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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,
- et les observations de Me B...A..., représentant la société Jucris.
Considérant ce qui suit :
1. La société Jucris exploite, avenue Percier et Fontaine à Boulogne-sur-Mer, un supermarché à l'enseigne " Intermarché " d'une surface de vente de 1 648 m². Le 29 octobre 2015, elle a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour procéder à l'agrandissement de la surface de vente de ce magasin de 495 m² supplémentaires, portant ainsi la surface de vente totale à 2 143 m², sans modification de l'enveloppe du bâtiment existant. La commission départementale d'aménagement commercial a émis un avis favorable au projet le 28 janvier 2016. Saisie par la société Delmas, qui exploite un supermarché concurrent dans la même zone de chalandise, la Commission nationale d'aménagement commercial a émis à son tour un avis favorable le 23 mai 2016. Au vu de cet avis, le maire de Boulogne-sur-Mer a délivré à la société Jucris le permis de construire sollicité par un arrêté du 27 juin 2016. Par la présente requête, la société Delmas demande l'annulation de cette décision.
Sur la procédure menée devant la Commission nationale d'aménagement commercial :
2. Aux termes de l'article R. 752-36 du code de commerce : " La commission nationale peut recevoir des contributions écrites. / La commission nationale entend toute personne qui en fait la demande écrite au secrétariat, en justifiant les motifs de son audition, au moins cinq jours avant la réunion (...) ".
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 20 mai 2016, adressé au président de la Commission nationale d'aménagement commercial, le conseil de la société Delmas, sur l'invitation qui lui avait été faite par le secrétaire de la Commission conformément à une orientation dégagée par le rapport d'activité 2015, a indiqué, aux conditions qu'il a précisées, qu'il renonçait à sa demande de présenter des observations orales lors de la séance de la Commission prévue le 23 mai suivant. Il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que les " conditions " énoncées dans ce courrier n'auraient pas été respectées ou que ce renoncement n'aurait été consenti que sous la contrainte du secrétariat de la Commission nationale. Enfin, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que cette absence d'audition a été de nature à fausser son accès à l'ensemble des informations contenues dans le dossier. Dans ces conditions, cette société n'est pas fondée à soutenir que l'avis du 23 mai 2016 est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière, faute pour la Commission d'avoir procédé à son audition.
4. En second lieu, il ressort du procès-verbal de la séance de la Commission nationale d'aménagement commercial que le projet de la société Jucris a été présenté par le rapporteur, qu'il a été donné lecture des avis favorables des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce, et que le commissaire du Gouvernement a émis à son tour un avis favorable sur le projet, avant que la Commission ne procède à un vote à l'issue duquel elle a émis un avis favorable à l'unanimité. Il ne résulte ni des termes de ce procès-verbal, ni d'aucune autre pièce du dossier que les membres de la Commission auraient été privés de la possibilité de débattre de ce projet au cours de la séance. La société Delmas n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que l'avis de la Commission est irrégulier au motif qu'il n'a pas été précédé d'un véritable débat.
5. Aux termes de l'article R. 752-38 du code de commerce : " L'avis ou la décision est motivé, signé par le président et indique le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que le nombre d'abstentions ". L'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial du 23 mai 2016 est suffisamment motivé au regard de ces dispositions. Aucune disposition, ni aucune règle n'impose que cet avis fasse mention du contenu des avis des ministres ou de la position de la Commission sur chacun des objectifs et critères énumérés par la loi. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
Sur la composition du dossier de demande de permis de construire :
6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce : " La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments suivants : / (...) / 2° Informations relatives à la zone de chalandise et à l'environnement proche du projet : / a) Une carte ou un plan indiquant les limites de la zone de chalandise, accompagné : / (...) - de la population de chaque commune ou partie de commune comprise dans cette zone, de la population totale de cette zone et de son évolution entre le dernier recensement authentifié par décret et le recensement authentifié par décret dix ans auparavant (...) ". L'article R. 752-9 du code de commerce dispose en outre que : " Pour les projets nécessitant un permis de construire, la demande accompagnée du dossier est déposée conformément aux dispositions des articles R. 423-2 et suivants du code de l'urbanisme. Le dossier est transmis au secrétariat de la commission départementale dans les conditions prévues à l'article R. 423-13-2 du même code ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire déposée par la société Jucris comprenait des données démographiques relatives aux différents quartiers des communes composant la zone de chalandise, faisant apparaître l'évolution de la population de chacun de ces quartiers sur une période de dix ans courant jusqu'en 2012. Si la société Delmas soutient qu'il appartenait à la société pétitionnaire d'utiliser les données démographiques correspondant à l'année 2013, qui étaient disponibles à la date du dépôt de sa demande de permis de construire, elle n'apporte aucune précision quant à la teneur de ces nouvelles données et n'établit pas, ni même d'ailleurs n'allègue, que leur prise en compte aurait conduit à modifier sensiblement les tendances mises en lumière dans la demande de la société Jucris, ainsi que le confirme d'ailleurs la Commission nationale d'aménagement commercial dans le mémoire qu'elle a produit devant la cour. La requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que le dossier de demande de permis de construire de la pétitionnaire serait, sur ce point, entaché d'une omission qui aurait été de nature à influer sur le sens de l'avis émis par la Commission nationale.
