Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, présentés le 22 mai 2017 et le 15 mai 2018, la SARL Les Chalets de la Plage, la SCI Mephisto, M. A...D...et Mme E... B...épouseD..., représentés par MeC..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1500486 du tribunal administratif de Poitiers du 23 mars 2017 ;
2°) de condamner la commune d'Aytré à verser à la SARL Les Chalets de la Plage la somme de 155 753 euros au titre de la perte de revenus d'activité professionnelle, la somme de 1 643 000 euros au titre de la perte des bénéfices issus de l'exploitation du camping et la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
3°) de condamner la commune d'Aytré à verser à la SCI Mephisto la somme de 695 200 euros au titre de la sous-évaluation de ses biens immobiliers, la somme de 283 800 euros au titre des frais complémentaires et la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
4°) de condamner la commune d'Aytré à verser à M. et Mme D...la somme de 20 000 euros au titre de leur préjudice moral, la somme de 30 000 euros au titre de leur préjudice de santé et la somme de 18 000 euros au titre de leurs pertes de revenus ;
5°) de mettre à la charge de la commune la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, en ce qui concerne la responsabilité de la commune, que :
- celle-ci a commis une faute en classant en zone UE constructible, lors de la révision de son plan d'occupation des sols approuvée le 1er octobre 1990, le terrain d'assiette du camping alors que ledit terrain était précédemment classé en zone ND à risque ;
- la commune a également commis une faute en maintenant le classement UE du terrain d'assiette à l'occasion des diverses révisions et modifications apportées à son document d'urbanisme postérieurement à 1990 ;
- la commune a également commis une faute en délivrant sur le terrain d'assiette un permis de construire en 1999 pour l'extension d'une habitation puis en délivrant, en 2001, un certificat de conformité pour ladite construction ; elle aurait dû ne pas délivrer ces autorisations en faisant application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ; elle aurait dû ne pas faire application de son plan d'occupation des sols qui était illégal ;
- l'illégalité commise par la commune a duré de 1990 au 29 janvier 2013 date d'approbation du nouveau plan local d'urbanisme qui classe en zone à risque le terrain d'assiette du camping ;
- la commune a également commis une faute en n'installant pas sur le terrain d'assiette du camping des repères de crues comme le prévoit l'article L. 563-3 du code de l'environnement ;
Ils soutiennent, en ce qui concerne les causes exonératoires de responsabilité, que :
- la tempête Xynthia n'a pas revêtu un caractère imprévisible et exceptionnel car le littoral charentais est connu pour être sujet à des épisodes venteux et d'inondation d'une grande intensité ; la commune ne saurait donc invoquer la force majeure pour demander à être exonérée de toute responsabilité ;
- les requérants n'ont commis aucune faute car ils ont acheté un terrain classé constructible par le plan local d'urbanisme et ayant fait l'objet d'autorisations d'urbanisme délivrées par la commune ;
Ils soutiennent, en ce qui concerne les préjudices subis, que :
- la SARL Les Chalets de la Plage a subi une perte de revenus d'activité professionnelle, une perte des bénéfices issus de l'exploitation du camping et un préjudice moral ;
- la SCI Mephisto a vu ses biens immobiliers faire l'objet d'une sous-évaluation lors de leur vente à l'Etat en 2011, a dû assumer des frais complémentaires et est victime d'un préjudice moral ;
- M. et Mme D...ont subi un préjudice moral, un préjudice de santé et une perte de revenus.
Par des mémoires en défense, présentés le 16 février 2018 et 16 octobre 2018, la commune d'Aytré, représentée par la SCP Pielberg, Kolenc, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'y a pas de faute à délivrer une autorisation d'urbanisme si le risque auquel est exposé le terrain concerné présente un caractère imprévisible et exceptionnel ; tel est le cas de la tempête Xynthia dont l'intensité était inconnue jusqu'à sa survenance ainsi que l'ont établi différentes études des services de l'Etat ;
- les seuls éléments d'information dont la commune avait connaissance était le " porté à connaissance " mis à sa disposition par le préfet le 23 octobre 2001 sur la tempête survenue le 27 décembre 1999, laquelle était d'intensité moindre que la tempête Xynthia ;
- les autorisations d'urbanisme délivrées en septembre 1999 et en juin 2001 étaient antérieures à ce " porté à connaissance " ; en tout état de cause, la délivrance du certificat de conformité, eu égard à son objet, n'était pas fautive ;
- l'obligation pour la commune d'installer sur le terrain d'assiette du camping des repères de crue est entrée en vigueur en 2005 seulement et ne s'imposait donc pas au moment où la SCI Mephisto est devenue, le 18 juin 2001, propriétaire de ce terrain ;
- si une faute devait être retenue à l'encontre de la commune, celle-ci serait exonérée de sa responsabilité en raison de la faute commise par la SCI Mephisto qui a acquis en connaissance de cause un terrain soumis à un risque d'inondation ;
- les préjudices dont la réparation est demandée sont sans lien avec les illégalités alléguées à l'encontre de la commune ; le montant du préjudice n'est en tout état de cause pas justifié.
Par ordonnance du 2 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 16 octobre 2018 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant la SARL Les Chalets de la Plage, la SCI Mephisto et M. et MmeD....
