Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 juillet 2019, la société Air Caraïbes Atlantique, représentée par le cabinet Halken (Selarl), demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Martinique du 13 mai 2019 ;
2°) de rejeter la demande du syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO) ;
3°) de mettre à la charge du syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO) la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la demande du syndicat est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir ;
- aucun des moyens invoqués par le syndicat n'est de nature à justifier une annulation.
La requête a été communiquée au ministre chargé des transports qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Une mise en demeure a été adressée au ministre chargé des transports le 10 mai 2021.
Par une ordonnance du 23 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 25 octobre 2021.
Un mémoire, présenté par le syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO), a été enregistré le 8 décembre 2021, soit postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... A...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me Galistin, représentant la société Air Caraïbes Atlantique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Air Caraïbes Atlantique ainsi que la fédération nationale de l'aviation marchande ont sollicité auprès de la ministre chargée des transports, les 13 et 14 décembre 2017, une dérogation, en application de l'article D. 422-6 du code de l'aviation civile, afin d'obtenir l'autorisation, à compter du 1er janvier 2018, d'effectuer des périodes de vol d'une durée supérieure à dix heures. Par arrêté du 22 décembre 2017, la ministre chargée des transports a fait droit à cette demande et autorisé la société Air Caraïbes Atlantique à mettre en œuvre un régime de travail de son personnel navigant effectuant des périodes de vol d'une durée supérieure à dix heures. A la demande du syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO), le tribunal administratif de La Martinique a annulé cet arrêté, avec effet à compter du 1er novembre 2019. La société Air Caraïbes Atlantique relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'intérêt à agir du syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO) :
2. Aux termes de l'article L. 2131-1 du code du travail : " Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ". Aux termes de l'article L. 2132-3 du même code : " Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. / Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. ". Il résulte de ces dispositions que tout syndicat professionnel peut utilement, en vue de justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation d'une décision administrative, se prévaloir de l'intérêt collectif que la loi lui donne pour objet de défendre, dans l'ensemble du champ professionnel et géographique qu'il se donne pour objet statutaire de représenter, sans que cet intérêt collectif ne soit limité à celui de ses adhérents. Dans ce cadre, l'intérêt pour agir d'un syndicat ou d'une union de syndicats en vertu de cet intérêt collectif s'apprécie au regard de la portée de la décision contestée.
3. L'arrêté de la ministre des transports du 22 décembre 2017 a pour objet d'autoriser la société Air Caraïbes Atlantique à mettre en œuvre un régime de travail de son personnel navigant effectuant des périodes de vol supérieures à dix heures. Eu égard à la portée de cette décision, et alors même qu'elle ne modifierait pas le nombre de personnel navigant commercial sur chaque vol, le syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO) qui a notamment pour but de regrouper tous les membres du personnel navigant commercial des différentes compagnies aériennes de l'Union européenne, d'étendre et de sauvegarder les droits collectifs et individuels de ses adhérents et d'améliorer et de protéger les conditions de travail, et qui a été consulté avant l'édiction de l'arrêté conformément à l'article D. 422-6 du code de l'aviation civile, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
4. Aux termes de l'article L. 6521-6 du code des transports : " Le code du travail est applicable au personnel navigant de l'aéronautique civile et à leurs employeurs, sous réserve des dispositions particulières fixées par le présent titre. ". Aux termes de l'article L. 6525-3 de ce code : " Pour les personnels navigants de l'aéronautique civile, il est admis, dans les conditions d'exploitation des entreprises de transport et de travail aérien, qu'à la durée légale du travail effectif, telle que définie à l'article L. 3121-27 du code du travail, correspond un temps de travail exprimé en heures de vol par mois, trimestre ou année civile, déterminé par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
5. Aux termes de l'article D. 422-6 du code de l'aviation civile : " Sur demande présentée dans un délai raisonnable par une organisation patronale ou du personnel de la profession, ou par la compagnie régie par le titre IV du livre III du présent code, le ministre chargé de l'aviation civile peut prendre, après consultation des organisations représentatives au niveau national intéressées, et en se référant, là où il en existe, aux accords intervenus, des arrêtés autorisant, nonobstant les règles fixées aux articles D. 422-2 et D. 422-5, un régime répartissant les temps de vol et les temps d'arrêt sur une autre période de temps, compte tenu notamment de l'éventuel renfort de l'équipage. ". Aux termes de l'article D. 422-5 de ce code : " La durée d'une période de vol ne peut excéder 10 heures dans une amplitude de 14 heures. / ... / c) Périodes de vol supérieures à 10 heures : / Au cas où des périodes de vol supérieures à 10 heures auraient été autorisées dans les formes prévues à l'article D. 422-6, la première période est précédée d'un temps d'arrêt au moins égal à 36 heures dont deux arrêts nocturnes normaux. / En outre, un seul arrêt accordé en dehors de la base d'affectation peut subir un abattement, lequel ne peut avoir pour effet de le réduire à moins de 18 heures. Aucun autre arrêt ne peut être réduit avant que le navigant intéressé ait de nouveau bénéficié d'un arrêt au moins égal à 36 heures majorées de l'insuffisance du temps d'arrêt réduit. (...) ".