8. En second lieu, en vertu du b) du 2° de l'article R. 752-6 du code de commerce, le dossier doit comporter, en ce qui concerne les informations relatives à la zone de chalandise et à l'environnement proche du projet, les éléments suivants : " Une carte ou un plan de l'environnement du projet, dans un périmètre d'un kilomètre autour de son site d'implantation, accompagné d'une description faisant apparaître, le cas échéant : / (...) - la localisation des équipements publics ; / (...). / Seront signalés, le cas échéant : les opérations d'urbanisme, les programmes de logement, les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les zones franches urbaines, les disponibilités foncières connues (...) ".
9. D'une part, la notice produite par la pétitionnaire à l'appui de sa demande de permis de construire mentionne, au titre des " équipements publics " de la zone de chalandise, le " camp de Terlincthun " qui est présenté comme un camp de " nomades " sédentarisés. Contrairement à ce que soutient la société Delmas, le dossier n'avait pas à mentionner la circonstance, au demeurant non établie, que les habitants de ce camp seraient à l'origine d'actes de malveillance. D'autre part, cette notice consacre plusieurs pages aux opérations d'urbanisme en cours dans le quartier du " chemin vert " où se situe le supermarché faisant l'objet de la demande. Contrairement à ce que fait valoir la société Delmas, au demeurant sans assortir ce moyen des précisions utiles pour en apprécier le bien-fondé, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce descriptif n'était pas à jour et que certaines informations utiles n'auraient pas été portées à la connaissance de la Commission.
Sur l'irrégularité du point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique organisé pour l'accès en automobile dénommé " drive " :
10. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de commerce : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : / (...) / 7° La création ou l'extension d'un point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l'accès en automobile. / Par dérogation au 7°, n'est pas soumise à autorisation d'exploitation commerciale la création d'un point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l'accès en automobile, intégré à un magasin de détail ouvert au public à la date de publication de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, et n'emportant pas la création d'une surface de plancher de plus de 20 mètres carrés (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier que la société Jucris a obtenu, le 1er décembre 2014, un permis de construire pour l'aménagement d'un " drive " ne comportant pas la création de surface de plancher. Ce point de retrait est intégré au supermarché de l'avenue Percier et Fontaine, qui était ouvert au public à la date de publication de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014. Dès lors, l'aménagement de ce point de retrait n'était pas soumis à autorisation d'exploitation commerciale, en application de la dérogation citée au point précédent. La société Delmas n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le permis de construire en litige autorise l'extension d'une surface commerciale irrégulièrement exploitée.
Sur le respect des critères de l'article L. 752-6 du code de commerce :
12. Aux termes du I de l'article L. 752-6 du code de commerce : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs (...) ".
13. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. L'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi.
14. La Commission nationale d'aménagement commercial s'est fondée, pour émettre un avis favorable au projet de la société Jucris, sur le fait que l'extension de la surface de vente de l'établissement, par un réaménagement des espaces intérieurs, n'entraîne pas d'imperméabilisation supplémentaire du site, que l'établissement se situe dans une zone d'habitat qui a bénéficié d'une rénovation soutenue par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, qu'il s'intègre dans son environnement et a d'ailleurs reçu un avis favorable de l'architecte des Bâtiments de France et qu'il vise à moderniser un équipement vieillissant pour améliorer le confort d'achat des consommateurs. La société Delmas prétend, quant à elle, que ce projet n'est pas conforme aux objectifs énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce, au vu de certains des critères d'évaluation mentionnés par cet article.
