Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 décembre 2018, la SAS GCE Energie représentée par Me E... demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 31 octobre 2018 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 à 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a implicitement appliqué la procédure de répression des abus de droits sans lui offrir les garanties qui lui sont attachées ;
- l'achat temporaire de l'usufruit des deux toitures n'est pas constitutif d'un acte anormal de gestion car il lui a procuré des avantages supérieurs à celui du bail emphytéotique ; en effet, l'achat de cet usufruit lui confère un droit réel sur la toiture, a été valorisé en comptabilité en tant qu'actif immobilisé et a été exigé par M. B... lors de son acquisition des parts de la société en 2011 ; cet achat lui a également permis d'une part, de bénéficier d'une servitude de passage sur un chemin rural et une surface précise autour des bâtiments ainsi que de travaux gratuits de désamiantage, d'autre part, de bénéficier d'un droit d'usage et de jouissance d'une année supplémentaire par rapport au bail emphytéotique sans avoir à verser de loyers et enfin de stabiliser son activité puisque cet usufruit ne pouvait être remis en cause à la différence du contrat de bail emphytéotique ;
- il n'y a pas eu de désinvestissement ni d'avantage occulte octroyé à M. et Mme F... ;
- l'administration ne rapporte pas la preuve de la réalité du manquement délibéré.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 10 août 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 16 septembre 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G... H...,
- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Gce Energie, créée le 15 juillet 2010 et ayant pour objet social la production et la vente d'électricité d'origine photovoltaïque, réalise son activité à partir d'installations fixées sur les toits de deux bâtiments à usage agricole situé à La Perouille (Indre) appartenant à M. et Mme F.... En vertu d'un bail emphytéotique conclu le 23 juillet 2010, ces toits lui ont été loués pour une durée de trente ans, par les époux F..., moyennant une redevance annuelle de 1 000 euros. Par un acte notarié, en date du 26 mai 2011, les trois enfants de M. et Mme F..., détenteurs à parts égales du capital de la SAS GCE Energie, ont cédé l'intégralité de leurs actions à M. B... pour un prix de 300 euros. Par un autre acte notarié en date du 11 juin 2011, la SAS GCE Energie a acquis auprès des époux F..., l'usufruit de ces deux toitures pour une durée de trente ans, au prix de 257 342 euros. Enfin, M. et Mme F... ont racheté au cours de l'année 2015, la totalité des actions de la Sas GCE Energie. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période comprise entre le 1er juillet 2010 et le 30 juin 2014, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité fiscale de l'ensemble des frais et charges concernant l'acquisition de l'usufruit temporaire en estimant que cette opération constituait un acte anormal de gestion. La société GCE Energie relève appel du jugement du 31 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 à 2014.
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration invoque des faits constitutifs d'un abus de droit pour justifier un redressement, le contribuable, qui n'a pas demandé la saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit, doit être regardé comme ayant été privé de la garantie tenant à la faculté de provoquer cette saisine si, avant la mise en recouvrement de l'imposition, l'administration omet de l'aviser expressément que le redressement a pour fondement les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales .
3. Au soutien du moyen tiré de ce que l'administration aurait fait implicitement appliqué la procédure de répression des abus de droits sans lui offrir les garanties qui lui sont attachées, la société requérante ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas la réponse apportée par le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
4. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un avantage consenti par une entreprise constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.
5. L'acquisition par la société requérante de l'usufruit de deux toitures, pour une durée de trente ans, qu'elle a valorisée comptablement comme un actif immobilisé amortissable alors qu'elle était déjà titulaire d'un bail emphytéotique d'une durée restant à courir de 29 ans lui procurant un droit réel immobilier sur ces mêmes biens ne relève pas, a priori, d'une gestion commerciale normale sauf à ce que la société requérante soit en mesure de justifier qu'elle a bénéficié de contreparties à cet achat. L'avis rendu dans sa séance du 6 novembre 2015 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'a aucune influence sur l'application de ce régime de la preuve.
