Par une requête enregistrée le 27 décembre 2018, M. et Mme B... et Isabelle H..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n°1700640 du tribunal administratif de la Martinique ;
2°) d'annuler le permis de démolir délivré le 29 août 2017 ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la commune du Lamentin et de la communauté d'agglomération du centre de la Martinique la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, en ce qui concerne la recevabilité de leur demande, que :
- en leur qualité de propriétaires des biens concernés par le permis de démolir en litige, ils justifient d'un intérêt à agir ;
- ils ont justifié avoir accompli les formalités de notification prévues à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;
Ils soutiennent, au fond, que :
- le permis de démolir porte atteinte à leur propriété privée car il autorise une démolition sur des biens dont ils sont propriétaires ;
- le permis de démolir en litige est illégal à raison des illégalités qui entachent la convention du 29 mars 2017 conclue entre l'Etat et la communauté d'agglomération du centre de la Martinique (CACEM) transférant à celle-ci la gestion, l'aménagement et l'exploitation des installations du Port Cohé ; ainsi, les délibérations du conseil communautaire adoptées le 19 décembre 2018 pour permettre la signature de cette convention ont été prises à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que les membres de ce conseil n'ont pas reçu la convocation dans le délai prescrit à l'article L. 1212-12 du code général des collectivités territoriales ; ces délibérations ont été prises sans l'avis préalable du parc naturel régional de la Martinique ; la délibération relative à l'extension du périmètre du conseil portuaire de la CACEM a été adoptée sans l'avis préalable du conseil portuaire ; la décision par laquelle le président de la CACEM a signé la convention de transfert est illégale au regard de la délibération du conseil communautaire l'habilitant à prendre une telle décision ;
- le permis de démolir en litige est illégal à raison des illégalités qui entachent l'arrêté préfectoral du 29 mars 2017 autorisant le transfert de la gestion du port Cohé à la CACEM ; cet arrêté méconnait l'article L. 2123-3 du code général de la propriété des personnes publiques qui subordonne le transfert à l'existence d'un changement d'affectation des dépendances concernées ; il méconnait la compétence dévolue à l'établissement public Transport Martinique en matière d'organisation des transports maritimes de passagers ; il a été pris en l'absence d'étude d'impact ; il méconnait l'article L. 122-1 du code de l'environnement dès lors que le projet dans son ensemble relevait non de l'étude d'impact au cas par cas mais de l'étude d'impact systématique ; il méconnait les dispositions de l'article III C 2 du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ; il est entaché de détournement de pouvoir ;
- le permis de démolir a été délivré alors que le pétitionnaire n'était pas habilité à déposer une demande de permis de démolir portant sur des constructions leur appartenant et dont ils ont hérité de leur père ; leur père a acheté les dépendances concernées à la demande de l'Etat qui avait subordonné la délivrance en 1971 d'une autorisation temporaire d'occupation du domaine à un tel achat ; ainsi, si l'Etat demeure propriétaire du tréfonds, ils sont propriétaires des biens édifiés sur celui-ci ; la commune avait connaissance de cette situation et ne pouvait en conséquence délivrer le permis de démolir en litige ;
- le pétitionnaire n'a aucune qualité pour solliciter un permis de démolir sur des dépendances qui appartiennent à l'Etat ;
- le permis de démolir en litige méconnait les principes généraux du droit que sont la liberté de commerce et de l'industrie et la liberté de concurrence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2020, la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande, que :
- les requérants n'ont pas motivé leur requête d'appel qui n'est que la reprise pure et simple de leur argumentation devant le tribunal ;
- les requérants n'ont pas notifié leur demande à l'auteur et au bénéficiaire de la décision attaquée conformément aux dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;
- les requérants ont présenté devant la cour des moyens nouveaux reposant sur une cause juridique nouvelle et par suite irrecevables ;
Ils soutiennent, au fond, que les moyens soulevés doivent être écartés comme infondés.
Par deux mémoires enregistrés le 30 octobre 2020 et le 26 novembre 2020, la commune du Lamentin, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête d'appel est irrecevable dès lors que les notifications prévues à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme n'ont pas été accomplies. Au fond, elle soutient que tous les moyens sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... A...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 29 août 2017, le maire du Lamentin a délivré, au nom de la commune, à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique (CACEM) un permis de démolir des bâtiments situés sur la parcelle cadastrée section AZ n°10 au Port Cohé. M. B... H... et Mme F... H... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler ce permis de démolir. Ils relèvent appel du jugement rendu le 23 octobre 2018 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.
Sur la légalité du permis de démolir :
En ce qui concerne l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme :
2. Aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis (...) de démolir (...) sont adressées (...) à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) (...) par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 431-5 du même code : " la demande comporte l'attestation du ou des demandeurs qu'ils remplissent les conditions définies à l'article R. 423-1 pour déposer une demande de permis ".
3. Il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de démolir doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 cité ci-dessus. Les autorisations d'utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur. Ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande.
4. Toutefois, que lorsque l'autorité saisie d'une telle demande de permis de démolir vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif. Il en est notamment ainsi lorsque l'autorité saisie de la demande de permis est informée de ce que le juge judiciaire a remis en cause le droit de propriété sur le fondement duquel le pétitionnaire avait présenté sa demande.
5. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 7 mai 1971, le préfet de la Martinique a autorisé le père des requérants à occuper, jusqu'à leur incorporation dans le domaine public aéroportuaire, les parcelles cadastrées section AN n°31, 32, 33, 34, 35 et 36 situées au Port Cohé dans la zone des cinquante pas géométriques. L'article 1er de l'arrêté préfectoral a précisé que l'autorisation, destinée à permettre l'exploitation d'un embarcadère et d'une station de gardiennage de bateaux de plaisance, est délivrée sous la réserve que son bénéficiaire acquière les diverses installations situées sur les parcelles concernées, lesquelles y avaient été édifiées sans titre. Ces constructions et installations ont été acquises par le père des requérants selon un acte notarié du 10 juin 1971 avant que leurs parcelles d'assiette ne soient incorporées au domaine public par une décision du 18 octobre 1973. A la suite d'un jugement du tribunal de commerce de Fort-de-France du 13 novembre 1984, ces constructions et installations ont été transférées à l'actif de la société " Nouvelle Marina Port Cohé " alors créée par les requérants.
6. Dans son arrêt du 28 avril 2006, confirmé par la Cour de cassation le 10 décembre 2008, la cour d'appel de Fort-de-France a débouté les consorts H... de leur demande tendant à ce que leur soit reconnu un droit de propriété sur les parcelles incluses dans la zone des cinquante pas géométriques. Par un autre arrêt du 13 juillet 2006, la cour d'appel a rejeté la demande des consorts H... de validation des titres censés établir leur qualité de propriétaires des parcelles en cause. Par ailleurs et ainsi qu'il a été dit, les terrains que le père des requérants a été autorisé à occuper selon l'arrêté préfectoral du 7 mai 1971 ont été incorporés dans le domaine public le 18 octobre 1973 tandis que la nouvelle autorisation d'occupation accordée le 13 avril 1978 n'a pas été renouvelée au terme de son expiration le 13 avril 1993.
7. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une convention signée le 29 mars 2017, l'Etat a transféré à la CACEM, dont la commune du Lamentin est membre, la compétence pour la gestion des dépendances du domaine public maritime de l'Etat incluses dans le périmètre portuaire de la marina de Port Cohé. Ce transfert de gestion, qui porte notamment sur les parcelles en litige situées dans la zone des cinquante pas géométriques, doit permettre à la CACEM de procéder à l'aménagement et à la gestion d'installations portuaires dédiées à la plaisance, au transport de personnes et à d'autres activités connexes.
8. Il résulte des décisions judiciaires et administratives citées ci-dessus que les consorts H... ne sont et ne peuvent être titulaires d'aucun droit de propriété sur les dépendances du domaine public situées dans la zone des cinquante pas géométriques qu'ils occupent irrégulièrement depuis 1993 et sur lesquelles la CACEM exerce un pouvoir de gestion et d'aménagement dans le cadre de la convention qu'elle a signée avec l'Etat le 29 mars 2017. Alors même que les décisions de la cour d'appel de Fort-de-France des 28 avril et 13 juillet 2006 n'ont pas remis en cause le droit de propriété que les consorts H... exercent, à raison de l'acte notarié du 10 juin 1971, sur les constructions et installations présentes dans la zone des cinquante pas géométriques, le maire de Lamentin ne peut être regardé comme ayant eu à sa disposition, au moment où il statuait sur la demande de permis de démolir, d'informations faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que la CACEM ne disposait, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 précité du code de l'urbanisme d'aucun droit à une telle demande. Par suite, en délivrant l'autorisation en litige, le maire n'a pas méconnu l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne l'article 2.1 de la convention du 29 mars 2017 :
9. Les stipulations de l'article 2.1 de la convention selon lesquelles " Les avant projets de travaux de construction, d'extension et de modernisation des infrastructures sont soumis à l'avis de l'Etat " ne peuvent, eu égard à leur nature contractuelle, être utilement invoquées à l'appui du recours pour excès de pouvoir exercé contre le permis de démolir en litige. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le permis de démolir du 29 août 2017 est irrégulier faute d'avoir été précédé de l'avis du préfet de la Martinique.
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la convention du 29 mars 2017 et de l'arrêté préfectoral du même jour approuvant cette convention :
10. Ainsi qu'il a été dit, la convention du 29 mars 2017 a pour objet de transférer de l'Etat à la CACEM la compétence pour la gestion et l'aménagement des dépendances du domaine public de la Marina de Port Cohé, tandis que l'arrêté préfectoral du même jour approuve ce transfert. Eu égard à son objet, le permis de démolir en litige, instruit et délivré selon les dispositions du code de l'urbanisme, n'est pas une mesure d'application de cette convention et de cet arrêté comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges. Par suite, les requérants ne peuvent utilement exciper de l'illégalité de ces actes à l'appui de leur demande d'annulation du permis de démolir du 29 août 2017.
En ce qui concerne l'atteinte alléguée à la propriété privée, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la libre concurrence :
11. Instruit et délivré selon les règles du code de l'urbanisme, le permis de démolir en litige a été obtenu par la CACEM sous réserve du droit des tiers et notamment de ceux que les requérants tiennent de leur qualité de propriétaires et d'exploitants des biens immobiliers édifiés dans la zone des cinquante pas géométriques. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le permis de démolir en litige est illégal pour avoir porté une atteinte à leur propriété privée ainsi qu'aux principes de liberté du commerce et de l'industrie et de libre concurrence.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non- recevoir, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les requérants, partie perdante à l'instance, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge des requérants la somme que réclame la CACEM au titre de ses frais non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête n°18BX04565 est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la CACEM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... et Isabelle H..., à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique et à la commune du Lamentin. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. E... A..., président,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2020.
Le président,
Frédéric A...
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
7
N° 18BX04565