Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces enregistrées le 11 mars 2016 et les 15 mars 2017 et 24 avril 2018, la société Grand Cru Storage, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de faire droit à ses conclusions à fin d'annulation du titre exécutoire et de décharge de l'obligation de payer ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est entrée au sein du capital du groupement intérêt économique (GIE) Aliquem postérieurement à la mise en redressement judiciaire de celui-ci prononcée le 4 mai 2007 et après que l'administration fiscale a déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective ;
- l'article L. 110-4 du code de commerce s'applique aux créances de nature commerciale ; l'administration fiscale ne lui a adressé une mise en recouvrement que postérieurement au délai de reprise des créances fiscales, en 2011 ;
- la prescription est acquise également au regard des délais de reprise de droit commun ;
- l'interruption de prescription à l'égard du GIE Aliquem ne lui est pas opposable, d'autant qu'elle est entrée au capital du GIE après la déclaration de créance du 31 juillet 2007 ; les deux entités ont conservé leurs personnalités morales et juridiques indépendantes ;
- le tribunal ne pouvait faire application de l'article L. 622-25-1 du code de commerce, entrée en vigueur le 1er juillet 2014 ;
- les redressements résultent des déclarations du GIE et non d'une procédure de redressement ; l'administration n'a versé aucun élément de nature à établir le bien-fondé de sa créance, et notamment les éléments de base justifiant le rappel ;
- l'administration n'a pas versé aux débats de certificat d'irrécouvrabilité de sa créance ; l'article L. 251-6 du livre des procédures fiscales prévoit un dispositif d'exonération de solidarité pour les nouveaux membres d'un groupement ; si la décision d'exonération n'a pas été publiée, les statuts du GIE prévoyaient eux-mêmes expressément une telle exonération ; la mise à jour des statuts effectuée à la suite de l'entrée de la société Grand Cru Storage a été dûment déposée au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux ;
- la publication de son retrait du GIE ne saurait concerner que les dettes nées postérieurement à son entrée ; ce retrait s'est fait par cession enregistrée au service des impôts des entreprises le 27 avril 2011 ; cet enregistrement a des effets équivalents au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales ; l'administration avait connaissance de ce retrait ; la solidarité ne vaut que jusqu'à l'inscription modificative au registre du commerce et des sociétés constatant le retrait ; le seul fait pour un membre du GIE de ne pas être radié du RCS alors qu'il a quitté le GIE ne saurait le rendre solidaire des dettes de ce dernier alors même qu'il n'était pas tenu à cette solidarité dès son entrée ;
- l'administration ne peut rechercher un prétendu débiteur solidaire sans lui accorder la possibilité de discuter du quantum et du bien-fondé de la créance ; l'administration supporte la charge de la preuve de la réalité de sa créance ; celle-ci paraît exorbitante au regard de l'activité courante du GIE en 2007 ; ses droits élémentaires au regard des principes posées par la convention européenne des droits de l'homme ne sont pas respectés, ni au regard du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
- l'administration n'a pas fait toutes diligences pour recouvrer sa créance en laissant le GIE accumuler en 2007 une dette de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à des refacturations au groupe Mitsiu, animé par le même dirigeant que le groupement ; elle n'a été privée d'aucune information lui permettant de prendre des mesures destinées à préserver ses intérêts.
Par des mémoires en défense enregistrés les 10 mars 2017 et 21 mars 2017, le ministre de l'action et des comptes publics (direction régionale des finances publiques de Nouvelle Aquitaine et Gironde) conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la déclaration de créance a un effet interruptif à l'égard de tous les débiteurs solidairement tenus à la dette ; dans le cadre d'une procédure collective, le délai de prescription de l'action de droit commun visée à l'article L. 237-13 du code de commerce est de cinq ans et le délai de prescription de l'action en recouvrement au sens de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales est de quatre ans ; en l'occurrence, le comptable public a engagé les poursuites à l'égard de la société Grand Cru Storage avant que l'un ou l'autre de ces délais soit venu à expiration ; l'action n'était donc pas prescrite ;
- l'entrée de la société au capital du GIE n'a pas donné lieu à déclaration au BODACC en vertu des dispositions de l'article R. 123-159 du code de commerce afin de rendre opposable aux tiers sa qualité de membre exonéré des dettes nées antérieurement à son entrée ; cette publication n'a pas été effectuée et, contrairement à ce qu'affirme la société, la seule mention de l'exonération dans les statuts du GIE n'équivaut pas à cette déclaration en ce qui concerne l'opposabilité aux tiers ;
- la cession des parts de la société Grand Cru Storage au groupe Mitsiu le 31 décembre 2010 n'a pas donné lieu à publication au registre du commerce et des sociétés mais seulement enregistrement au service des impôts des sociétés ; à la date de l'envoi de la mise en demeure de payer, le 8 janvier 2014, la société était toujours membre du GIE et tenue aux dettes de ce dernier sur son patrimoine propre dès lors qu'il était insolvable ;
