Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 février 2016, M. B...D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 5 novembre 2015 ;
2°) d'annuler la décision de prolongation de son placement à l'isolement prise à son encontre le 11 mars 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative n'ont pas été respectées dès lors que le sens des conclusions du rapporteur public, mis en ligne la veille de l'audience, indiquait uniquement " rejet au fond " ;
- le jugement est irrégulier car il ne comporte aucune des signatures requises en vertu de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la procédure est irrégulière faute pour le requérant d'avoir pu être assisté d'un interprète ;
- la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée ;
- l'administration, qui n'établit pas les violences qu'il aurait commises en 2013 et qui a, en réalité, édicté la décision contestée en raison de la surpopulation carcérale au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, a commis une erreur de droit en lui appliquant les dispositions de l'article R. 57-7-62 du code de procédure pénale ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; il n'a été responsable d'aucun incident au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses ; par ailleurs, l'administration n'a pas tenu compte de sa personnalité et de sa vulnérabilité psychologique alors que l'isolement a des effets particulièrement néfastes sur la santé mentale des détenus.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par M. B...D...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 7 avril 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 6 juin 2017 à 12 heures.
M. B...D...été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 décembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Alors qu'il était incarcéré au centre pénitentiaire de Lannemezan, M. B...D...a fait l'objet d'un placement provisoire à l'isolement pendant trois mois à compter du 11 décembre 2012. A la suite de son transfert au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses pour des raisons d'ordre et de sécurité, le directeur de cet établissement a, par une décision du 11 mars 2013, prolongé son placement à isolement du 11 mars 2013 au 11 juin 2013. L'intéressé relève appel du jugement du 5 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, l'article R. 711-3 du code de justice administrative dispose que : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) ".
3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions précitées de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
4. Par ailleurs, pour l'application de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et eu égard aux objectifs de cet article, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.
5. M. B...D...soutient que les indications données préalablement à l'audience qui s'est tenue le 1er octobre 2015, concernant les conclusions du rapporteur public, trop imprécises, ne lui permettaient pas d'envisager une défense orale ou une note en délibéré. Toutefois, il ressort des pièces du dossier de première instance que, conformément à l'article R. 711-3 du code de justice administrative, le rapporteur public a mis en ligne sur l'application " Sagace ", le 29 septembre 2015 à 9 heures 30, soit dans un délai raisonnable, le sens de ses conclusions et qu'il indiquait de manière suffisante qu'il conclurait dans le sens d'un " rejet au fond ". Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.
6. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Cependant, il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par le président-rapporteur de la formation de jugement, le conseiller le plus ancien et le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 doit être écarté comme manquant en fait.
Sur le bien-fondé du jugement :
7. M. B...D...fait valoir que la décision attaquée est irrégulière au motif qu'il n'aurait pas été assisté d'un interprète. Il ressort cependant des pièces du dossier que l'intéressé, qui est incarcéré depuis plus de dix ans sur le territoire national, maîtrise suffisamment la langue française pour comprendre la procédure, ainsi qu'en témoignent notamment les comptes-rendus d'incidents établis sur l'année 2013 et le rapport de l'expertise psychiatrique datée du 16 juillet 2012, réalisée en français sans l'intervention d'un interprète. Par suite, le moyen doit être écarté.
8. Aux termes de l'alinéa 5 de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale : " (...) La décision est motivée. (...) ". La décision contestée vise les articles R. 57-7-62 à R. 57-7-78 du code de procédure pénale. Elle est justifiée par le comportement violent et les menaces verbales et physiques envers les personnels, les intervenants extérieurs et les détenus, attestés par divers comptes-rendus d'incidents et par la mesure de transfert de l'intéressé du centre pénitentiaire de Lannemezan prise pour préserver l'ordre et la sécurité dans cet établissement à la suite d'une agression sur un membre du personnel. Par ailleurs, elle mentionne que M. B...D...doit faire l'objet d'une prise en charge spécifique, nécessitée par son profil, que " le contexte actuel de surencombrement en détention ordinaire ne permet pas de mettre en oeuvre au sein du CP de Toulouse-Seysses ". Elle indique également qu'il est détenu temporairement dans ce centre, dans l'attente d'un transfèrement dans un établissement pour peine. Dans ces conditions, la décision litigieuse comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée. Le requérant ne peut utilement se prévaloir du non-respect de la circulaire du 14 avril 2011 relative au placement à l'isolement des personnes détenues, qui ne contient aucune mesure impérative mais se borne à adresser des recommandations aux services. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision attaquée doit, dès lors, être écarté.
9. L'article R. 57-7-62 du code de procédure pénale dispose : " La mise à l'isolement d'une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu'elle soit prise d'office ou sur la demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire. La personne détenue placée à l'isolement est seule en cellule. Elle conserve ses droits à l'information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, à l'exercice du culte et à l'utilisation de son compte nominatif. Elle ne peut participer aux promenades et activités collectives auxquelles peuvent prétendre les personnes détenues soumises au régime de détention ordinaire, sauf autorisation, pour une activité spécifique, donnée par le chef d'établissement. Toutefois, le chef d'établissement organise, dans toute la mesure du possible et en fonction de la personnalité de la personne détenue, des activités communes aux personnes détenues placées à l'isolement. La personne détenue placée à l'isolement bénéficie d'au moins une heure quotidienne de promenade à l'air libre ". Aux termes de l'article R. 57-7-66 du code précité : " Le chef d'établissement décide de la mise à l'isolement pour une durée maximale de trois mois (...) ". Selon l'article R. 57-7-73 du même code : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé (...) ".
10. La décision contestée se fonde sur le comportement général de M. B...D...en détention normale ainsi que sur les comptes-rendus d'incidents établis par divers établissements pénitentiaires, le dernier incident étant à l'origine de son transfert à Toulouse-Seysses par souci de maintien de l'ordre et de la sécurité au centre pénitentiaire de Lannemezan. Il ressort des pièces du dossier que M. B...D...a fait preuve, lors de ses diverses incarcérations, d'un comportement violent vis-à-vis du personnel pénitentiaire et de codétenus. Le docteur Boyer, expert psychiatrique exerçant au centre hospitalier de Lannemezan, a d'ailleurs souligné dans son rapport du 16 juillet 2012, versé au dossier, que le requérant présente une dangerosité pour autrui et pour lui-même mais qu'il refuse tout traitement médical. Il est constant que, les 29 novembre 2012 et 2 janvier 2013, M. B...D..., armé d'un couteau, a proféré des menaces à l'encontre des surveillants et a, le 18 février 2013, agressé physiquement un membre du personnel pénitentiaire alors qu'il était incarcéré à.... Quand bien même ces actes de violence ont été commis avant le transfert du requérant au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, leur gravité est telle qu'elle justifiait que le directeur de cet établissement prolonge, par mesure de sécurité et de protection, le placement à l'isolement de M. B... D...à compter du 11 mars 2013 jusqu'au 11 juin suivant, celui-ci ne pouvant raisonnablement être soumis à un régime ordinaire de détention. Ce même directeur a pu régulièrement, à cet égard, prendre en considération le contexte particulier de surencombrement du quartier de détention ordinaire de l'établissement. Le requérant ne produit, par ailleurs, aucun élément médical susceptible de démontrer que son état de santé serait incompatible avec une mesure d'isolement. Par suite, le directeur du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses a pu à bon droit, et sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, prolonger par mesure de protection et de sécurité le placement à l'isolement de M. B...D...pendant trois mois à compter du 11 mars 2013.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B...D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le conseil de M. B...D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B...D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...D...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique le 10 avril 2018.
Le rapporteur,
Laurent POUGET Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX00672