Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mars 2018, le préfet du Nord demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 12 janvier 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E...devant le tribunal administratif de Lille.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeE..., de nationalité marocaine, née le 30 décembre 1996, entrée irrégulièrement en France, a le 23 octobre 2017 demandé l'asile auprès du préfet du Nord. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que les empreintes digitales de l'intéressée avaient été enregistrées en Hongrie, en Autriche et en Allemagne. Le préfet du Nord a saisi les autorités hongroises, autrichiennes et allemandes d'une demande de reprise en charge, en application de l'article 18.1. b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités autrichiennes ont donné un accord exprès le 31 octobre 2017. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 12 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 3 janvier 2018 ordonnant le transfert de Mme E...aux autorités autrichiennes et son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
2. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. (...) ". Aux termes de l'article 7 de ce règlement : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 26 du même règlement : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable (...) ". Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ". Pour être suffisamment motivée, afin de mettre l'intéressé à même de critiquer, notamment, l'application du critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande et, ainsi, d'exercer le droit à un recours effectif garanti par les dispositions de l'article 27 du règlement du 26 juin 2013, éclairées par son considérant 19, la décision de transfert doit permettre d'identifier le critère de responsabilité retenu par l'autorité administrative parmi ceux énoncés au chapitre III ou, à défaut, au paragraphe 2 de l'article 3 du règlement et, le cas échéant, faire apparaître les éléments pris en considération par l'administration pour appliquer l'ordre de priorité établi entre ces critères, en vertu des articles 7 et 3 du même règlement.
4. L'arrêté du 3 janvier 2018 en litige vise notamment l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, après avoir précisé les circonstances de l'entrée et du séjour irréguliers de Mme E...sur le territoire français. Il énonce que la consultation du système Eurodac a révélé que les empreintes digitales de l'intéressée avaient été enregistrées en Hongrie le 14 février 2017 sous le n° HU 1 330024543095, puis le 22 février 2017 en Autriche sous le n° AT 1 29070751-10865745 et le 26 mars 2017 en Allemagne sous le n° DE 1 70327XXX00874 et que les autorités autrichiennes et allemandes ont été saisies le 26 octobre 2017 puis les autorités hongroises le 21 novembre 2017 d'une demande de reprise en charge, en application de l'article 18.1 b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. L'arrêté contesté précise également que les autorités hongroises et allemandes ont refusé la reprise en charge de l'intéressée et que les autorités autrichiennes ont fait connaître leur accord explicite le 31 octobre 2017. Ces motifs permettent d'identifier le critère prévu par le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dont le préfet du Nord a entendu faire application pour désigner l'Autriche comme le pays vers lequel Mme E...pourra être transférée. Par suite, les motifs figurant dans l'arrêté contesté sont suffisamment précis pour permettre à l'intéressée de bénéficier du recours effectif visé au paragraphe 1 de l'article 27 du règlement, et comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision de transfert en litige. Elle est ainsi suffisamment motivée. Par suite, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé, pour ce motif, la décision en litige.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E...devant le tribunal administratif de Lille et la cour.
Sur le moyen commun aux décisions attaquées :
6. Par un arrêté du 14 décembre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Nord n° 282 du 18 décembre 2017, le préfet du Nord a donné délégation à Mme C...F..., attachée principale d'administration de l'Etat, cheffe du bureau de l'asile, à l'effet de signer notamment les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées doit être écarté comme manquant en fait.
Sur la légalité de la décision de transfert aux autorités autrichiennes :
7. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel (...) ". Aux termes de l'article 20 de ce règlement : " (...) 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné (...). 3. Aux fins du présent règlement, la situation du mineur qui accompagne le demandeur et répond à la définition de membre de la famille est indissociable de celle du membre de sa famille et relève de la responsabilité de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale dudit membre de la famille, même si le mineur n'est pas à titre individuel un demandeur, à condition que ce soit dans l'intérêt supérieur du mineur. (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".
8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. La délivrance par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d'asile une garantie, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l'omission ou de l'insuffisance d'une telle information à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission au séjour ou une décision de remise, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision.
