Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 décembre 2016 et un mémoire, enregistré le 16 janvier 2018 mais non communiqué, la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 octobre 2016 ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car insuffisamment motivé en particulier sur l'atteinte au site ;
- le motif tiré de l'article R. 111-21 aujourd'hui article R. 111-27 du code de l'urbanisme, sur lequel le juge exerce un contrôle normal, est illégal ;
- le site d'implantation du projet ne présente en l'espèce pas d'intérêt justifiant une protection particulière ; on y relève la présence de silos agricoles, de châteaux d'eau, d'une urbanisation diffuse, de la ligne à grande vitesse située à proximité, de pylônes électriques, de routes départementales, d'une importante installation industrielle de la société Martell et de deux parcs éoliens à environ neuf kilomètres ;
- de nombreux filtres visuels permettent de limiter les vues ; il n'existera pas d'effet de domination sur la vallée de la Charente ; les éléments patrimoniaux sont tous éloignés du site d'implantation ; la zone se trouve hors du périmètre de protection de monuments historiques ; s'agissant de la visibilité à partir des deux monuments les plus proches, le théâtre antique des Bouchauds, distant de plus de 4 km et le prieuré de Lanville distant de 4 à 7 km selon les éoliennes, elle est réduite voire impossible comme l'a admis le tribunal ;
- le site d'implantation est répertorié par le schéma régional éolien, lequel a été élaboré notamment au regard des règles de protection des espaces naturels et du patrimoine culturel, comme une zone favorable à l'éolien ;
- l'avis de la direction régionale des affaires culturelles, qui est par principe opposée à tout projet éolien, ne repose sur aucune analyse concrète ;
- en se référant à l'importance du paysage et à l'histoire du département de la Charente, le préfet a commis une erreur de droit ; l'étude paysagère du projet montre la bonne intégration paysagère des éoliennes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement est suffisamment motivé ;
- le caractère et l'intérêt des lieux avoisinants au sens de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme ne réside pas seulement dans l'attrait esthétique d'un paysage naturel ou urbain mais aussi dans la valeur historique et culturelle du site qui figure au nombre des éléments d'appréciation à prendre en compte pour l'application de ces dispositions ;
- pour le surplus, il s'en remet aux écritures produites par le préfet de la Charente devant le tribunal administratif.
Par ordonnance du 20 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 19 janvier 2017 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Elisabeth Jayat,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux.
Une note en délibéré présentée pour la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux a été enregistrée le 21 novembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Par six arrêtés du 15 janvier 2014, le préfet de la Charente a refusé de délivrer à la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux les permis que celle-ci avait sollicités le 20 décembre 2012 pour l'implantation de cinq éoliennes de 175 mètres de hauteur à Gourville et une éolienne de 149 mètres de hauteur à Saint-Cybardeaux. La société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux fait appel du jugement du 19 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés préfectoraux du 15 janvier 2014.
2. Aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, applicable à la date des décisions contestées : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".
3. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-21cité ci-dessus.
4. Pour refuser les permis de construire sollicités par la société Ferme éolienne de Gourvielle-Saint-Cybardeaux, le préfet de la Charente a considéré que le projet était de nature à porter atteinte au paysage de la vallée de la Charente, présentant un intérêt paysager et culturel majeur pour le département de la Charente, que le projet porterait atteinte au panorama visible depuis le théâtre des Bouchauds situé à Saint-Cybardeaux, classé monument historique depuis 1881, rénové et ouvert au public, que cette atteinte viendrait se cumuler avec l'impact visuel d'un parc éolien existant sur le territoire des communes de Xambès et Vervant et que le projet présentait une co-visibilité forte avec le prieuré de Lanville, classé monument historique depuis 1942 et porterait atteinte au paysage constituant ses abords.
5. Il résulte des dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme que le caractère emblématique d'un paysage dans un secteur géographique donné ainsi que son attrait culturel et historique sont au nombre des éléments que doit prendre en compte l'autorité compétente pour apprécier le caractère et l'intérêt des lieux avoisinants au sens de ces dispositions. Par suite, en prenant en considération la cohérence et l'importance de la vallée de la Charente dans l'histoire du département, le préfet n'a pas entaché ses décisions d'une erreur de droit.
6. Le projet de la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux, filiale de la société Volkswind, est composé notamment de six éoliennes d'une hauteur totale de 175 mètres, à l'exception d'une éolienne, la machine E1, d'une hauteur réduite à 149 mètres pour tenir compte des contraintes de cote maximale liées à la proximité de la base aérienne de Cognac-Chateaubernard. Il résulte de l'instruction que le site d'implantation de ce projet est compris dans une zone délimitée par le schéma régional éolien comme favorable à l'éolien mais affectée de contraintes paysagères, le parc projeté étant en partie situé en zone sensible du fait de la valeur patrimoniale du paysage, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, à l'interface de deux entités paysagères, la plaine haute d'Angoumois, dominant la vallée de la Charente, et le val d'Angoumois et ses affluents, à une distance de 3 km de la vallée de la Charente et de 4 km de la vallée de la Nouère. Ainsi que l'ont également relevé les premiers juges, l'étude qu'a fait réaliser la direction régionale des affaires culturelles identifie la vallée de la Charente comme un paysage naturel et culturel emblématique et bien préservé, présentant une importance et une cohérence dans l'histoire du département. Il ressort également des pièces du dossier que ce paysage, emblématique de la Charente, est notamment marqué par la présence, au sud-est du projet, à environ 4 km, d'une colline abritant le site des Bouchauds, site archéologique gallo-romain classé monument historique en 1881 ouvert au public, ainsi que par la présence au nord-est, à environ 6 km, de l'ancien prieuré de Lanville, classé monument historique depuis 1942. La présence de routes dans ce secteur, qui permettent de découvrir des points de vue, n'est pas de nature à priver le paysage d'intérêt, non plus que la présence à environ 2 km, du tracé de la ligne ferroviaire à grande vitesse ou d'une urbanisation diffuse, de silos agricoles, châteaux d'eau et pylônes électriques dont la situation n'est pas précisée, ou encore des installations de la société Martell dont les caractéristiques, notamment de hauteur, ne sont pas susceptibles de créer une rupture importante dans la perception du paysage. Il ressort encore des pièces du dossier que le projet de parc éolien présente une co-visibilité non négligeable avec l'ancien prieuré de Lanville, notamment depuis le chemin situé au nord du monument, et que, par leur hauteur, les éoliennes, en attirant le regard et en le détournant notamment de l'ancien prieuré et de la colline des Bouchauds, va perturber la perception du paysage dans sa dimension tant naturelle qu'historique et ainsi porter atteinte à ses caractéristiques essentielles. Dans ces conditions, et alors même que la perception du projet de parc éolien depuis le site archéologique des Bouchauds se limite, du fait des écrans végétaux, à une seule éolienne et que, depuis ce site, le parc éolien de Xambès et Vervant, situé à environ 9 km du site de Gourville-Saint-Cybardeaux, de l'autre côté de la Charente, est peu perceptible, le préfet, en estimant que le projet ne pouvait être autorisé du fait de l'atteinte qui serait portée au paysage et aux monuments du secteur concerné, n'a pas méconnu les dispositions précitées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux du 15 janvier 2014. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions en injonction et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne de Gourville-Saint-Cybardeaux, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Une copie en sera adressée au préfet de la Charente.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 4 décembre 2018.
Le premier assesseur,
Frédéric Faïck
Le président-rapporteur,
Elisabeth Jayat
Le greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX04025