Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 juin 2020, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité congolaise née le 10 avril 1986, a sollicité le bénéfice de l'asile le 25 novembre 2019. La consultation du fichier Visabio a révélé qu'un visa valable jusqu'au 15 novembre 2019 lui avait été délivré le 26 septembre 2019 par les autorités belges lors de sa demande d'asile. Le préfet de la Seine-Maritime a, le 7 janvier 2020, saisi les autorités belges d'une demande de prise en charge, en application de l'article 12-4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a fait l'objet d'un accord exprès du 16 janvier 2020. Par un arrêté du 23 janvier 2020, le préfet de la Seine-Maritime a ordonné le transfert de Mme A... aux autorités belges. Le préfet relève appel du jugement du 28 mai 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président. "
3. Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :
4. Aux termes de l'article 32 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d'actes de torture, de viol ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l'Etat membre procédant au transfert transmet à l'Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L'Etat membre responsable s'assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis. / (...) ".
5. Aux termes de l'article 34 du même règlement, relatif au " Partage d'informations " : " (...) 9. Le demandeur a le droit de se faire communiquer, sur demande, les données traitées le concernant. / Si le demandeur constate que les données ont été traitées en violation du présent règlement ou de la directive 95/46/CE, notamment en raison de leur caractère incomplet ou inexact, il a le droit d'en obtenir la rectification ou l'effacement. / L'autorité qui effectue la rectification ou l'effacement des données en informe, selon le cas, l'Etat membre émetteur ou destinataire des informations. / Le demandeur a le droit de former un recours ou de déposer une plainte devant les autorités ou les juridictions compétentes de l'Etat membre qui lui a refusé le droit d'accès aux données le concernant ou le droit d'en obtenir la rectification ou l'effacement. / (...) ".
6. Pour annuler l'arrêté du 23 janvier 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a ordonné le transfert de Mme A... aux autorités belges, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a estimé que Mme A... établissait la réalité et la gravité de sa pathologie, qui existait au jour de l'adoption de la décision contestée et que cet élément était de nature à modifier l'éventuelle demande de prise en charge adressée par la France au regard de la possible mise en oeuvre de la faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale alors même que cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ledit présent règlement.
7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du résumé de l'entretien individuel réalisé le 25 novembre 2019, s'inscrivant dans le processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme A..., que celle-ci a déclaré qu'elle n'avait aucun problème de santé physique, psychique ou psychologique mais a seulement indiqué qu'elle était séropositive, qu'elle avait été traitée au Congo et qu'elle s' était " trouvée à court de médicaments ". Elle a ajouté qu'elle était traitée pour des douleurs et avait rendez-vous pour avoir les résultats de ses tests. Il ressort également des pièces du dossier que lors du même entretien, l'intéressée a été informée de ce qu'elle disposait d'un délai de huit jours pour apporter toutes observations quant à la mesure de transfert envisagé. Or, la requérante n'a produit aucun document médical relatif à son état de santé dans le délai qui lui était imparti. Si Mme A... se prévaut aujourd'hui d'un certificat médical du 3 décembre 2019 émanant d'un praticien hospitalier du service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Rouen, faisant état de ce qu'elle est traitée et suivie dans ce service pour une pathologie grave nécessitant un suivi médical dont l'interruption pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si elle produit également des ordonnances de prescription médicales, elle ne justifie cependant pas avoir, préalablement à l'arrêté du 23 janvier 2020 litigieux, transmis aux services de la préfecture des informations précises et circonstanciées établissant que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale.
8. En tout état de cause, il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que le préfet de la Seine-Maritime a tenu compte des problèmes de santé de Mme A... en relevant que celle-ci n'établissait pas sa pathologie, ni ne démontrait qu'elle faisait obstacle à son transfert vers la Belgique et qu'ainsi, sa situation ne relevait pas de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement. Le préfet de la Seine-Maritime a, ainsi, pris en compte l'état de santé de Mme A... au regard de la possible mise en oeuvre de la faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge. Il n'a, ainsi, pas entaché sa décision d'un défaut d'examen sérieux de la situation personnelle de Mme A....
