Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 septembre 2017 et le 9 avril 2019, l'association syndicale autorisée d'irrigation (ASAI) des Roches, représentée par la SCP D...-Kolenc, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1503235 du tribunal administratif de Poitiers du 13 juillet 2017 ;
2°) de rejeter la demande de première instance présentée par l'association Nature Environnement 17 ;
3°) de mettre à la charge de ladite association la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, en ce qui concerne la responsabilité, que :
- le tribunal aurait dû distinguer entre la question de l'utilisation des réservoirs de substitution et celle de leur remplissage prétendument irrégulier ;
- si l'ASAI des Roches reconnaît ne pas avoir respecté les prescriptions de l'arrêté préfectoral du 20 janvier 2010 en ce qui concerne l'utilisation des réservoirs, aucune faute ne peut lui être reprochée s'agissant des prélèvements effectués dans le milieu naturel ; l'ASAI a toujours respecté les arrêtés préfectoraux ayant imposé des restrictions en matière de prélèvements d'eau en période estivale ; les prélèvements ont ainsi eu lieu en dehors des périodes ainsi définies par le préfet, de sorte qu'aucune faute ne peut ici être reprochée à l'ASAI des Roches ;
Elle soutient, en ce qui concerne le préjudice, que :
- même agréée pour la protection de l'environnement, l'association Nature Environnement 17 doit établir l'existence de son préjudice et le lien entre celui-ci et les fautes alléguées ;
- l'arrêté d'autorisation du 19 mars 2008 a été annulé pour un simple vice de procédure tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact jointe à la demande d'autorisation d'exploiter les réserves de substitution ;
- l'évaluation du préjudice faite par le tribunal ne correspond pas à la nature de l'illégalité commise ;
- il appartenait aux premiers juges de tenir compte du fait que les prélèvements d'eau ont eu lieu en dehors des périodes de restriction de l'usage de l'eau définies par le préfet.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 juillet 2018 et le 25 avril 2019, l'association Nature Environnement 17, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de l'ASAI des Roches ;
2°) d'enjoindre à l'ASAI des Roches de lui verser la somme de 40 000 euros fixée par le tribunal administratif dans le délai d'un mois sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) d'assortir ce montant des intérêts au taux légal et des intérêts capitalisés ;
4°) de mettre à la charge de l'ASAI des Roches la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, en ce qui concerne la responsabilité, que :
- la distinction faite par la requérante entre l'utilisation des réserves et leur exploitation est dépourvue de pertinence dès lors que l'utilisation d'une réserve implique nécessairement son remplissage par des prélèvements effectués en milieu naturel ; les prélèvements effectués par l'ASAI des Roches aux fins de remplir les réserves caractérisent l'exploitation irrégulière des ouvrages ;
- l'ASAI des Roches n'a pas respecté les prescriptions de l'arrêté préfectoral du 20 janvier 2010 qui l'autorisaient seulement à effectuer des prélèvements d'eau en vue d'assurer le lestage et le rééquilibrage des réserves à la condition que le niveau des nappes phréatiques soit supérieur à un certain niveau mesuré au piézomètre de Saint-Hilaire ; l'ASAI des Roches a ainsi procédé à un remplissage intégral des réserves en dépit des mesures prises par le préfet ; elle a poursuivi cette pratique en dépit d'un arrêté préfectoral du 10 mai 2011 la mettant en demeure d'y mettre un terme ;
- les agissements de l'ASAI des Roches, dûment constatés par procès-verbaux, révèlent une faute de sa part de nature à engager sa responsabilité ;
Elle soutient, en ce qui concerne le préjudice, que :
- les agissements de l'ASAI ont créé un préjudice à son détriment compte tenu des intérêts qu'elle défend tels que définis à l'article 2 de ses statuts ;
- ce préjudice est d'autant plus avéré qu'elle mène de nombreuses actions destinées à la préservation du milieu aquatique, ainsi qu'en témoigne son rapport d'activité annuel ;
- le montant du préjudice fixé par le tribunal n'est pas surévalué.
