Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er juillet 2016, Mme D...C..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un certificat de résidence dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 28 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Aymard de Malafosse,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant MmeC....
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., de nationalité algérienne, née le 11 mai 1986, qui a épousé en Algérie un compatriote titulaire d'un certificat de résidence de dix ans, est entrée régulièrement en France le 2 février 2015 dans le cadre du regroupement familial et a sollicité, le 9 février 2015, la délivrance d'un certificat de résidence de dix ans sur le fondement des dispositions du d) de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien. Le préfet de la Haute-Garonne a, par un arrêté du 16 octobre 2015, rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine. Mme C...relève appel du jugement du 8 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté son recours dirigé contre cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de séjour :
2. L'arrêté contesté énonce les motifs de droit et de fait sur lesquels s'est fondé le préfet pour estimer que Mme C...ne pouvait se voir délivrer, même à titre exceptionnel et dérogatoire, le certificat de résidence de dix ans sollicité. Le refus de délivrer à Mme C...ce titre de séjour est ainsi suffisamment motivé.
3. La motivation détaillée de l'arrêté fait ressortir que, contrairement à ce que soutient la requérante, le préfet de la Haute-Garonne a procédé à un examen de sa situation personnelle.
4. Aux termes de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien susvisé : " Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour (...) d) Aux membres de la famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence valable dix ans qui sont autorisés à résider en France au titre du regroupement familial ". Le regroupement familial, lorsqu'il est autorisé au profit du conjoint d'un ressortissant algérien résidant en France, a pour objet de rendre possible la vie commune des époux, ainsi qu'il résulte notamment des stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien. Il en résulte que le préfet peut légalement se fonder sur la rupture de la vie commune pour rejeter la demande de délivrance d'un titre de séjour fondée sur les stipulations précitées. En l'espèce, il est constant qu'à la date à laquelle l'arrêté a été pris, les époux ne vivaient plus ensemble et que leur divorce avait été prononcé par la justice algérienne. Le préfet de la Haute-Garonne a, par suite, légalement pu se fonder sur le motif tiré de la rupture de la vie commune pour rejeter la demande de MmeC....
5. Mme C...fait valoir, toutefois, que la rupture de la vie commune est imputable aux violences que lui a fait subir son mari dès son arrivée en France, qui l'ont contrainte à quitter le domicile conjugal et qui ont justifié une mesure de protection prise le 27 mai 2015, sur le fondement de l'article 515-9 du code civil, par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Toulouse. Elle soutient qu'en tant que, contrairement à ce que prévoient les articles L. 316-3 et L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elles ne prévoient pas la délivrance d'un titre de séjour en faveur d'un étranger qui bénéficie d'une mesure de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil ou en faveur d'un étranger qui a été victime de violences conjugales après son arrivée en France mais avant la première délivrance de la carte de séjour, les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 créent, pour les ressortissants algériens, une discrimination prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 8 de la même convention.
6. L'arrêté contesté du 16 octobre 2015 qui précise, après avoir décrit la situation de MmeC..., que " compte tenu de ce qui précède... l'intéressée ne peut se voir accorder la délivrance d'un certificat de résidence de dix ans au titre du regroupement familial selon les dispositions de l'article 7 bis (d) de l'accord susvisé " se borne à rejeter la demande de Mme C... tendant à bénéficier d'un certificat de résidence de dix ans, sans refuser la délivrance d'un certificat de résidence à un autre titre. Or, le refus de délivrance d'un titre de séjour valable dix ans, qui ne fait pas obstacle à la délivrance d'un autre titre de séjour et qui n'emporte, par lui-même, aucune conséquence sur le droit au séjour de l'intéressé, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, les dispositions du 1° de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la carte de résident de dix ans délivrée de plein droit, sous certaines conditions, au conjoint autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial, laquelle constitue l'équivalent du certificat de résident de dix ans prévu par les stipulations précitées de l'accord franco-algérien, ne tiennent pas compte, à l'instar de ces stipulations, des éventuelles violences conjugales dont aurait été victime ce conjoint. Dès lors, le moyen tiré de ce que, en ne prévoyant pas la délivrance d'un titre de séjour dans les cas évoqués au point 5 ci-dessus, l'accord franco-algérien crée une discrimination incompatible avec le droit au respect de la vie privée et familiale reconnu par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Garonne, qui a précisé dans son arrêté qu'aucun élément du dossier n'est de nature à considérer que la situation de l'intéressée permettrait de répondre favorablement à sa demande " à titre exceptionnel et dérogatoire " se serait cru tenu de rejeter la demande de certificat de résidence de dix ans présentée par Mme C...et aurait ainsi commis une erreur de droit en méconnaissant son pouvoir d'appréciation.
8. S'il est suffisamment établi par les pièces du dossier que Mme C...a été victime de violences de la part de son époux et s'il est constant qu'elle a bénéficié à ce titre d'une mesure de protection judiciaire pour une durée de six mois en application de l'article 515-9 du code civil, il ressort également de ces mêmes pièces qu'elle n'est entrée en France que le 2 février 2015 à l'âge de 29 ans et qu'elle y est dépourvue d'attaches familiales. Le refus de lui délivrer un titre de séjour d'une validité de dix ans ne peut, dans ces conditions, être regardé comme méconnaissant l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
9. Enfin, la requérante, qui ne soutient pas avoir demandé au préfet la délivrance d'un certificat de résidence d'un an sur le fondement du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ne peut utilement invoquer ces stipulations pour contester la légalité du refus litigieux.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi :
10. Ainsi qu'il a été dit au point 8, Mme C...a été victime de violences de la part de son époux, ce qui l'a contrainte à quitter le domicile conjugal et à être prise en charge par une association spécialisée ; elle a bénéficié, ainsi qu'il a été dit, d'une mesure de protection judiciaire qui était encore en vigueur à la date à laquelle l'arrêté contesté a été pris. Dans ces conditions, en prenant à l'encontre de l'intéressée une mesure d'éloignement, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation. L'obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté doit, dans ces conditions, être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi contenues dans l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 16 octobre 2015.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Si l'annulation par le présent arrêt de la mesure d'éloignement n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour à MmeC..., il doit en revanche être enjoint au préfet de réexaminer la situation de l'intéressée dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à MeA..., sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat, au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : L'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi contenues dans l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 16 octobre 2015 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme C...dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera la somme de 1 500 euros à MeA..., sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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N° 16BX02158