Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 août 2018 et le 18 mars 2019, M. et Mme B..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 juin 2018 ;
2°) de prononcer la décharge de l'imposition susmentionnée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la plus-value professionnelle réalisée en l'espèce et déterminée au niveau de la SCP, appartient à la catégorie des revenus non commerciaux professionnels, elle entre donc dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et bénéficie d'un délai de reprise réduit à deux ans en application de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ; ce délai de reprise réduit s'applique à la fois aux cotisations d'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux en application de l'article L. 136-6 III du code de la sécurité sociale ; ainsi l'année 2012 était prescrite lors de la notification de la proposition de rectification du 28 septembre 2015 et ne peut donner lieu à rectification ;
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ainsi qu'en atteste l'erreur matérielle commise par le service qui a, à tort, mentionné le montant de la plus-value en fonction de l'indemnité versée aux avoués alors que la plus-value doit d'abord être calculée au niveau de la société ;
- la réponse à la demande de renseignement de l'administration a été transmise le 18 novembre 2014 ; ainsi ce n'est qu'un an plus tard soit plus de 2 mois après la réponse des intéressés que l'administration leur a transmis une proposition de rectification, remettant ainsi en cause le principe de sécurité juridique du contribuable ; dès lors, la procédure doit être considérée comme nulle.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 février 2019 et le 30 mars 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 3 mars 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 3 avril 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
- la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... E...,
- et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, le législateur a supprimé la profession d'avoué et, corrélativement, institué un fonds en vue d'indemniser les avoués à raison du préjudice résultant de la perte du droit de présentation de leur clientèle. Au cours de l'année 2012, la société civile professionnelle (SCP) M.J. B...- P. Fonrouge, société de personnes relevant du régime prévu par l'article 8 du code général des impôts, a perçu en exécution de cette loi une indemnité d'un montant de 576 938 euros. Elle a réalisé ainsi une plus-value professionnelle à long terme s'élevant à 394 000 euros, correspondant à la différence entre l'indemnité allouée et la valeur d'origine du droit de présentation de la clientèle et la quote-part revenant personnellement à M. B... en tant qu'associé détenteur de 50% des parts de la SCP, s'est élevée à 197 000 euros.
2. Le service a procédé au contrôle sur pièces du dossier fiscal de M. B..., associé de la SCP M.J. B...- P. Fonrouge, et qui a exercé la profession d'avoué au sein de cette société jusqu'au 31 décembre 2011, date à laquelle il a pris sa retraite. Au terme de ce contrôle, il a assujetti M. B... à des cotisations supplémentaires de prélèvements sociaux résultant de la taxation de la quote-part de la plus-value perçue par M. B... mentionnée au point 1. M. et Mme B... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la décharge de ce supplément de prélèvements sociaux, ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur le bien-fondé des impositions :
3. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction en vigueur pour l'année d'imposition en litige et applicable aux prélèvements sociaux, qui sont assis et recouvrés selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu : " (...) le droit de reprise de l'administration, pour les revenus imposables selon un régime réel dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux et des bénéfices agricoles (...) s'exerce jusqu'à la fin de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable est adhérent d'un centre de gestion agréé (...), pour les périodes au titre desquelles le service des impôts des entreprises a reçu une copie du compte rendu de mission prévu aux articles 1649 quater E et 1649 quater H du code général des impôts ".
4. Les requérants se prévalent du délai spécial de reprise de deux ans prévu par les dispositions précitées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, applicable au contribuable adhérent d'un centre de gestion agréé ou d'une association agréée, et soutiennent que le droit de reprise pour l'année 2012 était prescrit lorsque le service leur a adressé la proposition de rectification du 28 septembre 2015.
5. D'une part, il est constant que la SCP était adhérente d'un centre de gestion agréé au titre de l'année en litige et qu'une copie du compte rendu de mission émis au nom de chaque associé, correspondant à l'exercice clos en 2012, prévu aux articles 1649 quater E et 1649 quater H du code général des impôts, a bien été adressé au service des impôts des entreprises compétent. Contrairement à ce que soutient le ministre, l'adhésion de la société civile professionnelle, qui relevait du régime des sociétés de personnes prévu par l'article 8 du code général des impôts et qui ne limitait pas son activité à la mise à disposition de ses membres d'un nombre limité de services communs, mais agissait d'une manière autonome en encaissant l'ensemble des produits, en payant les charges et en répartissant les bénéfices, était susceptible d'ouvrir à ses associés le bénéfice du délai réduit de reprise prévu par les dispositions précitées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales.
6. D'autre part, il résulte du 1. de l'article 93 du code général des impôts que le bénéfice imposable des titulaires de bénéfices non commerciaux tient compte des gains ou pertes exceptionnels provenant soit de la réalisation des éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession, soit de la cession des charges et offices, soit enfin des indemnités reçues en contrepartie de la cessation de l'exercice de la profession ou du transfert d'une clientèle. Aux termes de l'article 93 quater du même code : " I. Les plus-values réalisées sur des immobilisations sont soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 novodecies. ". En vertu de l'article 39 duodecies, le régime des plus-values à long terme est applicable aux plus-values provenant de la cession d'éléments non amortissables de l'actif immobilisé détenus depuis plus de deux ans.
7. Il résulte de l'instruction que l'indemnité prévue par la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel a pour objet de compenser la disparition d'un élément incorporel de l'actif immobilisé constitué par le droit de présentation de la clientèle. La perception de cette indemnité est constitutive, pour la totalité de son montant, d'une plus-value professionnelle taxable selon le régime des articles 39 duodecies à 39 novodecies du code général des impôts, conformément à l'article 93 quater du même code. Contrairement à ce que soutient le ministre, cette plus-value est imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux selon un régime réel d'imposition, au sens des dispositions précitées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, alors même que M. B... a bénéficié au titre de cette plus-value du régime d'exonération de l'impôt sur le revenu prévu par l'article 151 septies A du code général des impôts.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B..., alors même qu'ils n'ont pas déclaré ladite somme dans la déclaration 2042, sont fondés à se prévaloir du délai réduit de reprise de deux ans prévu par les dispositions précitées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales et à soutenir que le délai dont disposait l'administration pour procéder au rappel de l'imposition en litige, qui expirait ainsi le 31 décembre 2014, était prescrit avant l'intervention de la proposition de rectification du 28 septembre 2015.
9. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la décharge des impositions et pénalités en litige.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme B... dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1603920 du 20 juin 2018 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : M. et Mme B... sont déchargés des cotisations supplémentaires de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 3 : L'État versera à M. et Mme B... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance. Copie en sera délivrée à la direction de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme D... E..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.
Le rapporteur,
Caroline E...Le président,
Elisabeth Jayat
Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03163