Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 22 février 2019, le 4 janvier et le 11 janvier 2021, la société Buromatic 59, représentée par Me D... F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Bruay-sur-Escaut a rejeté sa demande préalable d'indemnisation ;
3°) de condamner la commune de Bruay-sur-Escaut à lui verser la somme de 376 602,21 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2015 et capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Bruay-sur-Escaut la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;
- et les observations Me C... E... pour la société Buromatic 59 et de Me G... A... B... pour la commune de Bruay-sur-Escaut.
Considérant ce qui suit :
1. La société Buromatic 59 a conclu avec la commune de Bruay-sur-Escaut deux contrats de fourniture de photocopieurs respectivement le 22 novembre 2012 et le 21 mars 2013. La commune a résilié ces contrats le 27 juillet 2015 avec effet au 31 juillet suivant, pour un motif d'intérêt général tiré de l'absence de publicité et de mise en concurrence, lors de la procédure de passation. La société Buromatic 59 a adressé, le 25 septembre 2015 à la commune de Bruay-sur-Escaut une demande préalable d'indemnisation du préjudice résultant de cette résiliation. Faute de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Lille de conclusions indemnitaires. Elle relève appel du jugement du 18 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
2. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. Dans le cas particulier d'un contrat entaché d'une irrégularité d'une gravité telle que, s'il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge.
3. Pour déterminer si le juge du contrat, saisi d'une action en contestation de validité, aurait prononcé la résiliation, la personne publique doit, après avoir vérifié que les irrégularités qu'il relève, sont de celles qui, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, pourraient être invoquées devant le juge du contrat, apprécier l'importance et les conséquences des irrégularités. Après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, elle peut soit décider, sous réserve de mesures de régularisation prises par elle ou convenues entre les parties que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat.
4. Lorsque la personne publique a résilié un contrat pour irrégularité en application des principes déterminés ci-dessus, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice.
Sur l'engagement de la responsabilité :
En ce qui concerne la résiliation du contrat conclu le 22 novembre 2012 :
5. Aux termes de l'article 40 du code des marchés publics dans sa version applicable : " I. - En dehors des exceptions prévues aux II et III de l'article 28 ainsi qu'au II de l'article 35, tout marché ou accord-cadre d'un montant égal ou supérieur à 15 000 euros HT est précédé d'une publicité, dans les conditions définies ci-après. / II. - Pour les achats de fournitures, de services et de travaux d'un montant compris entre 15 000 euros HT et 90 000 euros HT, ainsi que pour les achats de services relevant du I de l'article 30 d'un montant égal ou supérieur à 15 000 euros HT, le pouvoir adjudicateur choisit librement les modalités de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du marché, notamment le montant et la nature des travaux, des fournitures ou des services en cause. ".
6. Il résulte en l'espèce de l'instruction que la commune de Bruay-sur-Escaut a rédigé un cahier des clauses administratives particulières et un cahier des clauses techniques particulières pour " la location et la maintenance d'équipements bureautiques : photocopieurs multifonctions numériques et solution d'administration de la plateforme ". Ces documents mentionnaient comme date limite de remise des offres le 19 octobre 2012. La société Buromatic 59 a été destinataire de ces documents comme en atteste leur signature par ses soins. Si elle soutient qu'elle a répondu à cette consultation, la seule production pour la première fois en appel d'un mémoire technique et d'un bordereau de prix ne suffit pas à le démontrer et a fortiori ne permet nullement d'établir qu'une offre faite sur la base de ces documents a été retenue par la commune. Au contraire, le contrat conclu le 29 novembre 2012 entre la société Buromatic 59 et la commune de Bruay-sur-Escaut pour la location de seize photocopieurs et leur maintenance l'a été par la seule signature d'un bon de commande à entête de la société. Ce bon de commande renvoyait aux conditions générales de vente et de maintenance de la société Buromatic 59 pour définir les conditions applicables à ces contrats et non aux cahiers des clauses administratives et techniques particulières précitées. Cette commande représentait un montant total de 74 850,09 euros hors taxes pour un engagement de vingt-et-un trimestres.
7. Il résulte donc de ces éléments que le contrat du 29 novembre 2012 a été conclu sans formalité de publicité et de mise en concurrence préalable, à des conditions contractuelles définies par la société qui en a été bénéficiaire, et non selon la procédure de passation de commande publique et les conditions définies par la commune. Il n'est pas justifié que le contrat conclu le 29 novembre 2012 ait été précédé d'une publicité et d'une mise en concurrence aux conditions auxquelles il a été conclu. Un tel manquement ne pouvait pas être régularisé. Par suite, compte tenu de sa gravité et des circonstances particulières, rappelées précédemment, dans lesquels il a été commis, la résiliation du contrat était justifiée. Il n'est pas établi, compte tenu de l'objet du contrat en cause qu'une telle résiliation portait une atteinte excessive à l'intérêt général.