Par ordonnance du 9 avril 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 2 mai 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... B...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant l'association syndicale autorisée d'irrigation (ASAI) des Roches, et de Mme F..., mandatée pour l'association Nature Environnement 17.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 19 mars 2008, le préfet de la Charente-Maritime a autorisé l'association syndicale autorisée d'irrigation (ASAI) des Roches à aménager cinq réserves de substitution destinées à l'irrigation et à remplir ces retenues par prélèvements dans le milieu naturel dans le bassin du Mignon. Au motif que l'étude d'impact jointe à la demande d'autorisation était insuffisante, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 19 mars 2008 par un jugement du 31 décembre 2009.
2. A la suite de la décision du tribunal administratif, que la cour administrative d'appel a ultérieurement confirmé par un arrêt du 15 novembre 2010, le préfet de la Charente-Maritime a pris le 20 janvier 2010 un arrêté mettant en demeure l'ASAI des Roches de suspendre les travaux d'aménagement des réserves de substitution et de régulariser sa situation en déposant une nouvelle demande d'autorisation. L'article 4 de cet arrêté a néanmoins permis à l'ASAI des Roches d'effectuer des prélèvements d'eau pour le lestage et le rééquilibrage des réserves en fixant un volume de remplissage à ne pas dépasser et à la condition que le niveau de la nappe phréatique soit supérieur à 4,2 m A....
3. Saisi par l'association Nature Environnement 17, le tribunal administratif de Poitiers a estimé, par jugement du 13 juillet 2017, que l'ASAI des Roches avait commis une faute en ne respectant pas les décisions rendues par le juge administratif et les prescriptions contenues dans l'arrêté préfectoral du 20 janvier 2010. Le tribunal a également jugé que les agissements de l'ASAI des Roches avaient porté atteinte aux intérêts défendus par l'association Nature Environnement 17 et a évalué à 40 000 euros le montant des dommages et intérêts dus à cette dernière. L'ASAI des Roches relève appel de ce jugement du 13 juillet 2017 ayant prononcé sa condamnation. L'association Nature Environnement 17 présente des conclusions incidentes tendant à ce que la condamnation prononcée soit assortie des intérêts capitalisés et à ce que soit ordonné le versement de la somme à laquelle l'ASAI a été condamnée.
Sur le principe de la responsabilité de l'ASAI des Roches :
4. Il résulte de l'instruction que l'ASAI des Roches a effectué des prélèvements d'eau en milieu naturel pour le remplissage de ses réserves alors que, depuis le 31 décembre 2009, elle n'était plus titulaire de l'autorisation requise en raison de l'annulation par le juge administratif de l'arrêté du 19 mars 2008. Il résulte aussi de l'instruction que ces prélèvements ont permis le remplissage ou le quasi-remplissage des réserves de substitution contrairement aux prescriptions de l'arrêté préfectoral du 20 janvier 2010 qui autorisait une telle action dans le seul but d'assurer le lestage et le rééquilibrage de ces aménagements à condition de ne pas dépasser un volume maximal. De plus, l'ASAI des Roches a poursuivi ses agissements pendant quatre années consécutives alors même que, dès le 10 mai 2011 elle avait de nouveau été mise en demeure par le préfet de la Charente-Maritime de cesser les prélèvements à usage d'irrigation agricole. La circonstance que ces prélèvements aient été effectués en dehors des périodes de restrictions estivales fixées par le préfet est sans incidence sur la faute commise par l'ASAI des Roches, laquelle a méconnu, de façon délibérée et répétée, les obligations découlant pour elle tant des décisions de justice que des arrêtés préfectoraux des 20 janvier 2010 et 10 mai 2011. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les agissements de l'ASAI des Roches étaient constitutifs d'une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur le préjudice :
5. Même si elle bénéficie d'un agrément au titre de la protection de l'environnement délivré en application de l'article L. 142-1 du code de l'environnement, il appartient à l'association Nature Environnement 17, qui sollicitait devant les premiers juges la réparation de son préjudice causé par les conséquences dommageables des agissements fautifs de l'ASAI des Roches, de démontrer l'existence pour elle d'un préjudice certain en lien direct avec la faute commise.