- la diligence du comptable public dans son action en recouvrement de la créance est irréprochable.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- et les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Grand Cru Storage, qui exerçait l'activité d'entreposage et de stockage de grands crus de vin, est entrée le 15 octobre 2009 au capital du groupement d'intérêt économique (GIE) Aliquem, prestataire administratif et commercial, en rachetant 80 des 90 parts sociales détenues par la SARL Mitsiu Diffusion. Le groupement faisait alors l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, ouverte le 24 mai 2007, avec un plan de redressement sur dix ans. Il était redevable au Trésor Public d'une dette de 297 482,42 euros correspondant à un impayé de taxe sur la valeur ajoutée au titre des mois de janvier et mai 2007, constatée par une déclaration de créance du comptable public en date du 31 juillet 2007. La société Grand Cru Storage a revendu la totalité de ses parts du GIE Aliquem dès le 31 décembre 2010 à la société Groupe Mitsiu. La liquidation judiciaire du groupement a été prononcée le 18 janvier 2012 et, le 8 janvier 2014, le responsable du pôle de recouvrement spécialisé de la Gironde, face à l'insolvabilité définitive du GIE, a adressé à la société Grand Cru Storage, en qualité de débiteur solidaire, une mise en demeure valant commandement de payer la somme de 237 986,26 euros, correspondant au montant non apuré de la dette fiscale du groupement. La société Grand Cru Storage relève appel du jugement du 16 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer résultant du titre exécutoire émis à son encontre le 8 janvier 2014.
Sur la réalité de la créance :
2. La société requérante reprend en appel, sans faire valoir d'éléments nouveaux ni de critique utile du jugement sur ce point, le moyen tiré de ce que l'administration n'apporterait pas la preuve de la réalité de sa créance. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
Sur la solidarité :
3. D'une part, aux termes de l'article de l'article L. 251-6 du code de commerce : " Les membres du groupement sont tenus des dettes de celui-ci sur leur patrimoine propre. Toutefois, un nouveau membre peut, si le contrat le permet, être exonéré des dettes nées antérieurement à son entrée dans le groupement. La décision d'exonération doit être publiée. Ils sont solidaires, sauf convention contraire avec le tiers cocontractant (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 123-157 du même code : " L'avis au Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales contient pour les sociétés et les groupements d'intérêt économique : 1° Les références de l'immatriculation ; 2° La raison sociale ou la dénomination (...) ; 7° S'il s'agit d'un groupement d'intérêt économique, les nom, nom d'usage, pseudonyme et prénoms des administrateurs, des personnes chargées du contrôle de la gestion et de celles chargées du contrôle des comptes, ainsi que, le cas échéant, des membres exonérés des dettes nées antérieurement à leur entrée dans le groupement ". Aux termes de R 123-159 du code : " Si l'une des mentions prévues aux articles R 123-156 à RJ 123-158 est modifiée, un avis modificatif est inséré au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. L'avis contient : (...) 2° Pour les personnes morales (...) e) L'indication des modifications intervenues (...) ".
5. Enfin, selon l'article 11 des statuts du GIE Aliquem, modifiés le 15 octobre 2009 : " (...) Les membres du groupement sont tenus des dettes de celui-ci sur leur patrimoine propre. Sauf convention contraire avec le tiers contractant, ils sont solidaires. / Tout nouveau membre sera exonéré des dettes nées antérieurement à son entrée dans le groupement. La demande d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés et la publication qui sera faite au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales devront indiquer l'identité des personnes bénéficiant d'une telle exonération (...) ".
6. La société Grand Cru Storage se prévaut des stipulations précitées de l'article 11 des statuts du groupement, dont elle tire qu'elle était contractuellement exonérée de solidarité, s'agissant des dettes contractées par le groupement avant son entrée au capital de ce dernier, et en particulier de la dette fiscale en cause. Toutefois, contrairement à ce que soutient la société requérante, ces stipulations statutaires, qui prévoient d'ailleurs elles-mêmes une publication au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales de l'identité des bénéficiaires de l'exonération de solidarité, ne sauraient se substituer à la publication de la décision d'exonération de dettes visée à l'article L. 251-6 du code de commerce, qui seule a pour effet de rendre opposable aux tiers créanciers une telle exonération. Or, la société Grand Cru Storage ne conteste pas qu'une telle publicité n'a pas eu lieu en l'espèce. Par conséquent, et quand bien même son entrée au capital du GIE avait fait l'objet d'un enregistrement au greffe du tribunal de commerce et à la recette des impôts de Bordeaux-Mérignac, elle ne peut opposer au comptable public l'exonération de dettes prévue par les statuts du GIE en faveur des nouveaux membres qui en aurait fait la déclaration, et doit ainsi être regardée comme tenue solidairement au paiement de la dette fiscale du groupement née antérieurement à son entrée au capital, le 15 octobre 2009.
