Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 juin et 6 décembre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne, représentée par Me Benoît de Berny, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Chauny à lui verser une somme de 108 436,94 euros au titre des débours définitifs, avec intérêt au taux légal à compter du 22 novembre 2018, avec capitalisation de ceux-ci et une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Chauny une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me Michel El Kaim, représentant le centre hospitalier de Chauny.
Une note en délibéré présentée pour le centre hospitalier de Chauny, a été enregistrée le 25 juin 2021 et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. M. I..., alors âgé de soixante-douze ans, admis le 27 juillet 2012 au centre hospitalier de Chauny pour y subir un bilan de la gonarthrose bilatérale des genoux dont il souffrait, s'est vu préconiser l'implantation d'une prothèse de genou. Il a subi une intervention chirurgicale le 1er octobre 2012 sur le genou droit alors que le formulaire de consentement éclairé signé par l'intéressé le 13 septembre 2012 portait sur le genou gauche. Une subluxation du plateau tibial et un écoulement infectieux apparus après cette intervention ont nécessité une reprise chirurgicale le 11 octobre 2012 dans une clinique privée pour l'ablation de la prothèse et mise en place d'une antibiothérapie en raison de la présence d'un staphylocoque epidermicis multirésistant. L'état de M. I... s'est dégradé et après avoir été admis en réanimation le 2 janvier 2015, il est décédé le 13 janvier 2015 à la suite d'une décompensation respiratoire et hépatorénale. Mme E... C... veuve I..., MM. Olivier, Michaël, Eric, David et Sébastien I... et Mme K... I... épouse F..., agissant en leur nom personnel et en leur qualité d'ayants droit de M. D... I... ont saisi le tribunal administratif d'Amiens d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Chauny, d'une part, à leur verser la somme de 48 227,60 euros en réparation des préjudices personnels subis par M. I... à la suite de sa prise en charge par le centre hospitalier de Chauny pour une arthroplastie du genou et, d'autre part, de condamner cet établissement à leur verser à chacun la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne relève appel du jugement du 23 mai 2019 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'après avoir condamné le centre hospitalier de Chauny à verser à la succession de M. D... I... la somme de 5 070 euros et à chacun de ses ayants droit une somme de 500 euros, il a limité à 31 163,21 euros le montant de l'indemnisation de ses débours mise à la charge du centre hospitalier de Chauny. Le centre hospitalier de Chauny demande, par la voie de l'appel incident, la réformation du même jugement en tant qu'il a mis à sa charge la somme de 31 163,21 euros au titre des débours exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne au profit de M. I... ainsi qu'une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Chauny :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. "
3. Le caractère nosocomial de l'infection contractée par M. I... lors de sa prise en charge médicale par le centre hospitalier de Chauny en l'absence de preuve apportée par celui-ci d'une cause étrangère de cette infection ou d'une autre origine que la prise en charge, n'est pas contesté. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne soutient toutefois que la faute commise par le centre hospitalier de Chauny quant à l'intervention sur le genou droit au lieu du genou gauche est de nature à engager son entière responsabilité quant à la survenue de l'infection nosocomiale et non à l'origine seulement d'une perte de chance d'éviter celle-ci à hauteur de 20 % comme le relève le rapport d'expertise.
4. Il ressort du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens que M. I... a été opéré le 1er octobre 2012 d'une gonarthrose du genou droit au lieu du genou gauche prévu initialement et que cette erreur de côté constitue un manquement caractérisé aux règles de l'art. Si cette erreur au niveau du genou opéré a seulement majoré le risque de survenue d'une complication infectieuse selon les dires de l'expert, elle est cependant à l'origine directe et exclusive de l'infection nosocomiale contractée par M. I.... Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne est fondée à soutenir que la responsabilité pleine et entière du centre hospitalier de Chauny doit être engagée, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges.
Sur les débours de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne :
5. Il ressort du rapport d'expertise que tous les soins consécutifs à l'infection postopératoire initiale qui ont eu lieu depuis l'intervention chirurgicale sur le genou droit jusqu'à la fin du premier semestre 2014 sont en lien direct et exclusif avec la pathologie et la survenue de l'infection nosocomiale. Par suite, au vu du relevé de débours définitifs et de l'attestation d'imputabilité produits et compte tenu des principes retenus au point 4 quant à la responsabilité du centre hospitalier de Chauny relative à la survenue de l'infection nosocomiale, il y a lieu d'allouer la somme de 95 438,49 euros au titre des frais d'hospitalisation pour la période du 30 septembre 2012 au 5 novembre 2012 et au titre des débours correspondant aux hospitalisations entre le 6 décembre 2012 et le 3 octobre 2013. Il y a également lieu de faire droit à la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de lui allouer les sommes de 3 157,81 euros au titre des frais de pharmacie qu'elle a exposés en 2013 et au premier semestre 2014 à raison de cette infection, de 6 898,26 euros au titre des frais médicaux supportés, de 2 168,52 euros au titre des transports médicalisés de M. I... imputables à l'infection contractée et de 773,86 euros au titre des frais d'appareillage exposés à raison de l'arthroplastie du genou droit, soit une somme totale de 108 436,94 euros.
6. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la somme de 31 163,21 euros que le centre hospitalier de Chauny a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne doit être portée à la somme totale de 108 436,94 euros correspondant aux débours exposés par la caisse en lien avec l'infection nosocomiale. Cette somme portera intérêts à compter du 22 novembre 2018, date de sa demande enregistrée devant les premiers juges. Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts, à compter du 22 novembre 2019, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
7. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. (...). A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour 2021 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 109 € et à 1 098 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2021. "
8. En application des dispositions précitées et compte tenu de la somme dont la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne a obtenu le remboursement, il y a lieu de porter la somme de 1 080 euros qui lui a été allouée par les premiers juges à 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité à 31 163,21 euros la somme mise à la charge du centre hospitalier de Chauny en remboursement de ses débours exposés pour son assuré M. I... et que les conclusions incidentes du centre hospitalier de Chauny doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Chauny le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier de Chauny doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 31 163,21 euros que le centre hospitalier de Chauny a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne est portée à la somme totale de 108 436,94 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 22 novembre 2018 et les intérêts échus à la date du 22 novembre 2019 seront capitalisés à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : La somme mise à la charge du centre hospitalier de Chauny au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée à la somme de 1 098 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier de Chauny versera à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement n° 1700887 du 23 mai 2019 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Les conclusions incidentes et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative du centre hospitalier de Chauny sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne, au centre hospitalier de Chauny, à Mme E... C... veuve I..., à M. H... I..., à M. G... I..., à M. A... I..., à M. B... I..., à M. J... I... et à Mme K... I... épouse F....
Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.
2
N°19DA01479