Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 mai 2020, Mme C..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse du 24 mai 2020 ;
2°) d'annuler l'ensemble des décisions contenues dans l'arrêté précité de la préfète de l'Ariège du 17 octobre 2019 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Ariège de réexaminer sa situation et de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut une autorisation provisoire de séjour le temps du réexamen de sa situation, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
- son droit à être entendue, au sens de l'article 41 §2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, a été violé ; or, il n'est pas établi que l'engagement d'une procédure contradictoire serait demeurée sans influence sur le sens de la décision d'éloignement prise ; ont également été méconnus les articles L. 311-6 et R. 311-37 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, introduits par la réforme du droit d'asile, la préfète ne démontrant pas avoir respecté ces dispositions, en ne l'informant pas de ce qu'elle devait déposer une demande de titre en qualité d'accompagnant d'étranger malade ;
- son époux présente une pathologie médicale, ce qu'il avait fait valoir auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ; il a déposé un dossier de demande d'admission en qualité d'étranger malade le 10 janvier 2020 ; la préfète, qui n'a pas tenu compte de la situation médicale de son époux, a ainsi entaché sa mesure d'éloignement d'un défaut d'examen ;
- la mesure d'éloignement viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfants ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen tiré d'une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
- cette décision viole l'article 8 et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2020, la préfète de l'Ariège conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Par une décision du 9 avril 2020, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... épouse C..., ressortissante géorgienne, née le 5 avril 1978 à Zugdidi (URSS), a déclaré être entrée en France le 19 septembre 2018 accompagnée de son époux, de sa fille majeure et de ses deux autres filles, mineures. Le 3 octobre 2018, elle-même ainsi que son époux et leur fille majeure ont déposé une demande d'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), statuant selon la procédure accélérée sur le fondement du 1° du I de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté les trois demandes d'asile, par décisions du 21 juin 2019. Par des décisions du 14 novembre 2019, la Cour nationale du droit d'aile (CNDA) a également rejeté leurs recours. Par trois arrêtés en date du 17 octobre 2019, la préfète de l'Ariège les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme C..., qui avait également demandé au tribunal administratif la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre dans l'attente de la décision de la CNDA, conclusion sur laquelle le magistrat désigné a prononcé un non-lieu à statuer dès lors qu'une décision de rejet par la CNDA est intervenue en cours d'instance, doit être regardée comme faisant appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et fixant le pays de renvoi, contenues dans l'arrêté du 17 octobre 2019 la concernant.
Sur la régularité du jugement :
2. Si Mme C... fait valoir que le magistrat désigné du tribunal administratif s'est abstenu de statuer sur la violation de l'art 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, invoquée à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi, le moyen d'irrégularité manque en fait, dès lors que le jugement attaqué répond à ce moyen à ses points 15 et 16.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, si Mme C... invoque une violation de son droit à être entendue au sens de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ce moyen est inopérant, dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union.
4. Au demeurant, si le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne, toutefois, dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection internationale, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français assortie ou non d'un délai de départ volontaire.
5. Contrairement à ce que fait valoir Mme C..., il ressort des pièces du dossier que tant l'entretien que l'OFPRA a mené avec elle que la communication des informations de procédure à cette occasion ont été effectués dans sa langue maternelle, le géorgien, en présence d'un interprète, donc dans une langue qu'elle comprenait. Par suite, il lui appartenait, tant au cours de l'instruction de sa demande d'asile qu'après la décision du 21 juin 2019 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile selon la procédure accélérée prévue par l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... aurait sollicité en vain un entretien avec les services de la préfecture de la Haute-Garonne, où elle a déposé sa demande d'asile, ou ceux de l'Ariège où elle est venue résider, ni qu'elle aurait été empêchée de porter spontanément à la connaissance de l'autorité préfectorale des éléments de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile, notamment au regard de l'état de santé de son époux. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que son droit d'être entendue aurait été méconnu doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 511-4, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour ". Selon les termes de l'article R. 311-37 du même code : " Lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, l'administration remet à l'étranger, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, une information écrite relative aux conditions d'admission au séjour en France à un autre titre que l'asile et aux conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements que ceux qu'il aura invoqués dans le délai prévu à l'article D. 311-3-2 ". Enfin, l'article D. 311-3-2 dispose que : " Pour l'application de l'article L. 311-6, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné au 11° de l'article L. 313-11, ce délai est porté à trois mois. ".
7. La circonstance, à la supposer avérée, que l'administration n'aurait pas délivré à requérante l'information prévue par les dispositions précitées de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif aux conditions de délivrance des titres de séjour, pour l'inviter, le cas échéant, à présenter dans le délai fixé par le texte une demande d'admission au séjour à un autre titre que l'asile, est sans incidence sur la légalité de la mesure d'éloignement prise sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En troisième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision contestée, ni des pièces du dossier que la préfète de l'Ariège n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de Mme C....
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., son époux et leurs trois filles, sont entrés récemment en France, le 19 septembre 2018. Ils ne justifient d'aucune attache en France, ni y avoir développé des liens d'une intensité particulière, hors de leur cellule familiale. En outre, ils n'établissent ni même n'allèguent être dépourvus d'attaches familiales dans leur pays d'origine, où la cellule familiale pourra se reconstituer. Dans ces conditions, les décisions contestées ne portent pas au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts qu'elles poursuivent. Dès lors, la préfète de l'Ariège n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la décision contestée, qui n'a pas pour effet de séparer M. et Mme C... de leurs trois enfants, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. D'une part, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est obligé de quitter le territoire français ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
13. Mme. C... fait valoir le danger que comporterait pour elle et sa famille le retour dans leur pays d'origine en raison des risques qu'ils encourent du fait de leur engagement dans communauté des témoins de Jéhovah. Cependant, la requérante, dont la demande d'asile, tout comme d'ailleurs celles de son époux et de leur fille majeure, a au demeurant été rejetée par l'OFPRA puis par la CNDA, n'apporte, pas plus en appel qu'en première instance, d'éléments de nature à établir la réalité des faits allégués et les risques qu'elle encourrait, ou que son époux et leurs filles encourraient, à titre personnel, en cas de retour en Géorgie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
15. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme C.... Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions au titre des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme C... demande le versement à son conseil sur ces fondements.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de l'Ariège.
Délibéré après l'audience du 16 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme Karine Butéri, président-assesseur,
Mme E..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 14 décembre 2020.
Le rapporteur,
E...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 20BX01761