Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 janvier 2020, M. B..., représenté par Me Meaude, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 juillet 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 12 février 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;
- il méconnaît les dispositions du 1° de l'article L.511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'acte de naissance et le certificat de nationalité en sa possession ont été écartés du seul fait qu'il s'agissait de copies, que le préfet n'a pas saisi les autorités ivoiriennes pour vérification des documents d'état civil de sorte que l'autorité préfectorale ne peut être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de ce que la mention de sa date de naissance ne serait pas conforme à la réalité, qu'il a pu obtenir un original de cet acte qui a été légalisé à deux reprises et que le 14 octobre 2019, il a obtenu l'ouverture d'une tutelle d'Etat par le juge des tutelles de Toulouse au regard de son état de minorité ; en outre il a obtenu un passeport délivré par les autorités ivoiriennes confirmant son identité ; ainsi, sa minorité est établie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2020, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2019/020325 du 5 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement UE n°603/2013 du parlement européen et du conseil en date du 23 juin 2013 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Elisabeth Jayat a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant de nationalité ivoirienne, a déclaré être entré en France le 24 novembre 2018, après avoir transité par l'Italie, et il s'est présenté au dispositif départemental d'accueil, d'évaluation et d'orientation pour les mineurs isolés de Toulouse le 26 novembre 2018. Afin d'obtenir une prise en charge en tant que mineur isolé, il a présenté des copies de documents d'état civil mentionnant qu'il serait né le 1er mars 2003 et donc âgé de 15 ans et 8 mois. Estimant que l'intéressé était majeur, le préfet de Lot-et-Garonne a décidé, par arrêté du 12 février 2019, de l'obliger à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de retour. M. B... relève appel du jugement du 12 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ". Selon l'article L. 111-6 dudit code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. M. B... a présenté devant le tribunal administratif la copie d'un extrait d'acte de naissance délivré le 7 février 2019 à Bédiala en Côte d'Ivoire, signé par un officier d'état-civil, auquel est annexée une feuille comportant une légalisation de la signature de l'acte, à la fois par le directeur général du ministère de l'intérieur de Côte d'Ivoire le 11 mars 2019 et par le secrétaire général du ministère des affaires étrangères de Côte d'Ivoire le 19 mars 2019 ainsi qu'un certificat de nationalité ivoirienne établi le 6 novembre 2018 par le tribunal de première instance de Yopougon, en Côte d'Ivoire. Ces documents font état d'une naissance de B... Yaya F... à Gonate (Bédalia), le 1er mars 2003. Devant la cour, il produit en outre un passeport délivré par les autorités ivoiriennes, obtenu le 13 septembre 2019, mentionnant les mêmes date et lieu de naissance, ainsi qu'une ordonnance du 14 octobre 2019 du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Toulouse portant ouverture d'une tutelle d'Etat au regard de son état de minorité et faisant état d'un " rapport simplifié d'analyse documentaire " dont l'existence n'est pas contestée, établi le 12 avril 2019 par la police aux frontières de Toulouse, en faveur de l'authenticité de l'acte d'état civil produit par l'intéressé.
6. Si le préfet fait état de lacunes, d'anomalies et de divergences qui entacheraient les documents produits, et notamment l'acte de naissance et le certificat de nationalité ivoirienne, pour ce qui concerne la date de naissance des parents de l'intéressé, le prénom de son père et la reproduction des armoiries officielles de la République de Côte d'Ivoire, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, en l'absence notamment d'une expertise ou d'un avis des services de lutte contre la fraude documentaire ou des services de l'Etat d'origine, que ces lacunes, anomalies ou divergences traduiraient une falsification. Il ressort au contraire des énonciations non contestées du juge aux affaires familiales dans son ordonnance d'ouverture d'une tutelle d'Etat, rendue le 14 octobre 2019 et produite en appel, que les services de la police aux frontières de Toulouse ont déclaré l'acte de naissance authentique le 12 avril 2019. Le préfet fait également état d'un procès-verbal d'audition établi le 12 février 2019 par les services de la direction départementale de la sécurité publique de Lot-et-Garonne selon lequel l'intéressé a déclaré être né le 7 avril 1999, mais il ressort de ce document qu'au cours du même entretien, l'intéressé a aussi affirmé qu'il était né le 1er mars 2003 et que ce sont les autorités italiennes qui lui avaient attribué cette date de naissance du 7 avril 1999. Le préfet se prévaut encore de ce que l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France aurait révélé qu'une personne répondant à la même identité que l'intéressé, née le 1er mars 2003, avait été enregistrée à la fin de l'année 2018 par la préfecture de la Haute-Garonne en qualité de mineur non accompagné et que convoquée par le référent fraude départemental de la préfecture de la Haute-Garonne, elle ne s'est jamais présentée à son audition pour suspicion de fraude à la minorité. Toutefois, ces données ne permettent pas à elles seules de remettre en cause la force probante des documents d'état-civil produits. Les rapports d'évaluation de l'aide sociale à l'enfance produits au dossier ne reposent sur aucune donnée objective et ne permettent pas davantage de remettre en cause cette force probante. Dans ces conditions, et alors même que le récit de vie de l'intéressé présenterait des incohérences et serait peu crédible sur certains points, aucun élément ne permet de remettre en cause la minorité de l'intéressé. Par suite, l'arrêté du 12 février 2019 du préfet de Lot-et-Garonne doit être regardé comme ayant été pris en méconnaissance des dispositions du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 12 février 2019.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à Me Meaude, avocat de M. B..., en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce versement emportant renonciation de Me Meaude à percevoir la part contributive de l'État.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901593 du 12 juillet 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du 12 février 2019 du préfet de Lot-et-Garonne sont annulés.
Article 2: L'État versera à Me Meaude, avocat de M. B..., une somme de 1 200 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... B..., à Me Meaude et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020
Le président-assesseur,
Frédéric Faïck
Le président-rapporteur,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00009