- le rapport de Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur,
- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,
- et les observations de Me B... F..., représentant la commune d'Annoeullin, et de Me C... E..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 17 février 2011, le maire d'Annoeullin a interdit la circulation des piétons sur le chemin rural de Saint-Vaast reliant les routes départementales 41 et 41 B au motif que l'étroitesse de cette voie fréquentée par des engins agricoles occasionnait un risque pour la sécurité de ses utilisateurs et des riverains. Estimant que cette interdiction allait le priver de la possibilité de fournir le centre pénitentiaire d'Annoeullin en qualité de débit de tabac ordinaire permanent le plus proche de cet établissement, le gérant du débit de tabac situé dans la commune limitrophe de Carnin a sollicité du maire d'Annoeullin l'abrogation de cet arrêté. Par un jugement du 9 avril 2013, le tribunal administratif de Lille a annulé le refus d'abroger l'arrêté du 17 février 2011 motif pris de ce que l'étroitesse du chemin et son caractère dangereux n'étaient pas caractérisés et a enjoint au maire d'Annoeullin de l'abroger. Par un arrêté du 29 avril 2013 qui " remplace et abroge " celui du 17 février 2011, le maire a à nouveau prononcé une interdiction de circulation des piétons sur le chemin, du lundi au vendredi. Par une lettre du 21 janvier 2014, reçue par la commune le 3 février suivant, M. D..., en sa qualité, depuis le 1er septembre 2013, de nouvel exploitant du débit de tabac situé à Carnin, a demandé au maire d'Annoeullin de procéder à l'abrogation de cet arrêté. Le silence gardé par le maire sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. M. D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, l'annulation de cette décision en assortissant cette demande de conclusions à fin d'injonction ainsi que, d'autre part, la condamnation de la commune d'Annoeullin à lui verser la somme de 68 888 euros en réparation du préjudice subi à compter du 1er septembre 2013 du fait de l'intervention de la décision attaquée. La commune d'Annoeullin relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande de M. D... tandis que ce dernier demande, par la voie de l'appel incident, que le montant de la condamnation soit augmenté de la somme de 30 191euros assortie des intérêts légaux à compter de la décision à intervenir, en réparation du préjudice subi au cours de la période du 1er mars 2016 au 6 avril 2017.
Sur les conclusions de l'appel principal :
En ce qui concerne la légalité de la décision refusant d'abroger l'arrêté du 29 avril 2013 interdisant la circulation des piétons sur le chemin de Saint-Vaast du lundi au vendredi :
2. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) ". Aux termes de l'article L. 161-5 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité municipale est chargée de la police et de la conservation des chemins ruraux ".
3. Lorsqu'il examine, dans le cadre du contrôle de proportionnalité, la légalité d'une mesure de police générale restreignant la liberté d'aller et venir, le juge de l'excès de pouvoir examine successivement si la mesure en cause est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.
4. Pour annuler le refus d'abroger l'arrêté du 29 avril 2013, le tribunal a relevé que compte tenu des caractéristiques et de la configuration du chemin de Saint-Vaast, sa fréquentation par les piétons ne pouvait être tenue pour dangereuse et qu'en prenant l'arrêté en litige au regard de l'étroitesse du chemin et du danger occasionné par la circulation d'engins agricoles, le maire avait entaché son arrêté d'une erreur de fait.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'entre les routes départementales 41 et 41B, le chemin de Saint-Vaast présente de bonnes conditions de visibilité sur toute sa longueur et une largeur de plus de 3 mètres bordée de plateformes enherbées de part et d'autre. Il résulte également d'un arrêté du 14 octobre 2004 que la circulation motorisée y est interdite à l'exception des seuls engins agricoles devant intervenir dans les champs qui le jouxtent. La commune d'Annoeullin ne justifie d'aucun risque particulier ni d'accident voire même d'incident qui seraient survenus en lien avec la fréquentation des piétons sur ce chemin, notamment depuis l'annulation du précédent arrêté municipal qui y interdisait la circulation des piétons y compris le samedi et le dimanche. Par ailleurs, la circonstance que l'intersection entre la route départementale 41B et le chemin de Saint-Vaast présenterait une dangerosité particulière résultant de la vitesse de circulation élevée autorisée sur cet axe départemental n'est pas de nature à établir l'existence d'un risque lié à l'utilisation du chemin par les piétons. M. D... a précisé dans ses écritures, sans être sérieusement contredit, que ce chemin était régulièrement utilisé auparavant dans le cadre de randonnées pédestres et que, par ailleurs, il n'est pas démontré que la fréquentation du chemin les jours de semaine présenterait un risque particulier alors que le samedi et le dimanche ne sont pas visés par cette interdiction de circulation et que des engins agricoles sont susceptibles d'emprunter le chemin ces jours-là. Par suite, l'arrêté en litige ne présente pas un caractère nécessaire au regard de la finalité qu'il poursuit et est, par suite, illégal.
6. Aux termes de l'article 16-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, alors applicable : " L'autorité compétente est tenue, d'office ou à la demande d'une personne intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ". Saisi par M. D... d'une demande d'abrogation de cet arrêté illégal, le maire d'Annoeullin était tenu d'y faire droit.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune d'Annoeullin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision implicite née du silence opposé à la demande de M. D... tendant à l'abrogation de l'arrêté du 29 avril 2013 et lui a enjoint de procéder à cette abrogation dans un délai de quinze jours.
