Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 octobre 2019, le préfet du Nord, représenté par Me C... E..., demande à la cour d'annuler ce jugement.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Anne Khater, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... A..., ressortissant turc né le 2 octobre 1999, a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de l'arrêté du 26 août 2019 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 4 septembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, enjoint au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A... et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour.
Sur le moyen retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable (...). / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. (...) / (...) Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile. (...) / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention ". Aux termes de l'article L. 743-4 du même code : " (...) Lorsque l'étranger sollicitant l'enregistrement d'une demande d'asile a fait l'objet, préalablement à la présentation de sa demande, d'une mesure d'éloignement prise en application du livre V, celle-ci, qui n'est pas abrogée par la délivrance de l'attestation prévue à l'article L. 741-1, ne peut être mise à exécution avant la notification de la décision de l'office, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet, d'irrecevabilité ou de clôture, ou, si un recours est formé devant la Cour nationale du droit d'asile contre une décision de rejet, avant la notification de la décision de la cour ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " Lorsque l'étranger présente sa demande auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, la personne est orientée vers l'autorité compétente. Il en est de même lorsque l'étranger a introduit directement sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sans que sa demande ait été préalablement enregistrée par le préfet compétent. Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que les services de police doivent orienter l'étranger présentant une demande d'asile devant eux vers le préfet compétent et, sous réserve de certains cas, cette autorité est tenue d'enregistrer cette demande et de délivrer une attestation d'enregistrement de la demande d'asile. L'étranger dispose, dans ce cas, d'un droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait l'objet d'un contrôle de police à Loon-Plage (Nord), le 26 août 2019, alors qu'il était dissimulé dans la remorque d'un poids lourd en zone d'accès restreint. Au cours de son audition par les services de police qui ont procédé à son interpellation, il a d'abord indiqué, sur interrogation, n'avoir effectué aucune démarche en vue de l'obtention d'un titre de séjour et n'avoir effectué aucune demande d'asile dans un pays européen. Il a précisé vouloir se rendre en Grande-Bretagne. Ce n'est qu'après avoir été informé par les services de police de la possibilité d'une mesure d'éloignement prise à son encontre assortie d'un placement en rétention que M. A... a indiqué vouloir demander l'asile en France. Il n'a, cependant, présenté aucune demande d'asile dans les cinq premiers jours de son placement en rétention, bien que dûment informé de ce droit lors de son placement en rétention. Dans ces circonstances, la demande d'asile présentée par M. A... devant les services de police lors de son interpellation doit être regardée comme n'ayant eu d'autre objet que de faire obstacle à son éloignement.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur la méconnaissance du droit d'asile de M. A... pour annuler la décision attaquée. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés M. A... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :
En ce qui concerne le moyen commun aux différentes décisions :
7. Eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Par un arrêté du 5 juillet 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Nord le même jour, le préfet de ce département a donné à M. B... F..., adjoint au chef du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, délégation à l'effet de signer, notamment, les décisions attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. La décision portant obligation de quitter le territoire français comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde. Elle est, par suite, suffisamment motivée.
9. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet du Nord, qui n'était pas tenu de mentionner l'ensemble des éléments de fait relatifs à la situation de M. A..., n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de ce dernier avant de prendre la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de M. A... doit être écarté.
10. M. A... a été entendu par les services de police à la suite de son interpellation le 26 août 2019 et a été informé, préalablement à l'édiction de l'obligation de quitter le territoire français, de la possibilité qu'une telle mesure soit prise à son encontre, et invité à présenter ses observations sur ce point. Il a ainsi pu être entendu sur l'irrégularité de son séjour, la perspective de son éloignement et interrogé sur les éventuels éléments relatifs à sa situation personnelle qu'il souhaitait porter à la connaissance de l'autorité préfectorale. Il n'est par suite, pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé de son droit d'être entendu, conformément au principe général du droit de l'Union européenne énoncé notamment à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
11. Aux termes du premier paragraphe de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés : " Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ".