9. Enfin, si cet arrêté ne mentionne pas que l'état de santé de l'intéressée ne nécessite pas une information particulière des autorités belges, il résulte des termes mêmes de l'article 32 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 précité, et notamment de son intitulé, que ses dispositions sont relatives aux modalités d'exécution d'une décision de transfert et que leur éventuelle méconnaissance doit être sanctionnée dans le cadre du recours prévu par le point 9 de l'article 34 du même règlement, auquel ces dispositions renvoient. Par suite, l'absence de transmission à l'Etat membre requis des données relatives à l'état de santé de la personne faisant l'objet du transfert est sans incidence sur la légalité de la décision de transfert.
10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté contesté pour ce motif et celui du défaut d'examen sérieux de la situation personnelle de Mme A... au regard des dispositions de l'article 17 du règlement précité.
11. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance et en appel par Mme A....
Sur la motivation de l'arrêté de transfert :
12. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
13. L'arrêté attaqué du 23 janvier 2020 vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, énonce que les autorités belges ont été saisies le 7 janvier 2020 d'une demande de prise en charge de Mme A... à la suite de la consultation du fichier Visabio et indique que les autorités belges, saisies en application de l'article 12-4 de ce règlement, ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 16 janvier 2020. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
Sur les autres moyens :
14. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel (...) ".
15. Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. "
16. Aux termes de l'article 20 de ce règlement : " (...) 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné. (...) ".
17. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu de l'entretien individuel mené le 25 novembre 2019, que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime avec l'assistance d'un interprète en langue lingala, selon des modalités permettant le respect de la confidentialité. En outre, l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien au sens des dispositions citées au point précédent, ainsi qu'il ressort des mentions en ce sens non contestées portées sur le compte-rendu de l'entretien. Par ailleurs, lors du dépôt de sa demande d'asile, le 25 novembre 2019, Mme A... a déclaré qu'elle comprenait la langue lingala et le français. Le préfet de la Seine-Maritime établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressée, lui avoir remis les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " et le guide du demandeur d'asile, en langue lingala, langue qu'elle a déclaré comprendre. En outre, lors de l'entretien individuel du 25 novembre 2019, dont, contrairement à ce qu'elle soutient, le compte-rendu, qu'elle a signé, lui a été remis, elle a été assistée d'un interprète en langue lingala et il a pu être vérifié qu'elle avait correctement compris les informations dont elle devait avoir connaissance, notamment le fait qu'elle s'était vu délivrer un visa par les autorités belges le 26 septembre 2019 valable du 10 octobre 2019 au 15 novembre 2019 et que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Elle a, enfin, disposé d'un délai raisonnable pour apprécier en toute connaissance de cause la portée de ces informations avant le 23 janvier 2020, date à laquelle le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités belges et de la possibilité de formuler des observations. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision de transfert aurait été prise en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
18. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile.
19. Comme cela a été dit au point 2, le préfet de la Seine-Maritime a procédé à un examen sérieux de l'ensemble de la situation de Mme A..., en particulier au regard de son état de santé et a relevé que celle-ci ne démontrait pas que sa pathologie faisait obstacle à son transfert vers la Belgique, qui dispose d'un système de santé développé. Il a recherché s'il y avait lieu de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 pour retenir la France comme Etat responsable de la demande d'asile de l'intéressée, qui est divorcée et sans attache familiale en France. Par suite, le préfet n'a ni méconnu les dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de cet article, ni celles des articles 4 et 3-1 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni entaché l'arrêté contesté d'une erreur manifeste d'appréciation.
20. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la demande de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté ordonnant son transfert aux autorités belges n'est pas fondée et doit être rejetée.
21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à demander l'annulation du jugement n° 2000894 du 28 mai 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen et que la demande de première instance de Mme A... doit être rejetée, ensemble ses conclusions d'appel à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Mme A... est admise, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le jugement n° 2000894 du 28 mai 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel sont rejetées.
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