Par une requête, enregistrée le 4 octobre 2019, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 2 juin, 6 août 2020 et 17 septembre 2020, M. et Mme D..., représentés par Me C... G..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cette décision implicite ;
3°) d'enjoindre au maire de Charleval de prendre toute mesure utile au rétablissement de l'ordre public aux abords de la salle Charles IX ;
4°) de condamner la commune de Charleval à leur verser une indemnité de 150 000 euros assortie des intérêts légaux à compter du 18 août 2017 ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Charleval la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. et Mme D... sont propriétaires d'une maison d'habitation, située 5 place du Monument à Charleval, qui est mitoyenne de la salle " Charles IX ", propriété de la commune aménagée à partir de 1998 pour accueillir différentes réceptions ainsi que des activités associatives. Les époux D... ont alerté à plusieurs reprises la commune et le sous-préfet des Andelys sur les nuisances sonores générées par cette salle Charles IX.
2. Le 16 août 2017, M. et Mme D... ont demandé au maire de Charleval le versement d'une indemnité de 150 000 euros en réparation de leur préjudice et l'édiction des mesures nécessaires au maintien de la tranquillité publique. Ils ont ensuite demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite née du silence gardé sur leurs demandes, d'enjoindre au maire de prendre toutes dispositions utiles au maintien de la tranquillité publique aux abords de la salle Charles IX et de condamner la commune de Charleval à leur verser une indemnité de 150 000 euros assortie des intérêts légaux. Le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes par un jugement du 27 août 2019 dont ils font appel.
Sur la régularité du jugement :
3. D'une part, conformément à l'article R. 741-2 du code de justice administrative, le jugement a visé et cité les dispositions dont il a fait application. Si les requérants soutiennent qu'il aurait dû mentionner des articles du plan local d'urbanisme, ce moyen n'a en tout état de cause pas été assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
4. D'autre part, il résulte des points 4, 5 et 12 du jugement que les premiers juges ont statué sur les conclusions M. et Mme D... tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de leur demande adressée au maire de faire usage de ses pouvoirs de police.
Sur les conclusions à fin d'annulation du refus de prendre des mesures de police :
En ce qui concerne le cadre juridique du litige :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui perturbent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 1336-5 du code de la santé publique : " Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité ".
7. Aux termes de l'article R. 1336-6 du même code : " Lorsque le bruit mentionné à l'article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l'une de celles mentionnées à l'article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R. 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.(...) "
8. Aux termes de l'article R. 1336-7 du même code : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause .Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier : 1° Six pour une durée inférieure ou égale à 1 minute, la durée de mesure du niveau de bruit ambiant étant étendue à 10 secondes lorsque la durée cumulée d'apparition du bruit particulier est inférieure à 10 secondes ; 2° Cinq pour une durée supérieure à 1 minute et inférieure ou égale à 5 minutes ; 3° Quatre pour une durée supérieure à 5 minutes et inférieure ou égale à 20 minutes ; 4° Trois pour une durée supérieure à 20 minutes et inférieure ou égale à 2 heures ; 5° Deux pour une durée supérieure à 2 heures et inférieure ou égale à 4 heures ; 6° Un pour une durée supérieure à 4 heures et inférieure ou égale à 8 heures ; 7° Zéro pour une durée supérieure à 8 heures. "
9. Il appartient au maire d'une commune de prendre toutes mesures appropriées permettant de limiter les nuisances sonores générées par les manifestations autorisées dans une salle communale, pour qu'elles ne portent pas une atteinte excessive à la tranquillité publique et ne méconnaissent pas les valeurs limites de bruit fixées par le code de la santé publique, en faisant notamment usage, en cas de besoin, des pouvoirs de police municipale qui lui sont conférés par l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ou, le cas échéant, des pouvoirs de police spéciale dont il dispose aussi en vertu des articles L. 1311-1 et suivants et R. 1311-1 et suivants du code de la santé publique.
En ce qui concerne les circonstances de l'espèce :
10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les requérants, propriétaires de la maison mitoyenne de la salle Charles IX, se sont plaints des nuisances sonores produites par les activités organisées dans cette salle à partir d'avril 2013. M. B..., locataire des époux D..., s'est également plaint de ces nuisances en 2015.
11. En deuxième lieu, il est constant que la salle Charles IX est utilisée comme salle des fêtes en moyenne 50 semaines sur 52, dont 15 à 20 fois par an en soirée, pour des activités pouvant comporter l'organisation de concerts ou de soirées dansantes.
12. En troisième lieu, la commune a fait procéder à une étude acoustique par le cabinet BET acoustique Duclos qui a rendu son rapport en février 2015. Ce rapport a relevé que sur les isolements mesurés, l'isolement entre la salle et le salon de M. et Mme B... est " le plus défavorable et a été utilisé pour le calculs de niveaux sonores admissibles en l'état actuel et le calcul des gains à obtenir pour une exploitation normale de la salle (...) Le respect de l'émergence admissible de 3 dB par octave pour l'obtention d'un niveau ambiant de 25 dBA dans la maison mitoyenne, nécessite la prise en compte d'un niveau transmis par la salle de 22 dBA dans cette maison [soit des niveaux sonores admissibles de 68 à 79 dBA selon l'octave et un niveau sonore admissible global de 85 dBA]. Le niveau sonore admissible de 85 dBA n'est pas représentatif des faibles niveaux dans les fréquences basses et médiums (125 à 500 Hz) et ne sera pas suffisant pour une exploitation normale de la salle. Gains à obtenir : Par expérience, il faudra atteindre un niveau sonore admissible de 95 dBA dans la salle. Les gains à obtenir [de 9 à 12 dBA selon l'octave] sont importants et nécessiteront le traitement complet des structures de la salle ".
