Procédure devant la cour :
Par une requête, complétée par des mémoires en production de pièces, enregistrés les 13 février, 22 mars et 4 avril 2018, M. A...B..., représenté par Me Jouteau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 mai 2017 du préfet de la Gironde susmentionné ;
3°) d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui délivrer le titre de séjour sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en indiquant qu'il ne justifie pas d'une réelle volonté d'intégration ni d'aucune formation, alors qu'il a justifié de nombreuses démarches l'établissant, le préfet a commis une erreur de fait flagrante, moyen sur lequel les premiers juges ont omis de statuer et que la cour devra considérer comme fondé ;
- la décision de refus de séjour a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de sa réelle volonté d'intégration dans la société française, de ses attaches familiales en France avec sa mère et son beau-père résidant en France de longue date, et de ce qu'il ne dispose de plus aucune attache en Ukraine, n'ayant plus aucun contact avec son père ni relation personnelle avec son ancienne petite amie depuis 2014 ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu des risques qu'il encourt pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine, où il a fait l'objet d'une arrestation arbitraire par les ultranationalistes le 20 juillet 2014 du fait de sa supposée appartenance à la mouvance séparatiste et a été contraint d'effectuer des travaux forcés en dépit de son état de santé dégradé lié à une maladie neurologique, ce qui l'a conduit à fuir en août 2014.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2018, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'il s'en remet à ses observations de première instance.
Par ordonnance du 5 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 18 avril 2018.
Par une décision du 18 janvier 2018, M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25 %.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour son application ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Axel Basset,
- et les observations de Me Jouteau, représentant M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant ukrainien né le 14 février 1991 à Marioupol (Ukraine), est entré en France le 31 août 2014 selon ses propres dires, afin d'y solliciter l'asile politique. A la suite du rejet de sa demande par décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 10 septembre 2015, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 6 octobre 2016, l'intéressé a sollicité, le 9 novembre 2016, la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", sur le double fondement des dispositions des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 23 mai 2017, le préfet de la Gironde a rejeté sa demande, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. B...relève appel du jugement du 9 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus (...). L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article R. 313-21 dudit code, alors en vigueur : " Pour l'application du 7° de l'article L. 313-11, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de la vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M.B..., entré en France le 31 août 2014 afin d'y solliciter l'asile politique, a rejoint dès son arrivée le domicile de sa mère, présente sur le territoire français depuis le 14 août 2010 et titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 28 juillet 2024, ainsi que son beau-père, ressortissant ukrainien y résidant pour sa part depuis dix-sept ans et lui-même en possession d'une carte de résident valable jusqu'au 1er juillet 2023. Il ressort également des pièces du dossier qu'après avoir suivi des cours de français au centre social de Bordeaux Nord, dès février 2015, à hauteur de deux fois par semaine, M. B...a entrepris de s'inscrire, dès la rentrée universitaire 2015/2016, au diplôme universitaire d'études de français (DUEF), formation diplômante réservée aux étudiants étrangers non francophones qui désirent approfondir leurs connaissances en langue et en culture françaises ou se préparer à effectuer ou continuer des études universitaires en France. Au cours de cette première année universitaire, l'intéressé a validé le DUEF 1 niveau 2 puis le DUEF 2 niveau 2 avec les moyennes respectives de 15,71/20 et 15,86/20, soit dans les deux cas avec la mention " bien ". L'année universitaire suivante 2016/2017, M. B... est parvenu à valider les niveaux 3 et 4 du DUEF puis le DELF B2, là encore à chaque fois avec la mention " bien ", ce qui l'a conduit à recevoir des appréciations très favorables du corps enseignant ainsi que leurs encouragements. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que pour rejeter la demande de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", formée par l'intéressé notamment sur le fondement des dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Gironde a indiqué qu'il ne démontrait pas une réelle volonté d'intégration dans la société française dès lors qu'il ne justifiait d'aucune formation, ni d'une quelconque activité professionnelle. Toutefois, l'autorité préfectorale a, ce faisant, commis une erreur de fait, dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, M. B... suivait depuis deux ans une formation diplômante, ce dont les services de la préfecture avaient d'ailleurs été avisés dans le cadre de l'examen de sa demande. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Gironde aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur les attaches familiales de l'intéressé dans son pays d'origine, dont il fait par ailleurs état dans l'arrêté litigieux. Dès lors, la décision de refus de séjour est entachée d'inexactitude matérielle et doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre celle-ci. Cette annulation prive de base légale les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi contenues dans l'arrêté contesté, lesquelles doivent, par suite, être également annulées.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". En vertu de l'article L. 911-2 de ce même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
6. L'annulation de l'arrêté litigieux n'implique pas, eu égard au motif sur lequel elle se fonde, qu'il soit délivré à M. B...le titre de séjour qu'il sollicite mais, seulement, que le préfet réexamine sa situation, compte tenu des circonstances de droit et de fait existantes à la date de ce réexamen. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Gironde d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions combinées du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il sera mis à la charge de l'Etat, au titre des frais de l'instance, y compris le cas échéant les droits de plaidoirie, le versement à son conseil, Me Jouteau, de la somme de 1 000 euros, sous réserve de la renonciation de cette dernière à percevoir la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°s 1703721-1703935 du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du 23 mai 2017 du préfet de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B...une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : En application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera à Me Jouteau, avocate de M.B..., la somme de 1 000 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 27 avril 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Gil Cornevaux, président assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mai 2018.
Le rapporteur,
Axel Basset
Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 18BX00617