6. Selon les articles 2 et 3 de ses statuts, l'association Nature Environnement 17 a pour objet, sur le territoire du département de la Charente-Maritime, de " 1) protéger, conserver et de restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels (...) et les équilibres fondamentaux écologiques, l'eau, l'air, les sols, les zones humides (...) 2) de lutter contre les pollutions et nuisances de toutes natures (...) 4) de s'opposer à la réalisation et au financement d'opérations susceptibles d'avoir un impact négatif sur la nature ou l'environnement (...) 9) de défendre les droits et intérêts des usagers de l'eau et des milieux aquatiques, en particulier des consommateurs, notamment du fait des atteintes aux milieux aquatiques ou aux aspects quantitatifs et qualitatifs de l'eau pouvant affecter directement ou indirectement la santé publique (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que conformément à son objet statutaire, l'association Nature Environnement 17 participe à des actions de protection des milieux aquatiques et de la ressource en eau. Elle est ainsi co-gestionnaire de la réserve naturelle régionale de la Massonne et propriétaire de parcelles de marais où elle agit pour protéger des espèces et habitats inféodés à l'eau. L'association Nature Environnement 17 participe également à l'élaboration de décisions relevant de la police de l'eau en sa qualité de membre du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, de membre de plusieurs commissions locales de l'eau en charge des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux. Elle participe également au comité quantitatif de l'eau de la Charente-Maritime qui rassemble autour de l'Etat les différents acteurs impliqués dans la gestion et le suivi de la ressource en eau. L'ensemble de ces activités est d'ailleurs retracé dans un rapport que l'association Nature Environnement 17 élabore chaque année.
8. Au regard des actions et des efforts qu'elle déploie pour la protection de la ressource en eau dans le département de la Charente-Maritime, l'association Nature Environnement 17 justifie d'un préjudice moral en lien direct avec l'exploitation illégale des réserves de substitution par l'ASAI des Roches.
9. Contrairement à ce que soutient l'ASAI des Roches, il n'y a pas lieu de tenir compte, pour déterminer le préjudice subi par l'association, de la circonstance que l'arrêté d'autorisation du 19 mars 2008 ait été annulé à raison d'un simple vice de procédure. Le fait générateur du préjudice invoqué par l'association réside en effet non pas dans l'irrégularité de l'arrêté d'autorisation mais dans les agissements de l'ASAI des Roches tels qu'ils ont été décrits au point 4 du présent arrêt.
10. Toutefois, alors même que les prélèvements d'eau se sont poursuivis pendant plus de quatre années consécutives, l'ASAI des Roches est fondée à soutenir, au regard des circonstances de l'espèce et notamment de la nature du préjudice, que les premiers juges ont fait une évaluation excessive du préjudice moral de l'association en le fixant à 40 000 euros. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'ASAI des Roches à verser à l'association Nature Environnement 17 la somme de 4 000 euros pour chacune des quatre années pendant lesquelles les prélèvements d'eau ont été irrégulièrement effectués. Dès lors, il y a lieu de ramener à 16 000 euros le montant des dommages et intérêts dus par l'ASAI des Roches à l'association Nature Environnement 17.
11. L'association intimée a droit, comme elle le demande, aux intérêts de cette somme de 16 000 euros au taux légal à compter du 23 septembre 2015, date de réception par l'ASAI des Roches de sa demande préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois par l'association Nature Environnement 17 dans un mémoire enregistré au greffe de la cour d'administrative d'appel le 25 juillet 2018. Les intérêts échus seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les conclusions en exécution présentées par l'association Nature Environnement 17 :
12. Aux termes du II de l'article L. 911-9 du code de justice administrative : " Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office (...) ". Les dispositions précitées permettent à l'association Nature Environnement 17 d'obtenir le mandatement d'office de la somme que l'ASAI des Roches a été condamnée à lui verser par le tribunal administratif. Dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées devant la cour par l'association tendant à ce qu'il soit enjoint à l'ASAI des Roches de lui verser la somme de 40 000 euros de dommages et intérêts mise à sa charge par le tribunal.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions des parties présentées au titre des dispositions précitées.
DECIDE :
Article 1er : La somme que l'association syndicale autorisée d'irrigation des Roches a été condamnée à verser à l'association Nature Environnement 17 par le jugement du tribunal administratif de Poitiers n°1503235 du 13 juillet 2017 est ramenée à 16 000 euros. Cette dernière somme portera intérêt au taux légal à compter du 23 septembre 2015. Les intérêts échus au 25 juillet 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes des intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1503235 du 13 juillet 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'association syndicale autorisée d'irrigation des Roches et par l'association Nature Environnement 17 est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association syndicale autorisée d'irrigation des Roches et à l'association Nature Environnement 17.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. C... B..., président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2019.
Le rapporteur,
Frédéric B...Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX03093