En ce qui concerne la résiliation du contrat conclu le 21 mars 2013 :
8. D'une part, l'article 26 du code des marchés publics dans sa version applicable imposait le recours à une procédure formalisée pour les marchés publics de fournitures et de services des collectivités territoriales supérieurs à 200 000 euros hors taxes. D'autre part, aux termes du 2° du III de l'article 40 du même code : " Lorsque le montant estimé du besoin est égal ou supérieur aux seuils de procédure formalisée définis à l'article 26, le pouvoir adjudicateur est tenu de publier un avis d'appel public à la concurrence dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne, ainsi que sur son profil d'acheteur. Cet avis est établi conformément au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d'avis en matière de marchés publics (...) ".
9. Il n'est pas sérieusement contesté que le contrat conclu le 21 mars 2013 était d'un montant total de 203 089,53 euros hors taxes, sans même prendre en compte la maintenance de chaque copieur. Or ce contrat a été conclu sans aucune publicité, ni mise en concurrence. Ces manquements ont permis à la société Buromatic 59, déjà titulaire d'un contrat dans la même collectivité, d'imposer ses propres conditions contractuelles et prix. Compte tenu de la gravité du manquement et des circonstances dans lesquelles il est advenu, la résiliation de ce contrat était donc justifiée, en application des principes rappelés au point 2.
Sur l'indemnisation de la société Buromatic 59 :
10. Par suite, compte tenu de la résiliation des deux contrats, la société Buromatic 59 ne peut se prévaloir des conditions générales de vente annexées aux deux contrats. Elle n'est donc pas fondée à demander le paiement des sommes prévues par ces conditions générales de vente tant en terme d'indemnité de résiliation de 10 % du contrat, qu'en terme, le cas échéant, de loyers restant dus.
11. La société Buromatic 59 demande à être indemnisée de son manque à gagner qu'elle évalue à 85 915,6 euros hors taxes, de l'amortissement du matériel pour une somme de 116 051,16 euros, du coût de reprise des anciens contrats chiffré à 49 474,56 euros hors taxes, du coût de retrait des matériels pour un montant de 5 800 euros hors taxes, des échéances des prêts de location du matériel qu'elle évalue à la somme de 9 670 euros hors taxes ainsi que de préjudices divers résultant de frais de formation des personnels chargés de suivre les appareils mis à disposition pour une somme de 40 000 euros.
12. Dans le cas où le contrat en cause est un marché public, les frais financiers engagés par le co-contractant de l'administration pour assurer l'exécution de ce contrat résilié ne peuvent être regardés comme des dépenses utiles à la collectivité, telles que mentionnées au point 4, dont l'intéressé peut demander le remboursement sur un terrain quasi-contractuel. Ne peuvent pas plus être regardés comme des dépenses utiles à la collectivité le manque à gagner, l'amortissement du matériel, les coûts de reprise des anciens contrats, de retrait des matériels, les échéances des prêts de location de ce matériel et les frais de formation des personnels de la société Buromatic 59.
13. La société Buromatic 59 se prévaut également d'une faute de la commune, qui ne pouvait méconnaître les règles de la commande publique et réclame à ce titre l'indemnisation de ses préjudices sur un fondement quasi-délictuel. Toutefois les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence commis par la collectivité ayant eu une incidence déterminante sur l'attribution du marché au titulaire, le lien entre la faute de l'administration et les chefs de préjudice énumérés au point 11 ne peut être regardé comme direct. Au surplus, s'agissant du coût de reprise des anciens contrats, la réalité de ce préjudice n'est pas établie par la production de courriers d'une banque adressant une proposition de cession des anciens contrats. S'agissant du coût de retrait des matériels, il aurait dû, de toute façon, être exposé à l'échéance normale des contrats sans qu'il soit établi que la résiliation aurait généré un coût supplémentaire. Il n'est pas plus établi que la formation de ses employés à la manipulation du type de matériel en cause n'est lié qu'à celui utilisé par la commune.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Buromatic 59 ne justifie pas d'un droit à un remboursement de dépenses ou à indemnisation à la suite de la résiliation pour un motif d'intérêt général des contrats qui avaient été irrégulièrement conclus avec la commune de Bruay-sur-Escaut. Elle n'est donc pas fondée à se plaindre que le tribunal administratif de Lille ait rejeté sa demande. Par suite, sa requête ne peut qu'être rejetée sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société Buromatic 59 la somme de 2 000 euros à verser à la commune de Bruay-sur-Escaut au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Buromatic 59 est rejetée.
Article 2 : La société Buromatic 59 versera, à la commune de Bruay-sur-Escaut, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me F... pour la société Buromatic 59 et à Me A... B... pour la commune de Bruay-sur-Escaut.
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N°19DA00456
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