Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 janvier 2020, Mme A..., représentée par Me E... B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en indemnisation du préjudice moral résultant du décès de M. C... D... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D..., détenu à la maison d'arrêt de Valenciennes depuis le 7 avril 2014, s'est donné la mort le 28 avril 2014. Mme F... A..., sa mère, interjette appel du jugement du 31 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en indemnisation du préjudice moral résultant du décès de son fils.
2. La responsabilité de l'Etat en cas de préjudice matériel ou moral résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée pour faute des services pénitentiaires en raison notamment d'un défaut de surveillance ou de vigilance. Une telle faute ne peut toutefois être retenue qu'à la condition qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas pris, compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide.
3. Le 28 avril 2014, M. C... D... s'est pendu avec un drap de couchage accroché à l'armature séparant les toilettes du reste de la cellule. Sa mère, Mme A..., fait valoir que les risques suicidaires de son fils étaient connus de l'administration pénitentiaire et qu'il y a eu des défauts dans la surveillance de celui-ci. Toutefois, il résulte de l'instruction, d'une part, que dès le lendemain de son incarcération, le 8 avril 2014 à la maison d'arrêt de Valenciennes, M. D... a été reçu une première fois pour un entretien par les agents de l'administration pénitentiaire à l'occasion duquel il n'a fait état d'aucune idée suicidaire et a exprimé son souhait de bénéficier de soins et d'un poste de travail. Puis, il a été reçu à deux reprises les 8 et 15 avril 2014 par une conseillère d'insertion et de probation. Si au cours du dernier entretien, M. D... a présenté une demande de rendez-vous avec un psychologue motivée par la rupture avec sa compagne, dont celle-ci lui avait fait part, par courrier, peu de temps après son incarcération, ni le compte-rendu de cet entretien, ni celui du précédent ne font état d'un éventuel risque suicidaire alors que, par ailleurs, le 10 avril 2014, la commission pluridisciplinaire avait examiné sa demande de remise à niveau scolaire et de pratique d'une activité sportive. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que les proches de M. D... auraient décelé des signes laissant supposer un tel acte, ni qu'ils auraient alerté les membres du personnel pénitentiaire quant au risque que ce dernier mette fin à ses jours. Il ne peut ainsi être déduit de la teneur des lettres échangées entre la compagne de M. D... et lui-même que ce dernier faisait état d'un mal être psychologique et qu'elle s'en inquiétait, sa compagne ayant elle-même précisé, lors de sa déposition en date du 3 juin 2014, qu'il n'avait jamais démontré de tendances suicidaires. En outre, la requérante, lors de sa déposition en date du 10 avril 2015, a déclaré qu'elle n'avait jamais imaginé que son fils puisse agir de la sorte.
4. D'autre part, si la requérante soutient que ce n'est pas l'incarcération en tant que telle qui a conduit son fils à mettre fin à ses jours mais l'audience correctionnelle du 28 avril 2014, à l'issue de laquelle il a été condamné à une peine de douze mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve, il résulte de l'instruction que rien dans son comportement ne pouvait laisser prévoir un suicide. Si M. D... s'est donné la mort dans sa cellule dans la nuit qui a suivi sa condamnation, la requérante ne peut utilement soutenir, pour établir la responsabilité pour faute des services pénitentiaires, qu'il appartenait aux services de police qui encadraient son fils lors de l'audience de signaler au personnel de la maison d'arrêt le déroulé de l'audience, au cours de laquelle, selon elle, l'état d'esprit de son fils aurait basculé vers un état suicidaire. En effet, si au cours de l'audience, sa compagne a réitéré sa volonté de mettre un terme à leur relation, il ne pouvait en être déduit un passage à l'acte imminent. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, le jour de son suicide le 28 avril 2014, son co-détenu n'a pas constaté un comportement anormal ou suicidaire de l'intéressé. Par suite, aucune faute de surveillance ou de vigilance ne peut être retenue à l'encontre de l'administration pénitentiaire.
5. Enfin, il ne peut être reproché à l'administration pénitentiaire d'avoir laissé dans la cellule de M. D... le paquetage habituel du détenu, comprenant notamment les draps de couchage dont l'intéressé s'est servi pour mettre fin à ses jours, dès lors qu'il résulte des énonciations des points 3 et 4 du présent arrêt qu'aucun risque suicidaire n'avait été identifié le concernant.
6. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'en l'absence d'élément ou de signes avant-coureurs connus du personnel pénitentiaire sur la possibilité d'un tel passage à l'acte, l'acte suicidaire de M. D... présentait un caractère imprévisible. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration pénitentiaire aurait commis des fautes, d'une part, en n'ayant pas su évaluer et prévenir le risque suicidaire de M. D... et, d'autre part, en ayant laissé à la disposition de M. D... les draps compris dans le paquetage habituel délivré à chaque détenu.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande Mme A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à Me E... B....
N°20DA00003 2