Une note en délibéré présentée pour la SARL Les Chalets de la Plage, la SCI Mephisto et M. et Mme D...a été enregistrée le 17 mai 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 juin 2001, la société civile immobilière (SCI) Mephisto a fait l'acquisition d'un ensemble immobilier composé des parcelles cadastrées section AX 37, AY 70 et 71 sur lequel se trouvait le camping " Les Chalets de la Plage " situé 53, route de la Plage à Aytré. Ce camping a été exploité par la société à responsabilité limitée (SARL) Les Chalets de la Plage dans le cadre d'un bail commercial du 1er juillet 2001 jusqu'à la survenue, le 28 février 2010, de la tempête Xynthia. Les dégâts occasionnés par cet épisode climatique ont contraint la SARL Les Chalets de la Plage à cesser définitivement d'exploiter le camping dont le terrain d'assiette a été classé en zone de solidarité par l'Etat qui en est ensuite devenu le propriétaire le 16 novembre 2011. Par courrier du 20 novembre 2014, la SCI Mephisto, la SARL Les Chalets de la Plage et M. et MmeD..., gérants de ces sociétés, ont demandé à la commune d'Aytré de les indemniser des préjudices qu'ils estimaient avoir subis en raison de la fermeture du camping. Après le rejet de leur demande, ils ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune d'Aytré à verser à SCI Mephisto la somme de 1 004 000 euros, à la SARL Les Chalets de la Plage la somme de 2 254 866 euros et aux époux D...la somme de 68 000 euros à titre de dommages et intérêts. La SCI Mephisto, la SARL Les Chalets de la Plage et les époux D...relèvent appel du jugement rendu le 23 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.
2. En premier lieu, si les requérants soutiennent que la commune d'Aytré a commis une faute lors de la modification de son plan d'occupation des sols intervenue le 1er octobre 1990, en classant en zone constructible UE le terrain d'assiette du camping alors qu'elle connaissait le risque d'inondation auquel celui-ci était exposé, il ressort des plans de zone produits au dossier que les parcelles du camping sont demeurées, à l'occasion des différentes révisions et modifications du document d'urbanisme communal intervenues depuis 1990, en zone NDa, laquelle est définie comme recouvrant un espace naturel nécessitant une protection pour des risques tels que les inondations. Par suite, la responsabilité de la commune n'est pas engagée en raison de l'illégalité du classement en zone UE du terrain d'assiette du camping.
3. En deuxième lieu, les autorisations d'aménagement et d'agrandissement du camping que le maire a délivrées n'était pas illégales au regard du règlement du plan d'occupation des sols applicable à zone NDa, lequel y autorisait " les équipements sportifs et de loisirs d'intérêt général " tels que les campings. La seule circonstance que le risque d'inondation auquel le terrain d'assiette du camping était soumis était déjà connu de la commune, dont le plan d'occupation des sols définissait la zone ND comme " un espace naturel qui nécessite une protection vis-à-vis (...) des risques possibles (inondations...) ", ne suffit pas à établir que le maire a commis une erreur manifeste d'appréciation en délivrant ces autorisations au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. Pour le même motif, le maire n'a pas commis d'illégalité manifeste en accordant, le 29 septembre 1999, un permis de construire pour l'extension d'une habitation dans l'enceinte dudit camping. L'erreur manifeste est d'autant moins avérée que ces différentes autorisations ont été délivrées antérieurement à la tempête du 27 décembre 1999 dont les conséquences exactes en terme de hauteurs d'eau ont été portées à la connaissance de la commune par le préfet le 23 octobre 2001 dans un document intitulé " Eléments de mémoire sur la tempête du 27 décembre 1999 " et alors que la tempête Xynthia survenue en 2010 a eu des conséquences plus dévastatrices encore que celle de 1999. Par suite, en délivrant les autorisations d'urbanisme ayant permis l'exploitation du camping, le maire n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de la commune vis-à-vis des requérants.
4. En troisième lieu, à supposer que les requérants aient entendu invoquer la responsabilité de la commune sur le terrain de la carence fautive du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police, il résulte de l'instruction que la tempête Xynthia a résulté de la concomitance d'une grande marée et d'une forte dépression ayant engendré des vents violents et une surcote exceptionnelle par rapport au niveau des eaux prévisible, y compris après la tempête Martin survenue le 27 décembre 1999. Il s'est donc produit un évènement météorologique d'une ampleur exceptionnelle qui a bouleversé l'état des connaissances et nécessité d'ailleurs une nouvelle définition des zones d'aléas. Ainsi, la commune d'Aytré ne disposait pas d'informations qui lui auraient permis d'anticiper les conséquences d'une tempête telle que Xynthia en déterminant les mesures, à les supposer réalisables, qui auraient permis de protéger les installations du camping des requérants. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la commune d'Aytré a commis une faute en n'ayant pas pris " les dispositions qui s'imposaient pour s'opposer à l'implantation d'un camping " et les " mesures nécessaires pour sécuriser le site. ".
5. En quatrième et dernier lieu, si les requérants soutiennent qu'en méconnaissance des dispositions de l'article L. 563-3 du code de l'environnement, le maire n'a pas procédé à l'inventaire des repères de crues et que cette carence constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, ils n'établissent pas quelle incidence ce manquement aurait eu en l'espèce sur les dommages subis par le camping ni en quoi l'installation de ces repères aurait permis d'éviter ces dommages.
6. Il résulte de ce qui précède que la commune n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité vis-à-vis des requérants.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge des requérants la somme de 1 500 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés par la commune d'Aytré.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société civile immobilière " Mephisto ", de la société à responsabilité limitée " Les Chalets de la Plage ", de M. A...D...et Mme E...B...épouse D...est rejetée.
Article 2 : La société civile immobilière " Mephisto ", la société à responsabilité limitée " Les Chalets de la Plage ", M. A...D...et Mme E...B...épouseD..., pris ensemble, verseront à la commune d'Aytré la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée " Les Chalets de la Plage ", à la société civile immobilière " Mephisto ", à M. A...D...et à Mme E...B...épouse D...et à la commune d'Aytré.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juin 2019.
Le rapporteur,
Frédéric FaïckLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX01632