Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 avril 2020, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 18 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 février 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé sa remise aux autorités autrichiennes ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de 48 heures ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision méconnaît l'article 5.5 du règlement n° 604/2013 ; le compte rendu de l'entretien individuel n'est pas signé par la personne qui l'a mené et ne précise pas l'identité de cette personne ni même ses initiales ; il est impossible de vérifier la compétence et la qualification de la personne ayant mené cet entretien ;
- l'entretien individuel prévu par les dispositions de l'article 5.1 du règlement n° 604/2013 n'était pas régulier ; il n'a pas été informé de la possibilité de présenter des observations afin de solliciter l'application de la clause discrétionnaire de l'article 17 du même règlement ; cet entretien a duré sept minutes ;
- l'entretien ne s'est pas déroulé conformément aux dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il n'a bénéficié que de services d'un interprète joint par téléphone sans aucune tentative de trouver un interprète sur place ;
- dès lors que l'Autriche a définitivement rejeté sa demande d'asile et que son retour donnera immédiatement lieu à son renvoi en Afghanistan, la décision méconnait les dispositions combinées des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 53-1 de la constitution ; la préfète de la Gironde n'a opéré aucune vérification du caractère immédiatement exécutoire de la décision d'éloignement le concernant alors que ce type de renseignement peut être aisément obtenu dans le cadre de la coopération en matière de partage d'informations prévue par l'article 34 du règlement n° 604/2013 ; le préfet a commis une erreur de droit au regard des textes précités qui établissent le droit de tout Etat d'examiner lui-même une demande de protection internationale quand bien même cette demande relèverait de la compétence d'un autre Etat ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article 9.1 du règlement (UE) 603/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 dès lors que ses empreintes digitales ont été relevées avant qu'il ne dépose une demande d'asile ; le préfet ne pouvait pas procéder au recueil de ses empreintes ni les comparer avec des empreintes du fichier EURODAC.
Par un mémoire et des pièces enregistrés les 18 et 29 septembre 2020, la préfète de la Gironde signale que le transfert de M. D... a été effectué le 16 septembre 2020 et conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mai 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlements (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. F... E..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., de nationalité afghane, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 16 novembre 2019 et a déposé une demande d'asile auprès de la préfecture de police de Paris le 29 novembre 2019. Le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé qu'il avait déposé une demande d'asile en Bulgarie le 19 novembre 2015 et une seconde demande en Autriche le 1er décembre 2015. Les autorités bulgares ayant refusé de reprendre en charge l'intéressé par une décision du 4 décembre 2019, les autorités autrichiennes ont alors été saisies d'une demande de reprise en charge le 3 décembre 2019 sur le fondement de l'article 18-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cette demande a été acceptée par une décision explicite du 4 décembre 2019. M. D... relève appel du jugement en date du 18 mars 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 26 février 2020 par lequel la préfète de la Gironde a ordonné son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
2. En premier lieu, M. D... reprend en appel, sans les assortir d'élément nouveau ni de critique utile du jugement, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la méconnaissance des dispositions des points 1 et 5 de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.
3. En deuxième lieu, aux termes du point 1 de l'article 9 du règlement n° 603/2013 susvisé : " Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est présenté le 29 novembre 2019 à la préfecture de police de Paris pour y déposer une demande d'asile et que le relevé de ses empreintes décadactylaires a été immédiatement effectué conformément aux dispositions précitées du point 1 de l'article 9 du règlement n° 603/2013. La seule circonstance que l'entretien prévu par les dispositions des articles 4 et suivants du même règlement et l'enregistrement de sa demande d'asile aient eu lieu le 2 décembre suivant n'est pas de nature à entacher d'irrégularité l'arrêté en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 9.1 précité doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement UE n° 604/2013 : " 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
6. M. D... soutient que la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire et en décidant son transfert alors qu'il fait l'objet en Autriche d'une mesure d'éloignement exécutoire en raison du rejet définitif de sa demande d'asile et risque d'être réacheminé vers l'Afghanistan, où il serait exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que les autorités autrichiennes ont accepté la reprise en charge de M. D... sur le fondement du d) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, correspondant à la situation d'un étranger dont la demande d'asile a été rejetée, l'arrêté attaqué a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Autriche, Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. D... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Autriche dans la procédure d'asile ou que les juridictions autrichiennes n'auraient pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités de cet Etat n'évalueraient pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de M. D..., les risques actuels auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan compte tenu de la situation de ce pays. Par suite, la préfète de la Gironde n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni entaché sa décision d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ou dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 en décidant de transférer l'intéressé auprès des autorités autrichiennes.
7. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée pour information à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme C... B..., présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. F... E..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.
La présidente,
Evelyne B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01365