En ce qui concerne l'objectif d'aménagement du territoire :
15. Il ressort des pièces du dossier que le supermarché que la société Jucris souhaite agrandir se situe dans une zone urbaine sensible, dénommée le " chemin vert ", qui fait l'objet, depuis plusieurs années, d'un ambitieux programme de rénovation urbaine. Le projet de la société Jucris, qui consiste à agrandir et moderniser son établissement, apparaît en cohérence avec ce programme, comme l'ont d'ailleurs relevé les ministres chargés du commerce et de l'urbanisme dans leurs avis favorables émis dans le cadre de l'instruction de sa demande d'autorisation d'exploitation commerciale. Dans ces conditions, le fait qu'au sein de la zone de chalandise, le quartier dit de " Transition " ait vu sa population diminuer de moitié au cours des dix années précédant le projet, qui apparaît lié à cette opération de rénovation urbaine, n'est pas de nature à établir que le projet de la société Jucris serait contraire à l'objectif d'aménagement du territoire énoncé par la loi, compte tenu du lieu d'implantation de l'établissement existant.
En ce qui concerne l'objectif de développement durable :
16. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le projet de la société Jucris préserve les plantations existantes et prévoit la plantation de haies nouvelles autour de ses aires de stationnement. Il ne méconnaît donc pas les critères prévus aux a) et b) du 2° du I de l'article L. 752-6 du code de commerce, cité au point 12.
17. D'autre part, il ressort de la demande de la société Jucris que l'isolation du bâtiment sera, à l'issue des travaux, au moins conforme aux exigences de la réglementation en vigueur. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la pétitionnaire n'a pas prévu la " mise au normes RT 2012 du bâtiment existant " n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Le projet ne saurait donc être considéré comme contraire au critère de performance énergétique prévu par le a) du 2° du I de l'article L. 752-6 du code de commerce, cité au point 12.
En ce qui concerne l'objectif de protection des consommateurs :
18. En premier lieu, l'article L. 750-1 du code de commerce mentionne le " confort d'achat du consommateur " au nombre des objectifs auxquels doivent contribuer les extensions d'entreprises commerciales et artisanales. Ainsi, en énonçant, dans son avis favorable au projet de la société Jucris, que celui-ci " vise à moderniser un équipement commercial vieillissant, pour le confort d'achat des consommateurs ", la Commission nationale d'aménagement commercial ne s'est pas fondée sur un critère étranger à ceux qui doivent guider son appréciation.
19. En deuxième lieu, si le projet de la société Jucris comporte la suppression d'un petit nombre de places de stationnement, malgré l'augmentation de la surface de vente du magasin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le nombre des places restantes serait insuffisant, compte tenu notamment de la situation de l'établissement à proximité immédiate d'un quartier d'habitation et à son accessibilité par les transports en commun. Le projet ne saurait, dès lors, être regardé comme ne satisfaisant pas au critère de l'accessibilité prévu par le a) du 3° du I de l'article L. 752-6 du code de commerce, cité au point 12.
20. En troisième lieu, il n'est nullement établi qu'il existerait un risque d'accident lié à la desserte du supermarché par les camions de livraison. En tout état de cause, ce risque est étranger au projet de la société Jucris faisant l'objet du permis de construire en litige, qui porte sur une simple extension, au demeurant mesurée, du supermarché existant. Il est, dès lors, sans influence sur la légalité de ce permis.
21. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Jucris, que la société Delmas n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée.
Sur les frais liés au litige :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Jucris et de la commune de Boulogne-sur-Mer, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement à la société Delmas de la somme qu'elle demande sur ce fondement.
23. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Delmas le versement de la somme de 1 500 euros à la commune de Boulogne-sur-Mer et de la somme de 1 500 euros à la société Jucris sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Delmas est rejetée.
Article 2 : La société Delmas versera la somme de 1 500 euros à la commune de Boulogne-sur-Mer et la somme de 1 500 euros à la société Jucris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Delmas, à la commune de Boulogne-sur-Mer, à la société Jucris et à la Commission nationale d'aménagement commercial.
N°16DA01534 2