Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2016, MmeD..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 21 octobre 2016 ;
2°) d'annuler les arrêtés précités du préfet de la Haute-Vienne des 17 juin et 18 octobre 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de séjour :
- il viole l'article L. 313-11-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa vie privée et familiale ; elle vit en concubinage depuis plus de quatre ans avec un ressortissant algérien, certes en situation irrégulière, mais avec lequel elle a eu un enfant, né en mai 2015 ; il s'agit donc d'une relation ancienne, intense et stable ; le couple est bien intégré, elle a exercé des fonctions d'enseignante, chacun des deux conjoints a toujours travaillé, elle a un parcours universitaire brillant puisqu'elle a obtenu son doctorat et peut prétendre à un poste d'enseignant-chercheur ; son profil et ses compétences intéressent l'université française ;
En ce qui concerne la mesure d'éloignement et la décision fixant le pays de renvoi :
- Les décisions portant éloignement et imposant un délai de départ de trente jours ne sont pas suffisamment motivées, ce qui démontre que le préfet les appliquées automatiquement, commettant ainsi une erreur de droit ;
- ces décisions portent atteinte à sa vie privée et familiale et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ; en outre, le couple n'a aucune garantie qu'elle soit admissible en Algérie ou que son conjoint soit admissible au Kazakhstan, alors qu'aucun des conjoints ne parle la langue du pays d'origine de l'autre ; de plus, son conjoint ne s'est pas vu notifier de nouvelle obligation de quitter le territoire français depuis le dernier refus de séjour qu'il a contesté, ce qui instaure un régime différencié entre eux ;
- une telle séparation des deux parents méconnaîtrait l'intérêt supérieur de l'enfant, qui serait privée de l'un de ses deux parents, en l'occurrence de sa mère, puisque son père pourrait rester avec elle en France ;
En ce qui concerne l'assignation à résidence :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur le fait que la mesure d'éloignement demeure une perspective raisonnable, dès lors que son conjoint ne fait pas l'objet d'une mesure d'éloignement en cours de validité ; dans de telles circonstances, le préfet ne pouvait considérer que son éloignement demeurait une perspective raisonnable, dans la mesure où cela entraînerait une séparation du couple ; elle et son concubin ne peuvent être éloignés qu'ensemble ; au total, son éloignement ne serait une perspective raisonnable que si le préfet prenait également une telle mesure à l'encontre de son compagnon, ce qui n'est pas possible tant que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur la légalité de la décision du 12 octobre 2015 le concernant ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention de New York, pour les raisons déjà évoquées.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 décembre 2016, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il valoir qu'aucun des moyens soulevés par Mme D...n'est fondé.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 novembre 2016du bureau d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A...D..., ressortissante kazakhe née en 1975, est entrée régulièrement en France le 15 septembre 2005 afin d'y poursuivre des études. A compter de cette date, et jusqu'au 18 février 2015, elle a bénéficié de la délivrance, par le préfet de la Haute-Vienne, sans discontinuité, de cartes de séjour temporaires portant la mention " étudiant ". Ayant obtenu un doctorat de lettres au terme de l'année universitaire 2013-2014 après avoir soutenu sa thèse sur " l'adaptation théâtrale de Dostoïevski ", Mme D...a été mise en possession d'une autorisation provisoire de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, valable jusqu'au 12 février 2016. En décembre 2015, Mme D...a sollicité, à titre principal, la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Cependant, le 17 juin 2016, le préfet de la Haute-Vienne a pris à son encontre un arrêté portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination. Par un arrêté du 18 octobre 2016, le même préfet a assigné Mme D...à résidence dans le département de la Haute-Vienne pour une durée de quarante-cinq jours comprise entre le 18 octobre et le 1er décembre 2016. Par un jugement du 21 octobre 2016, dont Mme D...fait appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges, statuant en procédure d'urgence, a rejeté sa demande, en tant qu'elle tendait à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de renvoi, contenues dans l'arrêté du 17 juin 2016, ainsi que sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté d'assignation à résidence du 18 octobre 2016.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de renvoi, contenues dans l'arrêté du 17 juin 2016 :
2. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...a, depuis le mois de décembre 2012, une communauté de vie avec M.C..., ressortissant algérien, avec lequel elle s'était d'ailleurs fiancée en mai 2010, et que le couple a eu un enfant, né en France en mai 2015. Si M. C...est également en situation irrégulière et a fait l'objet, le 19 janvier 2015, d'un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi, le tribunal administratif de Limoges a, par un jugement du 16 juillet 2015 devenu définitif, annulé ces deux dernières décisions, motif pris de ce qu'elles portaient une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale dès lors que Mme D... était, elle, en séjour régulier au moment de l'édiction de l'arrêté. Dans le cadre de l'exécution de ce jugement, le préfet de la Haute-Vienne a, le 12 octobre 2015, restatué sur le cas de M. C..., mais en prenant à son encontre un refus de séjour seul. Si, par deux jugements du 9 février 2017, le même tribunal administratif a rejeté la demande de M. C...dirigée contre ce refus de séjour, tout comme celle de Mme D...dirigée contre le refus de séjour qui lui a été opposé le 17 juin 2016, il résulte de cette situation qu'à la date d'édiction de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de MmeD..., son compagnon n'était plus sous le coup d'une mesure identique. Par suite, et comme l'a déjà relevé le tribunal administratif à propos de son compagnon, même si la requérante n'a pas vocation à demeurer de manière pérenne sur le territoire français, il résulte toutefois de ce qui précède que la mesure d'éloignement attaquée, qui l'oblige à quitter le territoire français, a nécessairement pour effet de scinder la cellule familiale de Mme D...et de M. C.... Dans ces conditions, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante et reposent sur une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la mesure d'assignation à résidence :
3. Mme D...étant fondée à demander l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, elle est également fondée, par voie de conséquence, à demander l'annulation de la décision du 18 octobre 2016 portant assignation à résidence, quand bien même cette mesure aurait-elle été exécutée.
4. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard à sa motivation, le présent arrêt n'implique pas de mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme D...ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande Mme D...sur ces fondements.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°s 1601355, 1601385 du magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges du 21 octobre 2016 ainsi que les décisions du préfet de la Haute-Vienne des 17 juin et 18 octobre 2016 portant obligation de quitter le territoire français en fixant le pays de renvoi et portant assignation à résidence sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 27 février 2017 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, premier conseiller,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 mars 2017.
Le rapporteur,
Florence Rey-GabriacLe président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Delphine Céron
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Delphine Céron
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N° 16BX03469