Par une requête, enregistrée le 12 mai 2020 sous le n° 20BX01605, la préfète de la Gironde demande à la cour d'annuler le jugement du 26 février 2020 du tribunal administratif de Bordeaux et de mettre à la charge de Mme E... la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- elle était fondée à procéder au retrait du titre de séjour de Mme E..., en application des dispositions de l'article L. 313-5-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le tribunal a fait une inexacte application des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que Mme E... justifie de l'ancienneté, de la stabilité et de l'intensité de ses liens avec la France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 septembre 2020, Mme E..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente, faute pour le préfet de justifier d'une délégation de signature ;
- il est entaché d'un vice de procédure à défaut pour le préfet d'avoir vérifié si elle pouvait prétendre à un autre titre de séjour ;
- c'est à bon droit que le tribunal a estimé que l'arrêté a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au vu de sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le 4° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2020/013093 du 20 août 2020 du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
- et les observations de Me C..., substituant Me A..., pour Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... E..., ressortissante marocaine née en 1990, est entrée en France le 7 janvier 2005. Elle a bénéficié d'un titre de séjour spécial valable du 31 mars 2006 au 5 septembre 2011, en sa qualité de fille de M. E..., enseignant en mission éducative auprès des autorités consulaires marocaines, puis d'un titre de séjour " étudiant " valable du 21 janvier au 31 octobre 2013, renouvelé jusqu'au 11 octobre 2017, date à laquelle elle s'est vu délivrer un titre de séjour pluriannuel valable du 17 octobre 2017 au 16 octobre 2019. Par un arrêté du 11 octobre 2019, la préfète de la Gironde a procédé au retrait de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Elle relève appel du jugement du 26 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé son arrêté du 11 octobre 2019.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
3. Mme E... fait valoir qu'elle est entrée en France à l'âge de 14 ans, qu'elle a obtenu le baccalauréat en 2010 puis une licence en administration économique et sociale en 2017, qu'elle a été bénévole au sein de la Croix Rouge française et qu'elle est donatrice de l'association " Care France ". Toutefois, en se bornant à produire les diplômes obtenus durant sa scolarité, une photo et un échange de courriels relatifs à son bénévolat à la Croix Rouge ainsi que des justificatifs de dons à l'association " Care " d'un montant global de 44 euros, et en dépit de l'ancienneté de son entrée sur le territoire français, l'intéressée ne justifie pas avoir noué sur le territoire français des liens privés d'une particulière intensité. Par ailleurs, les circonstances qu'elle occupe un emploi à temps partiel en tant qu'agent de service, quelques mois en 2018 et en 2019, puis en contrat à durée indéterminée à compter du 2 septembre 2019, pour une durée de travail de 17 heures mensuelles et que son livre électronique a fait l'objet de commandes sur internet pour un montant total de 23,60 euros, ne suffisent pas à caractériser une insertion professionnelle particulière et ancienne. Par suite, la préfète de la Gironde est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle a fait une inexacte application des dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme E... devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Sur les autres moyens invoqués par Mme E... :
En ce qui concerne la décision portant retrait du titre de séjour " étudiant " :
5. En premier lieu, par un arrêté du 17 septembre 2018, régulièrement publié le lendemain au recueil des actes administratifs n° 33-2018-098 de la préfecture de la Gironde, le préfet a donné délégation à M. Thierry D..., secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous arrêtés et décisions concernant les attributions de l'État dans le département de la Gironde, à l'exception de trois matières étrangères au présent litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. D... doit être écarté.
6. En deuxième lieu, si l'intéressée soutient que le préfet n'a pas vérifié si elle pouvait prétendre à un autre titre de séjour, il ressort de l'arrêté contesté que le préfet a estimé qu'elle ne remplissait pas les conditions pour se voir accorder un titre de séjour sur un autre fondement. Par suite, ce moyen manque en fait et doit être écarté.
7. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 3, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce qu'elle peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et tiré de ce que l'arrêté contesté méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L.313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".
9. Ainsi qu'il a été dit au point 3, en dépit de la durée de son séjour en France, Mme E... ne justifie pas de liens personnels sur le territoire français, est célibataire et sans charge de famille, et n'établit pas ne plus avoir d'attaches avec son pays d'origine. Par ailleurs, comme précisé au point 3, elle ne justifie pas davantage d'une insertion professionnelle particulière. Dans ces conditions, la situation de l'intéressée ne peut être regardée comme relevant d'un motif humanitaire ou de circonstances exceptionnelles justifiant une admission exceptionnelle au séjour. Par suite, la préfète de la Gironde n'a ni méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 susvisées ni commis une erreur manifeste d'appréciation au vu de sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans (...) ".
11. Si Mme E... a bénéficié de titres de séjour couvrant les périodes, d'une part, du 31 mars 2006 au 5 septembre 2011 et, d'autre part, du 21 janvier 2013 au 10 octobre 2019, elle n'établit pas avoir résidé régulièrement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français aurait méconnu les dispositions du 4° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Gironde est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 octobre 2019.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
13 Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la préfète de la Gironde présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905724 du tribunal administratif de Bordeaux du 26 février 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme E... présentée devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... E.... Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
Mme F..., présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
La présidente-assesseure,
F...Le président-rapporteur,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
20BX01605