En ce qui concerne la demande indemnitaire portant sur la période du 1er septembre 2013 au 1er mars 2016:
8. L'illégalité commise par l'administration constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, pour autant qu'il en ait résulté un préjudice direct et certain. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le maire a commis une faute en décidant d'interdire la circulation des piétons sur le chemin de Saint-Vaast du lundi au vendredi par son arrêté du 29 avril 2013 et en refusant de l'abroger. Par suite, la commune d'Annoeullin n'est pas fondée à soutenir que le maire n'a commis aucune illégalité fautive dans l'exercice de ses pouvoirs de police de la circulation.
9. Aux termes de l'article 47 du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés : [0]" I. Le revendeur s'approvisionne en tabacs manufacturés exclusivement auprès du débit de tabac ordinaire permanent le plus proche de son établissement ci-après dénommé " débit de rattachement " (...). II. - Le revendeur doit être en mesure de justifier à tout moment que son débit de rattachement est le plus proche de son établissement, la distance prise en compte étant celle séparant l'entrée principale de celui-ci de l'entrée du débit de rattachement, par l'itinéraire le plus court en empruntant toute voie de circulation, y compris celles accessibles uniquement aux piétons. Les voies privées ne peuvent être incluses dans l'itinéraire que si elles sont ouvertes au public pendant la journée (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour déterminer le débit de rattachement le plus proche de son établissement, auprès duquel il doit obligatoirement s'approvisionner, le revendeur doit calculer la distance exacte entre l'entrée principale de son établissement de revente et celle du débit de rattachement, sur la base de l'itinéraire le plus court entre les deux établissements. Toutefois, si toutes les voies de circulation ouvertes au public, y compris celles accessibles uniquement aux piétons, peuvent être incluses, l'itinéraire est celui qui est effectivement et habituellement emprunté par le revendeur pour se rendre au débit de rattachement, la distance la plus courte entre les établissements n'étant pas le seul critère à prendre en compte et la détermination de cette distance devant également se faire sur la base de l'itinéraire qui sera emprunté pour s'approvisionner sans risque pour la sécurité des personnes et des biens.
10. Si les dispositions ci-dessus reproduites permettent de tenir compte des voies piétonnes, il résulte de l'instruction, compte tenu de la distance de 1 742 mètres qui sépare le centre pénitentiaire d'Annoeullin du débit de tabac de M. D..., des quantités de tabac en cause et des risques que présente le transport de ce type de produit, que le revendeur du centre pénitentiaire doit utiliser un véhicule pour aller chercher son tabac. Or, le chemin de Saint-Vaast n'est pas ouvert à la circulation des véhicules à moteur autres que les engins agricoles en vertu de l'arrêté municipal du 14 octobre 2004 cité au point 5. Ainsi, c'est l'interdiction faite aux véhicules de circuler sur le chemin de Saint-Vaast, et non l'arrêté du 29 avril 2013, qui a pour conséquence de placer le débit de tabac d'Annoeullin plus proche, au sens des dispositions de l'article 47 du décret du 28 juin 2010, du centre pénitentiaire que le débit de Carnin exploité par M. D... qui ne peut dès lors pas être désigné comme débit de rattachement. Par conséquent, la commune d'Annoeullin est fondée à soutenir que la non-désignation du débit de tabac de M. D... comme débit de rattachement du centre pénitentiaire et, par suite, les préjudices dont il demande réparation, sont dépourvus de lien direct avec l'illégalité relevée au point 5.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de d'examiner la recevabilité des conclusions de première instance de M. D..., que la commune d'Annoeullin est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille l'a condamnée à verser à M. D... une somme de 68 888 euros assortie des intérêts aux taux légal à compter du 22 mai 2014.
Sur les conclusions de l'appel incident de M. D... tendant à ce que le montant de la condamnation soit augmenté de 30 191 euros pour la période du 1er mars 2016 au 6 avril 2017 :
12. Ainsi qu'il a été dit au point 10, la non-désignation du débit de tabac de M. D... comme débit de rattachement du centre pénitentiaire et, par suite, les préjudices dont il demande réparation, sont dépourvus de lien direct avec l'illégalité de l'arrêté du 29 avril 2013 et le refus d'abroger cet arrêté. Par suite, sans qu'il soit besoin d'en examiner la recevabilité, les conclusions d'appel incident présentées par M. D... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige:
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Annoeullin qui n'est pas, dans la présente instance, la partie principalement perdante, la somme que M. D... réclame au titre des frais liés au litige. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune d'Annoeullin au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1403281 du 6 avril 2017 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Les conclusions indemnitaires présentées en première instance par M. D... et ses conclusions incidentes d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par M. D... sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Annoeullin et à M. A... D....
Copie en sera adressée au directeur régional des douanes et des droits indirects et au directeur du centre pénitentiaire d'Annoeullin.
Délibéré après l'audience publique du 17 septembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Boulanger, président de chambre,
- Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur,
- M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller.
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Lu en audience publique le 1er octobre 2019.
Le président-rapporteur,
Signé : C. ROLLET-PERRAUD Le président de la 1ère chambre,
Signé : Ch. BOULANGER
Le greffier,
Signé : C. SIRE
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Christine Sire
N°17DA01048 2