendement inclus dans la rémunération ouvrière de TSO doit s'élever à 16 % du 1er échelon du groupe sommital du bénéficiaire ", alors qu'ainsi qu'il a été dit, cette prime de rendement devait être prise en compte au taux de 32 %. Ainsi, ce courrier a trait au fait générateur de la créance de M. D... et doit donc être regardé comme une communication écrite de l'administration au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et, en conséquence, comme ayant interrompu le cours de la prescription quadriennale de la créance. La prescription a été interrompue à nouveau par la demande de M. D... du 26 juin 2017 tendant à la révision du montant de l'indemnité différentielle perçue entre la période du 1er septembre 1986 au 30 avril 2016 et au versement des sommes correspondantes. Dans ces conditions, seules les créances de D... antérieures au 1er janvier 2009 sont prescrites.
Sur la responsabilité
11. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité différentielle versée à M. D... était inférieure à celle à laquelle il pouvait prétendre en vertu des textes applicables. Toutefois, la période du 1er septembre 1986 au 31 décembre 2008 étant prescrite, seuls les préjudices que M. D... a subis durant la période du 1er janvier 2009 au 30 avril 2016 peuvent donner lieu à une condamnation. Ces préjudices, qui présentent un lien direct et certain avec la faute commise par l'administration qui a appliqué de façon erroné le taux de 16 %, doivent donc lui être indemnisés dans leur intégralité. Par suite, l'Etat doit être condamné à verser à M. D... la somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle telle qu'elle lui a été versée du 1er janvier 2009 au 30 avril 2016 et celle qui lui était due pour la même période en prenant en compte, pour la détermination du salaire maximum de la profession ouvrière, la prime de rendement au taux de 32 %. Les pièces versées au dossier ne permettant pas de déterminer le montant exact de la somme due, il y a lieu de renvoyer M. D... devant la ministre des Armées pour la liquidation de la somme qui lui est due.
Sur les intérêts
12. M. D... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à sa créance pour la période du 1er janvier 2009 au 30 avril 2016. Ces intérêts doivent être calculés à compter du 3 juillet 2017, date de réception de la demande du requérant par la ministre des armées.
Sur les intérêts des intérêts
13. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 28 septembre 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 3 juillet 2018 date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande indemnitaire. Il y a lieu par suite d'annuler ce jugement.
Sur les frais d'instance
15. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros à payer à M. D... au titre de ses frais d'instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1702004 du 30 octobre 2018 du tribunal administratif de Pau est annulé.
Article 2r : L'Etat est condamné à verser à M. D... la différence entre l'indemnité différentielle qu'il aurait dû percevoir en retenant une prime de rendement au taux de 32 % et celle qu'il a perçue à compter du 1er janvier 2009 jusqu'au 30 avril 2016.
Article 3 : M. D... est renvoyé devant la ministre des armées pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité en principal à laquelle il a droit à compter du 1er janvier 2009. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2017. Les intérêts échus à la date du 3 juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 500 euros à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus de la requête de M. D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme C... A..., première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 05 mai 2021.
Le président,
Didier ARTUS
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
4
2
N° 18BX04379