9. Il ressort des pièces du dossier, que, lors du dépôt de sa demande d'asile, le 23 octobre 2017, Mme E...a déclaré qu'elle comprenait la langue arabe. Le préfet du Nord justifie que l'intéressée s'est vu remettre par les services de la préfecture les brochures prévues par les dispositions précitées en langue arabe, langue qu'elle a déclaré comprendre. En outre, l'intéressée a, ainsi que cela ressort de la fiche d'entretien produite par le préfet du Nord, bénéficié d'un entretien individuel le 23 octobre 2017 dans des conditions garantissant la confidentialité. Cet entretien s'est déroulé en langue arabe avec l'assistance d'un interprète et à l'occasion duquel il a pu être vérifié qu'elle avait correctement compris les informations dont elle devait avoir connaissance, notamment le fait que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Hongrie, puis en Autriche et en Allemagne et que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Elle a, en outre, disposé d'un délai raisonnable pour apprécier en toute connaissance de cause la portée de ces informations avant le 3 janvier 2018, date à laquelle le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, et de la possibilité de formuler des observations. Dans ces conditions, Mme E...n'est pas fondée à soutenir que les dispositions des articles 4 et 5 du règlement précité auraient été méconnues.
10. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 26 du règlement précité : " Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ". Le paragraphe 1 de l'article 27 de ce règlement prévoit, pour sa part, que le demandeur " dispose d'un droit de recours effectif, sous la forme d'un recours contre la décision de transfert ou d'une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction ". Il résulte de ces dispositions que pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis.
11. Il ressort des pièces du dossier que la demande de reprise en charge de Mme E... a été effectuée auprès des autorités autrichiennes le 26 octobre 2017 et que le préfet du Nord justifie que celles-ci ont expressément accepté cette demande le 31 octobre 2017, soit avant que la décision de transfert ait été édictée et notifiée. Par suite, la décision de transfert ne méconnaît pas les dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013.
12. En application des dispositions de l'article 20.3 du règlement susvisé, la situation du mineur qui accompagne le demandeur et répond à la définition de membre de la famille est indissociable de celle du membre de sa famille et relève de la responsabilité de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile de MmeE.... Par suite, la décision d'acceptation de reprise en charge de l'intéressée par les autorités autrichiennes, dont le préfet justifie par le formulaire complété de reprise en charge et celui relatif à la prise en charge médicale de l'intéressée produits qu'elles ont été informées de ce que Mme E...était enceinte de huit mois à la date de leur saisine, concerne également l'enfant mineur de cette dernière. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, en tout état de cause, être écarté.
13. Les dispositions de l'article 31 du règlement (UE) n° 604/2013 sont relatives à l'échange d'informations pertinentes avant l'exécution d'un transfert. De telles dispositions, qui concernent l'exécution de la mesure, sont sans incidence sur la légalité de la décision de transfert.
14. MmeE..., mère d'un enfant mineur, est mariée avec un compatriote faisant également l'objet d'une mesure de remise aux autorités autrichiennes prise par le préfet du Nord le même jour que la sienne. Le couple ne dispose d'aucun lien effectif, stable et ancien en France. La décision contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de séparer l'enfant des ses parents. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour de MmeE..., la décision du 3 janvier 2018 n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
Sur l'assignation à résidence :
15. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que Mme E...n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de transfert aux autorités autrichiennes à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision ordonnant son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours prise à son encontre.
16. Si Mme E...fait valoir qu'elle dispose d'un hébergement dans un hôtel à Roubaix, elle n'établit pas en avoir informé le préfet lors de son entretien individuel. Il ressort des pièces du dossier que le préfet du Nord s'est fondé pour assigner à résidence l'intéressée sur l'adresse de domiciliation indiquée par Mme E...à l'appui de sa demande d'asile auprès de l'association " AIR " à Lille, qui est une domiciliation postale, sans lui imposer d'astreinte à domicile. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en litige. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions présentées par Mme E...sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800095 du 12 janvier 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E...devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... E... et à Me D...A....
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
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N°18DA00563