Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2021, M. A..., représenté par Me Bachet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 septembre 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 septembre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités espagnoles et l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant remise aux autorités espagnoles :
- cette décision est insuffisamment motivée en fait en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 17.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est également entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par une décision n° 2021/022832 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux du 4 novembre 2021, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Nathalie Gay a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant mauritanien, déclare être entré irrégulièrement en France le 15 juin 2021. Il a déposé une demande d'asile enregistrée le 22 juin 2021 à la préfecture de l'Essonne. À cette occasion, le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé qu'il avait fait l'objet d'un contrôle de police en Espagne le 21 novembre 2020. Les autorités espagnoles, saisies le 7 juillet 2021 d'une demande de prise en charge en application de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont reconnu, par message du 7 juillet 2021, que leur responsabilité implicite prendrait effet le 8 septembre 2021 sur la base de l'article 22.7 de ce même règlement. Par deux arrêtés du 9 septembre 2021, le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence dans le département de la Haute-Garonne pour une durée de quarante-cinq jours. M. A..., qui a été éloigné à destination de l'Espagne le 27 octobre 2021, relève appel du jugement du 15 septembre 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant remise aux autorités espagnoles :
2. En premier lieu, la décision litigieuse comporte les mentions des textes sur lesquels elle se fonde, notamment la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013, le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 et les dispositions de l'article L. 572-1 à L. 572-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La décision contestée mentionne également les éléments de fait pertinents relatifs à la situation de M. A.... Elle précise qu'il est entré irrégulièrement sur le territoire français et qu'il a présenté une demande d'asile à la préfecture de l'Essonne le 22 juin 2021. Elle mentionne qu'en application de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités espagnoles doivent être regardées comme responsables de la demande d'asile présentée par M. A... et que, saisies le 7 juillet 2021 d'une demande de prise en charge de l'intéressé, elles ont reconnu, par message du même jour, que leur responsabilité implicite prendrait effet le 8 septembre 2021 sur la base de l'article 22.7 de ce même règlement. La décision en litige précise également que l'ensemble des considérations de fait et de droit caractérisant la situation de M. A..., notamment sa pathologie, ne relèvent pas des dérogations prévues par les articles 3.2, 17.1 et 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Enfin, elle relève que l'intéressé ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait insuffisamment motivée et serait entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle doivent être écartés.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre le 22 juin 2021, lors du dépôt de sa demande d'asile en préfecture, la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin. Qu'est-ce que cela signifie ' " qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement, en langue soninké, que l'intéressé a déclaré comprendre, ainsi que le guide du demandeur d'asile rédigé en langue française traduit intégralement en soninké par le truchement d'un interprète de chez ISM Interprétariat. M. A... a été informé lors de l'entretien individuel qui s'est déroulé par le biais de cet interprète, que sa demande d'asile était traitée conformément au règlement (UE) n° 604/2013, dit règlement " Dublin ". Il a, à cette occasion, déclaré avoir reçu l'information sur les règlements communautaires applicables et avoir compris la procédure engagée à son encontre. Il ne saurait ainsi soutenir que les brochures précitées ne lui auraient pas été remises dans leur intégralité, ni que le guide du demandeur d'asile ne lui aurait pas été intégralement lu et traduit en soninké, alors qu'il a signé sans aucune réserve le résumé de l'entretien individuel qui comporte les mentions " Brochures A et B remises en soninké ce jour " et " Guide remis en français, traduit par ISM en soninké ".
5. En revanche, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. A... aurait reçu le livret " Les empreintes et Eurodac ". Toutefois, la brochure A comporte bien les informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les empreintes digitales sont vérifiées dans la base de données Eurodac, conformément au point 3 de l'article 4 du règlement Dublin. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence de ce document a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision contestée. En tout état de cause, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 précité, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision par laquelle l'État français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.
6. En troisième lieu et dernier lieu, M. A... reprend en appel, sans les assortir d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 17.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de ce qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et de ce qu'elle méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il convient d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
7. En premier lieu, M. A... reprend, sans l'assortir d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, le moyen tiré de ce que la décision portant assignation à résidence serait insuffisamment motivée. Il convient d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les autorités espagnoles ont reconnu, ainsi qu'il a déjà été exposé, que leur responsabilité prendrait effet le 8 septembre 2021 sur la base de l'article 22.7 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013. Dans ces conditions, son éloignement vers l'Espagne demeurait, le 9 septembre 2021, une perspective raisonnable. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision portant assignation à résidence méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 9 septembre 2021 du préfet de la Haute-Garonne. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise pour information au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 27 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Nathalie Gay, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 février 2022.
La rapporteure,
Nathalie Gay Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX04311 2