6. En premier lieu, si l'acte de cession des parts du 26 mai 2011 comporte une condition résolutoire selon laquelle le défaut de vente dans un délai de deux mois par M. A... F..., à la société GCE Energie, de l'usufruit de la toiture des bâtiments conduira à la résolution de la cession des parts, cette circonstance ne démontre pas l'existence d'une contrepartie suffisante à l'achat de cet usufruit, alors d'ailleurs que la société requérante n'est pas partie à cet acte.
7. En deuxième lieu, la circonstance que l'achat de l'usufruit a permis à la société de bénéficier d'une servitude de passage alors qu'un simple droit de passage est prévu dans le bail emphytéotique ne suffit pas à démontrer l'intérêt pour la société de dépenser une somme de 257 342 euros dès lors que les effets qui s'attachent au droit de passage et à la servitude de passage sont sensiblement les mêmes. En effet et ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges dont il y a lieu de s'approprier les motifs pertinemment retenus, " le bail emphytéotique indique sans ambiguïté que le bailleur autorise le preneur " à mettre toutes installations nécessaires au fonctionnement des panneaux photovoltaïques, et notamment à installer tous onduleurs dans le bâtiment ou sur le terrain ; le bailleur autorise également tous droits de passage de canalisation d'alimentation nécessaires aux panneaux photovoltaïques ".
8. En troisième lieu, à supposer même que l'achat de l'usufruit ait permis à la société requérante de bénéficier de travaux gratuits de désamiantage, elle n'établit nullement que l'exercice de son activité de production et de vente d'électricité d'origine photovoltaïque sur les toitures prises à bail des bâtiments agricoles nécessitait de procéder à un désamiantage. Au demeurant, le contrat en cause de cession de l'usufruit n'oblige nullement M. F... à désamianter la toiture, seul l'acte par lequel les enfants des époux F... ont cédé, selon un acte notarié du 26 mai 2011, l'intégralité des actions qu'ils détenaient dans la société à M. B... prévoyant un tel désamiantage.
9. En quatrième lieu, si la société requérante fait valoir que l'achat de l'usufruit en cause lui confère le droit de percevoir, à l'expiration du contrat de bail emphytéotique, une année de chiffre d'affaires supplémentaire estimé à 130 000 euros et que ses emprunts seront alors terminés et ses biens amortis, le bénéfice net attendu sur cette seule année ne justifie pas le versement d'une somme de 257 342 euros.
10. En cinquième lieu, si la société requérante fait valoir que l'achat de cet usufruit lui permet de stabiliser son activité car il ne peut être remis en cause à la différence du contrat de bail emphytéotique, il résulte pourtant des termes mêmes du bail qu'il ne peut être résilié qu'en cas de défaut de paiement de la redevance, de détériorations graves commises par le preneur sur le bien et en cas d'inexécution des conditions qu'il prévoit et en particulier en cas de non édification des constructions imposées au preneur dans les délais convenus. Le bail emphytéotique en cause préserve donc, à lui seul, la pérennité de l'activité de la société requérante.
11. En dernier lieu, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de la notion de désinvestissement propre aux redressements intervenus en matière de revenus distribués pour contester les impositions supplémentaires mises à sa charge.
En ce qui concerne la majoration pour manquement délibéré :
12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
13. Pour appliquer la pénalité pour manquement délibéré prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, le service s'est fondé sur la circonstance que l'acquisition de l'usufruit des toitures n'apportait à la SAS GCE Energie aucun avantage ou un avantage dérisoire au regard de son coût et de la contrepartie reçue dès lors qu'elle était déjà titulaire d'un bail emphytéotique. Dès lors que la société requérante ne pouvait ignorer que cet achat était disproportionné par rapport au peu d'avantages qu'elle pouvait en retirer et que le fruit de cette gestion anormale ne bénéficiait qu'au vendeur, l'administration doit être regardée comme apportant, ainsi qu'il lui incombe, la preuve de l'existence d'un manquement délibéré au sens des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS GCE Energie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS GCE Energie est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié la SAS GCE Energie et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au directeur du contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme D... C..., présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. G... H..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 08 décembre 2020.
La présidente,
Evelyne C...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX04494