Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er avril 2019 et 10 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler partiellement ce jugement du 5 décembre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux en son article 2 ;
2°) de rétablir M. et Mme A... à raison des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et du surplus de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2008 à 2011, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
Il soutient que :
- le rétablissement sollicité porte sur un montant de 80 843 euros de droits après déduction d'un dégrèvement intervenu le 16 février 2018 pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 10 février 2017 et non sur les pénalités, le rétablissement sollicité reposant sur une substitution de base légale ;
- en omettant de soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'erreur de classification catégorielle des revenus, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ;
- si ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, l'existence de contreparties pour les entreprises ayant accordé des avantages en nature à M. A... excluait l'imposition des sommes sur le fondement de l'article 111-c du code général des impôts, toutefois, il y a lieu de substituer à ce fondement l'article L. 169 du livre des procédures fiscales définissant l'exercice d'une activité occulte ; M. A... ne s'est pas inscrit auprès d'un centre de formalités des entreprises et n'a pas déposé de déclaration professionnelle mentionnant les avantages octroyés, l'activité ayant été révélée par les pièces de la procédure judiciaire mise en oeuvre à son encontre ;
- les éléments recueillis ont confirmé l'existence d'un système de corruption mis en place par M. A..., lequel a exercé une activité consistant à favoriser l'obtention de marchés avec surfacturation auprès des sociétés Auchan et Immochan en échange d'avantages et de cadeaux qui constituaient la rémunération d'une activité occulte ;
- par voie de substitution de base légale, il y a lieu de considérer que les avantages en nature accordés à M. A... sous forme de cadeaux, voyages, retro-commissions, prêts de véhicules et travaux réalisés à son domicile constituent la rémunération d'une activité occulte au sens de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales imposable à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre des années 2008 à 2011, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, au visa de l'article 92 du code général des impôts ;
- la substitution de base légale n'a pas pour effet de priver M. A... de la faculté de saisir la commission départementale des impôts dès lors que celle-ci est incompétente pour formuler un avis dans le cadre de la procédure de taxation d'office qui est seule applicable dans le cas de la découverte d'une activité occulte au sens de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2020, M. et Mme A..., représentés par la société PwC Société d'Avocats, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- le ministre n'est pas fondé à demander la substitution d'une nouvelle base légale d'imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux dès lors qu'ils n'ont pu bénéficier de la garantie que constitue la saisine de la commission départementale des impôts ; l'administration n'apporte aucune preuve démontrant que la procédure propre à la nouvelle base légale a été respectée ;
- à titre subsidiaire, l'administration ne justifie pas du montant des impositions mis à leur charge en se basant uniquement sur les éléments de la procédure pénale ; la valeur réelle des cadeaux doit être limitée à 26 542 euros au titre de l'année 2008, 42 775 euros au titre de l'année 2009, 26 841 euros au titre de l'année 2010 et 12 669 euros au titre de l'année 2011 ;
- l'application de pénalités pour manquement délibéré sur le fondement de l'article 1729-a du code de justice administrative n'est pas justifiée ; en tant que non professionnels du droit, ils pouvaient valablement ignorer leur obligation, à supposer établie, de déclarer les cadeaux commerciaux reçus d'entreprises tierces.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Birsen Sarac-Deleigne, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Sur la base des éléments de la procédure pénale communiqués dans le cadre du droit de communication exercé auprès de l'autorité judiciaire, M. A... a fait l'objet d'un examen particulier de sa situation fiscale personnelle à l'issue duquel le service lui a notifié des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de pénalités pour manquement délibéré d'un montant total de 125 082 euros, procédant de l'imposition, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, de sommes correspondant à des avantages en nature et cadeaux divers dont l'intéressé a bénéficié au cours des années 2008 à 2011 de la part de différentes sociétés et que l'administration a regardées comme des distributions occultes sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts. Par jugement du 5 décembre 2018, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer à hauteur d'un dégrèvement d'un montant de 12 724 euros prononcé par l'administration en cours d'instance pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel rendue le 10 février 2017 dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité n°2016-610 déclarant inconstitutionnelle la majoration de 25 % de la base soumise aux prélèvements sociaux appliquée aux rectifications litigieuses en vertu de l'article 158, 7-2° du code général des impôts, le tribunal administratif de Bordeaux a déchargé les époux A... du surplus des impositions restant en litige. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement en tant qu'il a déchargé les époux A... des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux réclamés au titre des années 2008 à 2011 restant en litige, pour un montant total de 80 843 euros, à l'exclusion des pénalités infligées pour manquement délibéré.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué (...). ".
