Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 avril 2021, la préfète de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement de la magistrate désignée par la présidente[TS1] du tribunal administratif de Bordeaux du 22 mars 2021 ;
2°) de mettre à la charge de M. A... D... alias B... C..., une somme de 800 euros au profit de l'Etat en application des dispositions combinées de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la seule production à postériori d'un acte de naissance sous l'identité mineure E... C... B... né le 31 octobre 2005, ne saurait attester de sa minorité. Il ne peut apporter la preuve que ce document lui est relatif en l'absence notamment d'élément photographique et de tout document d'identité avec sa photographie.
Par mémoire en défense enregistré le 4 mai 2021 et les pièces enregistrées le
17 mai 2021, M. C..., représenté par Me Lassort, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 avril 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au
21 juin 2021 à 12 heures.
Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale accordée en première instance[TS2] à
M. C... par décision du 5 mai 2021 a été maintenu en appel [TS3]par décision du
10 juin 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dominique Ferrari,
- et les observations de Me Stinco, substituant Me Lassort, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant de nationalité algérienne, a été interpellé par les services de police le 15 mars 2021 pour des faits de vol dans un magasin. Par deux arrêtés du 16 mars 2021, la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par jugement n° 2101323 du 22 mars 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l'annulation de ces arrêtés. La préfète de la Gironde relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fins d'annulation :[TS4]
2. Pour annuler les arrêtés en litige, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a estimé qu'" il ressort du procès-verbal établi par les services de police que M. C... a déclaré se dénommer Kader D... et être né le 14 mai 2001 lors de son interpellation. C'est sur le fondement de cet état-civil allégué qu'a été édictée à son encontre une obligation de quitter le territoire français. Ce dernier produit toutefois devant le tribunal un acte de naissance établi au nom de B... C..., né le 31 octobre 2005, qu'il déclare comme son état-civil véritable, ce qui doit conduire à le regarder comme étant âgé de quinze ans et non de dix-huit ans. La seule circonstance qu'il se soit vu notifier, le 3 mars 2021, un refus de prise en charge en tant que mineur par le président du conseil départemental ne permet pas d'écarter la présomption d'authenticité qui s'attache à son acte de naissance, en l'absence au dossier de tout élément de nature à la remettre en cause. Il en résulte, en application du 1°) de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. C... ne pouvait légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Cette décision doit donc être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ, fixant le pays de destination, interdisant son retour pour une durée de trois ans et l'assignant à résidence, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête. ".
3. Pour remettre en cause le bien-fondé du jugement attaqué, la préfète de la Gironde soutient que la seule production, a posteriori, d'un acte de naissance sous l'identité mineure E... C... B... né le 31 octobre 2005, ne saurait attester de la minorité du requérant et ce d'autant que la preuve que ce document lui serait relatif n'est pas rapportée en l'absence notamment d'élément photographique et de tout document d'identité avec sa photographie.
4. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté en litige[TS5] : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ". Par ailleurs, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur, [TS6]prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la copie intégrale de l'acte de naissance n° 1393, établi par les autorités civiles de la République démocratique algérienne, que M. C... est né le 31 octobre 2005 à Oran et qu'il était donc âgé de moins de seize ans à la date de l'arrêté attaqué. Il ressort également des pièces du dossier que la police aux frontières s'est elle-même prononcée en faveur de la minorité de l'intéressé dans son rapport technique déposé au greffe du tribunal judiciaire de Bordeaux le 6 avril 2021 et que sur la base de ces éléments, le tribunal pour enfants, par ordonnance du 12 mai 2021, a confié M. C... au département de la Gironde, à compter du 21 mai 2021, dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance. Dans ces conditions, et alors que l'administration n'a produit aucun élément de nature à contester la force probante de l'acte d'état civil produit par M. C..., ce dernier est fondé à soutenir qu'étant âgé de 16 ans à la date de l'arrêté en litige il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement, conformément aux dispositions précitées du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, en obligeant l'intéressé à quitter le territoire français, la préfète de la Gironde a méconnu ces dispositions et a entaché sa décision d'illégalité.
7. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Gironde n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 16 mars 2021 par lequel elle a obligé M. C... à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a interdit son retour pour une durée de trois ans, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'Etat demande au titre des frais exposés par lui non compris dans les dépens.
9. En revanche, M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lassort, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lassort de la somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la préfète de la Gironde est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Lassort une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Lassort renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... C.... Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. Nicolas Normand, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2021.
Le rapporteur,
Dominique Ferrari
La présidente,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Stéphan Triquet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
[TS1]Je propose d'ajouter ceci
[TS2]On peut ajouter ceci...ou pas
[TS3]idem
[TS4]Je propose d'ajouter ce titre
[TS5]Je propose d'ajouter cette mention, un CESEDA refondu étant entré en vigueur le 1er mai 2021, cet article étant devenu le L. 611-3.
[TS6]Idem le L. 111-6 est devenu le L. 811-2
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N° 21BX01472