7. Par ailleurs, si la société Grand Cru Storage a cédé ses parts du GIE Aliquem le 31 décembre 2010, il est constant que cette cession n'a pas donné lieu à une publication au registre du commerce et des sociétés. Or, ainsi que l'a relevé le tribunal, ce défaut de publication au registre du commerce et des sociétés ne saurait, eu égard aux effets d'une telle publication, être compensé par la circonstance que l'acte de cession a donné lieu, en revanche, à un enregistrement auprès du service des impôts des entreprises, à la date du 27 avril 2011. Par suite, en dépit de la cession de parts intervenue, la société Grand Cru Storage est demeurée solidairement tenue aux dettes du groupement.
Sur la prescription :
8. D'une part, aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Les comptables du Trésor qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa, par lequel se prescrit l'action en recouvrement, est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part du contribuable et par tous actes interruptifs de la prescription. ".
9. D'autre part, aux termes de l'article L. 621-40 du code de commerce, dans sa version en vigueur à la date du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à l'encontre du GIE Aliquem : " I. Le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant : / 1° à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent (...) / II. Il arrête ou interdit également toute voie d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles. / III. Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence suspendus. ". Aux termes de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, dans sa version alors en vigueur : " Le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant : / - à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; (...) Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence suspendus. Aux termes de l'article L. 622-25-1 du même code : " la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure : elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuites ". Enfin, aux termes de l'article 2244 du code civil, alors applicable et dont la substance est désormais reprise, en ce qui concerne l'effet d'une citation en justice, à l'article 2241 de ce code : " Une citation en justice (...), un commandement ou une saisie (...) interrompent la prescription (...) " et selon l'article 2249 de ce code dans sa rédaction alors applicable : " L'interpellation faite (...) à l'un des débiteurs solidaires (...) interrompt la prescription contre tous les autres. ".
10. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la déclaration de ses créances par le comptable au passif d'une procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur principal, qui produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ainsi que le précise désormais l'article 2242 du code civil, interrompt jusqu'à la clôture de cette procédure le délai de quatre ans par lequel se prescrit son action en recouvrement à compter de l'émission d'un avis de mise en recouvrement et s'étend aux débiteurs solidaires, pour les impositions au paiement desquelles ils sont solidairement tenus dès lors que la dette n'est pas prescrite à l'encontre du débiteur principal à la date à laquelle le tiers est déclaré débiteur solidaire.
11. Au cas particulier, la déclaration de créance du 31 juillet 2007 effectuée par le comptable public dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire du GIE Aliquem a eu pour effet d'interrompre la prescription jusqu'à la clôture de cette procédure. Elle a été admise à titre privilégié par ordonnance du juge-commissaire du redressement judiciaire en date du 11 mars 2009 et, lorsque le tribunal de commerce a décidé, le 18 janvier 2012, de mettre un terme à la procédure de redressement et de prononcer l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, elle a été inscrite au passif de la procédure collective. Une première mise en demeure de payer la somme de 237 986,26 euros a été adressée à la société Grand Cru Storage par le responsable du pôle recouvrement spécialisé le 22 février 2012. La seconde mise en demeure valant commandement de payer, qui fait l'objet du présent litige, est intervenue moins de deux ans plus tard. A cette date, celle-ci n'était pas prescrite, contrairement à ce que soutient la société Grand Cru Storage.
Sur la régularité de la procédure de recouvrement :
12. Si la société requérante, dont il n'est pas contesté qu'elle a été destinataire d'un avis de mise en recouvrement individuel conformément aux dispositions des articles R. 256-1 et R. 256-2 du livre des procédures fiscales, fait valoir qu'elle n'a pas pour autant disposé, en méconnaissance du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques et des principes issus de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'ensemble des informations indispensables à la contestation de la créance fiscale en cause, une telle argumentation, qui relève du contentieux de l'assiette, est en tout état de cause inopérante dans le présent contentieux de recouvrement.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Grand Cru Storage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de la société Grand Cru Storage tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Grand Cru Storage est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Malmezat-Prat en sa qualité de liquidateur de la société Grand Cru Storage et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience publique du 25 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
M. David Katz, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 novembre 2018.
Le rapporteur,
Laurent POUGETLe président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Catherine JUSSY
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX00912