Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 juillet 2016 et 16 février 2018, MmeD..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 19 mai 2016 ;
2°) d'annuler l'opposition à tiers détenteur susmentionnée ;
3°) de mettre à la charge du département de la Guadeloupe la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la créance du département de la Guadeloupe était prescrite au 19 juin 2013 en raison du délai de prescription de cinq ans ; or le département n'a pas été en mesure d'apporter la preuve qu'un titre exécutoire aurait été émis et régulièrement notifié avant cette date ; par un jugement n° 1601252 du 18 mai 2017, le tribunal administratif de la Guadeloupe a considéré que le titre de recettes du 24 mai 2013 émis par le département pour un montant de 18 604,80 euros n'avait pas été régulièrement notifié et n'avait pas interrompu de le cours de la prescription quinquennale de sorte que la créance était prescrite ;
- le département n'apporte pas la preuve de l'existence même de l'acte du 24 mai 2013 ; le bordereau produit, outre le fait qu'il indique une adresse erronée, ne comporte aucune mention d'une notification ; l'opposition à tiers détenteur est donc dépourvue de base légale en l'absence de mesure de recouvrement ;
- en l'absence de notification du titre exécutoire, le principe du contradictoire a été méconnu ;
- l'opposition à tiers détenteur ne mentionne pas les bases de la liquidation de la dette ; le titre de perception doit également indiquer les bases de la liquidation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
- la créance n'est ni exigible ni liquide étant contestable dans son principe et son montant ; elle a d'ailleurs été déchargée de l'obligation de payer la somme de 18 604,80 euros par le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe précité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2017, le département de la Guadeloupe, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme D...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, le titre de recettes peut être adressé par lettre simple au redevable et aux termes du dernier alinéa du 4° de cet article, seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation ; un avis des sommes à payer a été émis le 24 mai 2013 et il apporte la preuve en produisant le bordereau du titre de recettes, que ce titre existe et a été notifié à la requérante par pli simple ; la créance n'est donc pas prescrite ;
- en tout état de cause, le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur la légalité en la forme d'une opposition à tiers détenteur et sur les conditions de sa notification en application de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ;
- il a respecté la procédure et aucune atteinte au principe de la contradiction ne peut lui être reprochée ; en tout état de cause, l'absence de notification du titre de recettes est dépourvue d'incidence sur l'existence et la légalité de l'opposition à tiers détenteur ;
- si un titre exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la dette, ces indications peuvent figurer dans un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur ; il a transmis à la requérante des courriers les 24 janvier 2002, 17 avril 2003 et 10 novembre 2008 qui font apparaître l'objet, la nature et le montant de la dette ; le bordereau du titre exécutoire fait également apparaître les bases de la liquidation ; la régularité en la forme de l'acte de poursuite que conteste la requérante relève de la compétence du juge judiciaire ;
- les pièces versées au débat justifient du principe comme du montant de la créance dont il poursuit le recouvrement.
Par ordonnance du 8 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 11 juin 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 2018 :
- le rapport de Mme Marianne Pouget ;
- et les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à l'annulation de l'opposition à tiers détenteur du 14 janvier 2014 formée par la paierie départementale de la Guadeloupe auprès de son employeur pour le recouvrement d'une somme de 18 604,80 euros au titre du remboursement d'un prêt d'honneur qui lui avait été octroyé dans le cadre de ses études supérieures poursuivies de 1991 à 1997. Mme D...relève appel du jugement du 19 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande qu'il a regardée comme tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme de 18 604,80 euros procédant de l'acte de poursuites attaqué.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. D'une part, le " contrat de prêt d'études " conclu par l'intéressée avec le président du conseil général de la Guadeloupe stipulait, notamment, dans son article 1er, que le prêt était
consenti " aux clauses et conditions déterminées par le règlement départemental d'aide aux étudiants " et que l'emprunteur s'engageait " à se conformer aux prescriptions réglementaires pouvant résulter de décisions du président du conseil général postérieurement à la signature du présent acte ". L'existence d'une telle clause confère au contrat en cause le caractère d'un contrat administratif. Dès lors, la créance dont le comptable poursuivait le recouvrement à l'encontre de Mme D...est, elle-même, de nature administrative.
3. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'opposition à tiers détenteur, Mme D...conteste l'existence de la créance et son exigibilité de sorte qu'elle doit être regardée comme demandant la décharge de l'obligation de payer la somme résultant de cette opposition à tiers détenteur. Par suite, l'action présentée par l'intéressée relève de la compétence de la juridiction administrative.
Sur les conclusions aux fins de décharge de l'obligation de payer :
4. Aux termes de l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ". Aux termes de l'article 2224 du même code dans sa rédaction postérieure à la loi du 17 juin 2008 : " les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Et aux termes de l'article 2222 du même code dans sa rédaction postérieure à la loi du 17 juin 2008 : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. ". Il résulte de ces dernières dispositions que, lorsqu'une loi nouvelle modifiant le délai de prescription d'un droit, abrège ce délai, le délai nouveau est immédiatement applicable et commence à courir à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Par ailleurs, le délai ancien, s'il a commencé à courir avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ne demeure applicable que dans l'hypothèse où sa date d'expiration surviendrait antérieurement à la date d'expiration du délai nouveau.
5. En l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription quinquennale instituée par les dispositions de l'article 2224 du code civil sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du même code. Il en résulte qu'un titre exécutoire émis par l'administration en vue de recouvrer une somme au titre du remboursement d'un prêt d'études interrompt la prescription à la date de sa notification et que la preuve de celle-ci incombe à l'administration.
6. Les contrats de prêt d'honneur conclus par Mme D... avec le département de la Guadeloupe stipulaient, à l'article V, que " l'emprunteur disposera d'un délai de dix années à compter de la fin ou de l'interruption de ses études, pour se libérer des sommes qui lui auront été versées (...) Le remboursement sera effectué à la convenance de l'emprunteur soit en une seule fois, soit en plusieurs versements (annualités, semestrialités, trimestrialités ou mensualités). Il pourra avoir lieu par anticipation ".
7. Le délai de prescription de la dette de Mme D...envers le département de la Guadeloupe a commencé à courir à la date à laquelle sa dette est devenue exigible, soit dix ans après la fin des études entreprises par cette dernière, en l'occurrence à l'issue de l'année universitaire 2006/2007. Ainsi, le délai de la prescription, alors trentenaire, de l'action du département tendant au remboursement du prêt d'honneur en litige, n'était pas parvenu à son terme lorsque la loi du 17 juin 2008 instaurant un nouveau délai de prescription de 5 ans est entrée en vigueur le 19 juin 2008. Le nouveau délai de prescription a commencé à courir le 19 juin 2008 et devait expirer le 18 juin 2013. Si le département de la Guadeloupe soutient qu'un titre de recettes a été émis le 24 mai 2013 de sorte que la prescription a été interrompue, il n'établit pas que ce titre, adressé en courrier simple, conformément aux dispositions du 4° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, a été régulièrement notifié à la requérante antérieurement au 18 juin 2013 à minuit, date à laquelle le délai de prescription quinquennale est arrivé à expiration. Par suite, la collectivité n'établissant pas avoir interrompu le cours de la prescription quinquennale de droit commun, celle-ci doit être regardée comme étant acquise à la requérante qui doit dès lors être déchargée de l'obligation de payer la somme de 18 604,80 euros procédant de l'opposition à tiers détenteur du 24 janvier 2014.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens :
9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeD..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département de la Guadeloupe demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le département de la Guadeloupe à verser à Mme D...la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1400134 du 19 mai 2016 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé.
Article 2 : Mme D...est déchargée de l'obligation de payer la somme de 18 604,80 euros.
Article 3 : Le département de la Guadeloupe versera à Mme D...une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D...et au département de la Guadeloupe. Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre des Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme Marianne Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvande Perdu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 novembre 2018.
Le rapporteur,
Marianne POUGET
Le président,
Philippe POUZOULET
Le greffier,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX02283