6. Pour annuler l'arrêté ministériel du 22 décembre 2017, les premiers juges ont estimé que la dérogation aux temps de vol et aux temps d'arrêt qu'il instituait, et notamment le fait de prévoir que, pour une période de vol supérieure à dix heures, " les membres de l'équipage bénéficient à leur retour à la base d'affectation d'un temps de repos placé a minima sur deux nuits locales ", était contraire aux stipulations de l'accord conclu par la société Air Caraïbes Atlantique et les organisations syndicales le 1er juin 2009. Toutefois, comme le soutient la société requérante, cet accord, et notamment ses stipulations relatives au repos post-courrier, a été modifié par avenant de juillet 2016.
7. L'article 5 de l'avenant de juillet 2016 précise que celui-ci est conclu pour une durée d'un an renouvelable et prendra effet le 1er octobre 2016. Aux termes des stipulations de l'article 6.2 de cet avenant, " les Parties conviennent de se réunir au plus tard le 1er octobre 2017 pour assurer le suivi de l'exécution de l'accord de 2009 et du présent avenant, et de son renouvellement (...) ". En l'occurrence, il ne ressort pas des pièces du dossier que les parties se seraient réunies et auraient dénoncé cet avenant conformément aux stipulations précitées.
8. Ainsi, il résulte des stipulations de ce protocole d'accord sur la planification et la régulation du personnel navigant, dans sa rédaction issue de son avenant de juillet 2016 applicable au litige, que les règles de réengagement post-courrier sont différentes selon que les vols sont programmés en périodes de pointe ou en périodes normales. Lors de ces dernières, un délai de deux jours calendaires pleins doit être respecté avant toute nouvelle programmation en vol lorsque la rotation précédente inclut un vol avec décalage horaire de quatre heures ou plus. Des dérogations sont prévues notamment en cas d'accord entre la compagnie et le navigant ou dans le cas d'une demande particulière (" desiderata ") émise par le navigant. Lors des périodes de pointe, les mêmes règles s'appliquent ; toutefois, " et pour le seul deuxième jour calendaire, pourront être programmés sur le planning mensuel des Temps d'Arrêt Supplémentaires (TAS) deux fois par mois " dans certaines limites.
9. Il ressort des termes de l'accord, tel que modifié par son avenant, que la règle de repos de deux jours calendaires pleins avant toute nouvelle programmation en vol est réaffirmée. Par suite, l'arrêté du 22 décembre 2017, en autorisant une dérogation aux règles prévues par les dispositions précitées du code du travail, sans exiger l'accord du navigant et en-dehors des contraintes évoquées par l'accord du 1er juin 2009, tel que modifié par son avenant de juillet 2016, a méconnu les stipulations de cet accord. Si l'appelante soutient que l'arrêté litigieux est une prorogation de l'accord de programmation CUBA du 10 novembre 2016 qui ne concernerait que des personnels volontaires souhaitant déroger aux règles de réengagement post-courrier, il ne ressort ni de l'arrêté, ni des termes de la demande, ni d'ailleurs d'aucune autre pièce du dossier que le champ de cette dérogation serait limité aux vols desservant l'île de Cuba et qu'ainsi, seuls les personnels volontaires seraient concernés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air Caraïbes Atlantique n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Martinique a annulé l'arrêté de la ministre chargée des transports en date du 22 décembre 2017 à compter du 1er novembre 2019.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO), qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Air Caraïbes Atlantique demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Air Caraïbes Atlantique est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air Caraïbes Atlantique, au ministre chargé des transports et au syndicat national du personnel navigant commercial - Force ouvrière (FO).
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
Mme Sylvie Cherrier, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2021.
Le rapporteur,
Olivier A...
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre chargé des transports en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19BX02959