Par une requête, enregistrée le 7 février 2019, la société Ferme Eolienne de Villers-Saint-Christophe, représentée par Me A... B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 janvier 2016 du préfet de l'Aisne ;
3°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée en l'assortissant des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ou d'enjoindre au préfet de les fixer dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de 1'environnement ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me A... B..., représentant la société Ferme Eolienne de Villers-Saint-Christophe.
Considérant ce qui suit :
Sur le refus de délivrance de l'autorisation unique :
1. La société Ferme Eolienne de Villers-Saint-Christophe relève appel du jugement du 30 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Aisne du 26 janvier 2016 portant refus de lui délivrer l'autorisation unique en vue de la construction et de l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Villers-Saint-Christophe.
En ce qui concerne le cadre juridique du litige :
2. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce.
3. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que, pour statuer sur une demande d'autorisation unique, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de préservation de la commodité du voisinage.
5. La société appelante soutient que l'arrêté en litige, en se fondant sur l'atteinte grave portée à la commodité du voisinage par la visibilité des éoliennes, est entaché d'une erreur d'appréciation des effets du parc éolien sur les intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
En ce qui concerne l'atteinte aux paysages :
6. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
S'agissant de l'impact sur le paysage rural :
7. Il résulte de l'instruction que le site d'implantation du projet, d'une part, est constitué d'un plateau de champs ouverts ne présentant pas d'intérêt particulier et ne bénéficiant pas d'une quelconque protection en raison de son aspect pittoresque, d'autre part, s'inscrit dans un territoire favorable au développement éolien au sein d'un paysage de vaste plaine dédiée en grande partie à l'agriculture. En dépit de leur hauteur, les éoliennes en cause, par leur présence, ne sont pas de nature à altérer le caractère de ce paysage rural.
S'agissant de l'impact sur le village de Villers-Saint-Christophe :
8. D'une part, si les huit éoliennes envisagées, d'une hauteur en bout de pale de 130 mètres ou de 150 mètres, seront disposées en arc de cercle à 180 degrés autour du village de Villers-Saint-Christophe, ces éoliennes seront situées à une distance des premières maisons du village comprise entre 563 mètres et 1 444 mètres et à la même altitude que ce village, de sorte qu'elles n'engendreront pas d'effet de surplomb de ce dernier.
9. D'autre part, si une partie des éoliennes sera visible depuis l'intérieur du village de Villers-Saint-Christophe, en entrée et en sortie de bourg, depuis le cimetière et le terrain de football et depuis quelques maisons situées en bordure ouest et nord du village non pourvues de végétation suffisante pour les occulter, il résulte de l'instruction, et notamment de l'étude d'impact et du rapport du service des installations classées qui a estimé que l'impact sur ce village était " moyen à faible ", que les éoliennes ne seront pas toutes simultanément visibles depuis un même point du village et qu'elles n'engendreront ainsi pas un effet d'encerclement ou de saturation visuelle.
En ce qui concerne l'atteinte à la commodité du voisinage :
10. Alors que l'agence régionale de santé a émis en août 2015 un avis favorable au projet sous réserve de la réalisation d'une étude d'impact acoustique dans un délai de six mois après la réception du parc, aucune atteinte excessive relative aux bruits, aux vibrations, aux émissions lumineuses ou à un autre inconvénient de nature à nuire à la commodité du voisinage ne résulte de l'instruction.
11. Dans ces conditions, la société appelante est fondée à soutenir que le motif de refus tiré de l'atteinte aux paysages et à la commodité du voisinage a méconnu les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ferme Eolienne de Villers-Saint-Christophe est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 30 novembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2016 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer l'autorisation unique en vue de la construction et de l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Villers-Saint-Christophe.
Sur les conclusions à fin de délivrance de l'autorisation et à fin d'injonction :
13. Aux termes du I de l'article L. 514-6 du code de l'environnement : " Les décisions prises en application des articles L. 171-7, L. 171-8 et L. 171-10, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-7-3 à L. 512-7-5, L. 512-8, L. 512-12, L. 512-13, L. 512-20, L. 513-1, L. 514-4, du I de l'article L. 515-13 et de l'article L. 516-1 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction ".
14. Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 de ce code. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.
15. Le ministre ne se prévaut pas d'un autre motif de refus de l'autorisation d'exploiter les éoliennes en cause sur le territoire de la commune de Villers-Saint-Christophe, qu'il s'agisse d'une autre atteinte qui serait portée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement dans des conditions qui rendraient l'implantation des éoliennes incompatible avec la protection de ces intérêts, ou de la méconnaissance de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme ou d'autres dispositions relatives à l'urbanisme.
16. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation d'exploiter le parc éolien sollicité sur le territoire de la commune de Villers-Saint-Christophe, d'autre part, en renvoyant cette société devant le préfet de l'Aisne pour que soient fixées les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Ferme Eolienne de Villers-Saint-Christophe.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 30 novembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens et l'arrêté du 26 janvier 2016 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de délivrer l'autorisation unique en vue de la construction et de l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Villers-Saint-Christophe sont annulés.
Article 2 : L'autorisation de construction et d'exploitation de huit éoliennes et de leur poste de livraison sur le territoire de la commune de Villers-Saint-Christophe est accordée à la société Ferme Eolienne de Villers-Saint-Christophe. Cette autorisation est assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement qui seront fixées par le préfet de l'Aisne.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Aisne de fixer les prescriptions mentionnées à l'article précédent dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société Ferme Eolienne de Villers-Saint-Christophe une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... B... pour la société Ferme de Villers-Saint-Christophe, au préfet de l'Aisne et à la ministre de la transition écologique.
N°19DA00307 2