12. M. A... ne peut utilement se prévaloir du principe de non-refoulement énoncé par les stipulations précitées de la convention de Genève dès lors que l'obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de déterminer le pays à destination duquel il sera renvoyé et n'a pas non plus pour effet de le contraindre à retourner dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
13. Ainsi qu'il a été dit au point 5, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition de M. A... par les services de police le 26 août 2019, que celui-ci aurait utilement manifesté l'intention de demander l'asile en France ou qu'il aurait été empêché de le faire. L'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre n'a, dès lors, pas méconnu le droit constitutionnel de l'asile.
14. Il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
15. La décision fixant le pays de renvoi comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde, alors que le préfet du Nord ne disposait d'aucune déclaration de la part de M. A... sur les craintes exposées pour la première fois devant le premier juge en cas de retour en Turquie. Elle est, par suite, suffisamment motivée.
16. Il résulte de ce qui a été dit au point 14, que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi.
17. M. A... soutient qu'il est d'origine kurde, a refusé d'effectuer son service militaire en Turquie et craint des discriminations et représailles en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, l'intéressé n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses affirmations et les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir qu'il serait effectivement et personnellement exposé à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Turquie.
18. Il résulte de ce qui précède que la décision fixant le pays de renvoi n'est pas entachée d'illégalité.
En ce qui concerne la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
19. La décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde et est, par suite, suffisamment motivée.
20. Il résulte de ce qui a été dit au point 14, que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire.
21. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce (...) qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente (...) ".
22. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Par ailleurs, il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente. Par suite, le préfet du Nord a pu régulièrement se fonder sur le 3° du II de l'article L. 511-1 du code précité pour refuser d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire.
23. Il résulte de ce qui précède que la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire n'est pas entachée d'illégalité.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
24. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour ".
25. Le préfet du Nord n'était pas tenu de motiver spécifiquement le fait qu'il avait estimé que la situation de M. A... ne caractérisait pas l'existence de circonstances humanitaires pouvant justifier qu'il ne prononce pas d'interdiction de retour. Ainsi le moyen tiré du défaut de motivation, tel qu'il est formulé, doit être écarté.
26. Aux termes de l'article 42 - Droit à l'information - du règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) : " 1. Les ressortissants de pays tiers qui font l'objet d'un signalement introduit en vertu du présent règlement sont informés conformément aux articles 10 et 11 de la directive 95/46/CE. Cette information est fournie par écrit, avec une copie de la décision nationale, visée à l'article 24, paragraphe 1, qui est à l'origine du signalement, ou une référence à ladite décision. / (...) ".
27. La circonstance que l'intéressé n'aurait pas bénéficié de l'information prévue par ces dispositions est en tout état de cause sans incidence sur la légalité de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pendant un an dès lors que, selon ces dispositions, cette information n'intervient que postérieurement à l'édiction de l'arrêté en litige.
28. La décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an n'est pas prise sur le fondement de la décision refusant d'octroyer à M. A... un délai de départ volontaire et elle n'est pas prise pour son application. Par suite, M. A... ne peut utilement exciper de l'illégalité de cette seconde décision à l'encontre de la première. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 23, la décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire n'est pas entachée d'illégalité.
29. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 14, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par voie de conséquence, M. A... ne peut valablement exciper, à l'encontre de la décision d'interdiction de retour pendant un an, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
30. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
31. Au regard d'une part, de la très faible durée de présence en France de M. A... et de son absence totale de lien avec la France, éléments plaidant pour une interdiction de retour, et, d'autre part, de ce que l'intéressé ne constitue pas une menace pour l'ordre public et n'a pas déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement, éléments plaidant pour la limitation de cette interdiction à une durée de seulement une année et non de trois ans, en prenant une décision d'interdiction d'un an, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
32. Il résulte de ce qui précède que la décision d'interdiction sur le territoire français n'est pas entachée d'illégalité.
33. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 26 août 2019.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1907331 du 4 septembre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A....
Copie en sera transmise au préfet du Nord.
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N°19DA02275