3. Pour accorder à M. et Mme A... la décharge des impositions qui restaient en litige, les premiers juges ont estimé que, comme le soutenaient les demandeurs, les avantages en nature consentis à M. A... ne pouvaient être considérés comme des libéralités intentionnellement octroyées comme telles, imposables entre les mains du contribuable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, dès lors que les entreprises qui les avaient consentis cherchaient à obtenir de M. A... des contreparties. En jugeant ainsi que les conditions d'application de ces dispositions n'étaient pas remplies, le tribunal n'a pas méconnu leur champ d'application. Ainsi, le tribunal n'a pas omis de soulever un moyen d'ordre public devant être communiqué aux parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative mais a procédé à une qualification juridique des faits dont la contestation relève du fond. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes (...) ".
5. Il résulte des éléments révélés par la procédure judiciaire au terme de laquelle M. A... a été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux du 19 février 2016 à une peine d'emprisonnement de 3 ans dont 15 mois avec sursis pour corruption passive, qu'il a bénéficié entre 2008 et 2011, alors qu'il était salarié de la société Immochan, filiale du groupe Auchan, d'avantages en nature ayant revêtu la forme de cadeaux, de voyages, de rétro-commissions, de prêts de véhicules et de travaux réalisés à son domicile, de la part de certaines entreprises qui espéraient ainsi accéder à des marchés et à des commandes de la part de la société Immochan ou conserver leurs contrats commerciaux avec cette société dans l'attribution desquels M. A... jouait un rôle prépondérant. Les conditions dans lesquels ces avantages ont été consentis sont relatées dans les procès-verbaux d'audition des protagonistes dont des extraits sont repris dans la requête et dans les écritures en défense de l'administration. Ainsi, compte tenu de l'existence d'une contrepartie pour les entreprises versantes, les avantages en nature consentis à M. et Mme A... ne peuvent être considérés, ainsi que l'a jugé le tribunal, comme des libéralités, intentionnellement octroyées comme telles, imposables entre leurs mains dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts.
6. Devant la cour et pour la première fois, le ministre de l'action et des comptes publics demande que l'imposition des sommes en litige soit maintenue, par voie de substitution de base légale, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement de l'article 92 du code général des impôts.
7. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus (...) ". Aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : " Peuvent être évalués d'office : / (...) 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal ; / (...) Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2° ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre, dans sa rédaction alors applicable : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : / (...) 3° Si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s'il s'est livré à une activité illicite ".
8. Si l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, une telle substitution de base légale ne saurait avoir pour effet de priver le contribuable de la faculté, prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend.
9. Il est constant que M. A... n'a procédé à aucune déclaration mentionnant, même dans une catégorie erronée, les avantages en nature à raison desquels il a été condamné pour corruption à une peine d'emprisonnement par jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux en date du 19 février 2016. Il résulte de ce jugement que M. A... a reconnu à l'audience avoir conclu un pacte de corruption en sollicitant des avantages auprès des entrepreneurs qui concluaient ou souhaitaient conclure des marchés avec la société Immochan. Ayant perçu des revenus provenant d'une activité occulte illicite, révélée à l'administration par les constations du juge pénal et non par la vérification approfondie de la situation fiscale d'ensemble de l'intéressé, M. A... se trouvait ainsi placé dans une situation d'évaluation d'office alors même que l'administration ne lui a pas adressé de mise en demeure. Il ne peut ainsi utilement opposer la privation de la garantie résultant de l'absence de la saisine préalable de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, compétente en cas de procédure de redressement contradictoire. Dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de base légale demandée par le ministre.
10. Pour établir le montant des impositions mis à la charge des époux A..., l'administration fiscale a procédé à une évaluation des avantages en nature octroyés sur la base des pièces du dossier pénal et notamment des procès-verbaux communiqués en application des articles L. 81, L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscale faisant mention des factures et documents comptables des sociétés corruptrices, des déclarations de leurs dirigeants ainsi que des gérants des sociétés prestataires de services de voyage et de location de véhicules. Les devis produits par le requérant et dont il n'est pas soutenu ni même allégué qu'ils auraient été établis dans des conditions identiques à ceux des avantages en nature effectivement octroyés, ne permettent pas de remettre en cause les éléments contenus dans les procès-verbaux, lesquels font foi jusqu'à preuve du contraire, alors en outre que M. A... qui a reconnu devant le juge pénal les faits de corruption, n'a jamais contesté la valeur des avantages en nature qu'il avait reçus.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander, d'une part, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il prononce la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels M. et Mme A... ont été assujettis au titre des années 2008 à 2011 et, d'autre part, à ce que soit remise à la charge de M. et Mme A... au titre des années 2008 à 2011, la somme de 80 843 euros correspondant à ces impositions supplémentaires.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 décembre 2018 est annulé en tant que, par ce jugement, le tribunal a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels les contribuables ont été assujettis au titre des années 2008 à 2011 et restant à leur charge.
Article 2 : La demande de M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée en tant qu'elle porte sur les impositions visées au 1er article ci-dessus et la somme de 80 843 euros correspondant aux suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux restant en litige au titre des années 2008 à 2011, est remise à la charge de M. et Mme A....
Article 3 : Les conclusions d'appel de M. et Mme A... sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme E... B..., présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
La présidente,
Elisabeth B... La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01275