13. En quatrième lieu, à la suite de cette étude, la commune a fait remplacer les tampons sous les chaises et les roues des chariots, a fait procéder à l'isolation phonique de la grande cheminée de la salle et a fait installer dans la salle Charles IX, en octobre 2015, un limiteur de bruit coupant l'alimentation électrique en cas de dépassement d'un seuil sonore de 90 dBA.
14. Toutefois, les autres travaux d'insonorisation préconisés par l'étude acoustique n'ont pas pu être réalisés en raison du caractère historique de la salle Charles IX et il ressort des relevés acoustiques effectués du 1er au 25 mai 2016, qui ont fait apparaître des nuisances sonores pouvant atteindre plus de 100 dBA y compris en soirée, que les mesures prises par la commune n'étaient pas de nature à empêcher, à la date de la décision attaquée, la survenance d'un dépassement du niveau sonore de 85 dBA mentionné par le rapport d'étude acoustique cité au point 12.
15. Dans ces conditions, compte tenu de l'atteinte excessive ainsi portée à la tranquillité des riverains, la décision par laquelle le maire a implicitement rejeté la demande des époux D... du 16 août 2017 tendant à ce qu'il fasse usage de ses pouvoirs de police aux abords de la salle Charles IX n'a pas fait une exacte application des dispositions précitées et doit par suite être annulée.
Sur les conclusions à fin d'indemnité :
En ce qui concerne la responsabilité pour carence fautive de la commune :
16. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents qu'une carence fautive dans l'exercice de ses pouvoirs de police a été commise par le maire à compter d'avril 2013, date à partir de laquelle les époux D... se sont plaints des nuisances sonores auprès de la commune.
17. Toutefois, en premier lieu, les époux D... n'ont pas établi, par les pièces qu'ils ont produites à l'instance, que les nuisances sonores en cause les auraient contraints à louer leur bien à un loyer anormalement bas.
18. En deuxième lieu, les requérants n'ont pas davantage établi, y compris en produisant une lettre de leur locataire rédigée en termes sommaires en 2015, la perte de valeur vénale de leur bien.
19. En troisième lieu, si les requérants ont soutenu que n'ayant pas pu vendre leur bien, ils ont été obligés de souscrire un emprunt pour faire l'acquisition de leur logement actuel, seule la réalité d'un prêt relais échu en 2013 a été établie et en tout état de cause le coût d'un tel emprunt ne constituerait pas un préjudice résultant directement de la carence fautive de la commune.
En ce qui concerne la responsabilité pour promesses non tenues :
20. En premier lieu, si le maire a fait état d'un projet de création d'une maison des associations sur le plateau sportif de Charleval et de la fermeture de la salle Charles IX pour des travaux d'isolation thermique acoustique une fois cette maison réalisée, il n'a pris aucun engagement formel et précis en ce sens.
21. En deuxième lieu, s'il a été indiqué dans le compte-rendu d'une réunion en sous-préfecture que le maire devait rappeler à ses services que le portail en bois devait être fermé, il ne résulte pas de l'instruction, en tout état de cause, que cette mesure était susceptible d'avoir une incidence sur les nuisances dont se plaignent les requérants.
22. En troisième lieu, il ne résulte pas davantage de l'instruction que le maire se serait engagé à prendre toutes dispositions afin de mettre la salle en conformité avec l'article R. 571-29 du code de l'environnement.
23. En quatrième lieu, la commune a installé un limiteur de son en octobre 2015, établi un règlement intérieur et mis en place des roues en caoutchouc sur les chariots ainsi que cela avait été annoncé par le maire.
24. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la commune pour engagements non tenus ne peut pas être mise en cause.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
25. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la salle Charles IX était déjà utilisée comme salle des fêtes à la date de l'acquisition de la maison mitoyenne par les consorts D... en 1981. Il s'en déduit que les requérants ne pouvaient pas ignorer les risques de nuisances sonores, ainsi acceptés en connaissance de cause, que sont appelés à subir les riverains d'un tel ouvrage.
26. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 17 à 19, il ne résulte pas de l'instruction que les nuisances sonores en cause aient été à l'origine des préjudices dont les requérants ont demandé la réparation dans la présente instance.
27. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le maire a rejeté leur demande du 16 août 2017 tendant à ce qu'il fasse usage de ses pouvoirs de police aux abords de la salle Charles IX.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
28. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code justice administrative, qu'il soit enjoint au maire de Charleval de prendre des mesures de réaménagement ou de fixer des modalités d'utilisation de la salle Charles IX permettant de faire cesser les nuisances sonores excessives.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
29. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge les époux D..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Charleval réclame au titre des frais liés au litige.
30. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la commune de Charleval la somme que les époux D... demandent au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision implicite par laquelle le maire a rejeté la demande du 16 août 2017 des époux D... tendant à ce qu'il fasse usage de ses pouvoirs de police aux abords de la salle Charles IX est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au maire de Charleval de prendre des mesures de réaménagement ou de fixer des modalités d'utilisation de la salle de la salle Charles IX permettant de faire cesser les nuisances sonores excessives.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D... est rejeté.
Article 4 : La demande de la commune de Charleval présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... G... pour M. F... D... et Mme E... D... et à Me H... A... pour la commune de Charleval.
N°19DA02279 2