Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2019, M. F..., représenté par Me B... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 septembre 2019 du préfet de la Seine-Maritime ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de sept jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... A..., présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... s'est présenté les 11 et 12 juin 2019, auprès des services de la préfecture de police de Paris afin de déposer une demande d'asile. La consultation du fichier Eurodac permettant d'établir que M. F... avait été précédemment identifié en tant que demandeur d'asile par les autorités autrichiennes le 18 avril 2019, le préfet de la Seine-Maritime a, par un arrêté du 19 septembre 2019, ordonné son transfert vers l'Autriche. M. F... relève appel du jugement du 21 octobre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de la Seine-Maritime :
2. La circonstance, invoquée par le préfet de la Seine-Maritime, que M. F... a été transféré en Autriche le 7 février 2020 et que l'arrêté contesté a ainsi été exécuté ne rend pas, par elle-même, sans objet les conclusions de la requête de M. F... tendant à son annulation pour excès de pouvoir, dès lors que cet acte n'est pas sorti de l'ordonnancement juridique et a emporté des effets sur l'intéressé. Il suit de là que l'exception de non-lieu opposée par le préfet de la Seine-Maritime doit être écartée.
Sur la régularité du jugement :
3. Il ressort des pièces du dossier qu'une note en délibéré a été produite par M. F... et enregistrée au greffe du tribunal le 18 octobre 2019, après l'audience qui s'est tenue le 10 octobre 2019 et avant la lecture du jugement, le 21 octobre 2019. Cette note en délibéré n'est pas visée par le jugement contesté et il ne ressort pas plus des pièces du dossier que le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen en aurait pris connaissance. Le jugement attaqué est ainsi entaché d'irrégularité. Par suite, M. F... est fondé à en demander l'annulation.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur la légalité de la décision de transfert aux autorités autrichiennes :
5. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Il résulte de ces dispositions que la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
6. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre. Une telle motivation doit permettre d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application, c'est-à-dire, pour un transfert en vue d'une première prise en charge, l'un des critères du chapitre III du règlement du 26 juin 2013 et, pour un transfert en vue d'une reprise en charge, l'un des critères du b) c) ou d) de l'article 18 dudit règlement.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué vise le règlement du 26 juin 2013. Il énonce que les contrôles effectués en application des dispositions de l'article 9 du règlement n° 603/2013 ont révélé que M. F... avait été précédemment identifié en tant que demandeur d'asile par les autorités autrichiennes le 18 avril 2019. L'arrêté précise aussi que ces autorités ont été saisies sur le fondement du paragraphe 1, b) de l'article 18 du règlement n°604/2013. Il indique enfin que l'Autriche a, le 14 juin 2019, explicitement accepté de le reprendre en charge sur le fondement de cette même disposition et doit être regardée comme responsable de l'examen de sa demande d'asile. Dès lors, cet arrêté énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. F... s'est vu remettre les 11 et 12 juin 2019, un exemplaire du guide du demandeur d'asile, ainsi que deux brochures d'information sur le règlement n° 604/2013, en langue pachto qu'il comprend. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait et ne peut qu'être écarté.
11. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. ". Aux termes de l'article 35 du même règlement : " 1. Chaque État membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. Les Etats membres veillent à ce qu'elles disposent des ressources nécessaires pour l'accomplissement de leur mission et, notamment, pour répondre dans les délais prévus aux demandes d'informations, ainsi qu'aux requêtes aux fins de prise en charge et de reprise en charge des demandeurs. / (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / (...) / 4. Lorsqu'une autorité est désignée (...), les États membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive. / (...) ".
12. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. F..., contrairement à ce qu'il soutient, a bénéficié, le 12 juin 2019, de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées, avec l'aide d'un interprète en langue pachto qu'il a déclaré comprendre. Si M. F... soutient que l'agent de la préfecture ayant mené cet entretien n'était pas qualifié, il n'apporte cependant aucun élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point. Dans ces conditions, il n'est pas établi que cet agent n'aurait pas été mandaté à cet effet par le préfet de la Seine-Maritime après avoir bénéficié d'une formation appropriée, et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions précitées du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il résulte d'ailleurs de l'analyse de la teneur du compte rendu de cet entretien qu'il y a eu un véritable échange entre l'agent de la préfecture et le requérant, que ce dernier a été interrogé et a pu s'exprimer sur les aspects pertinents de sa situation de demandeur d'asile, notamment en indiquant sa situation administrative et familiale, ainsi que l'itinéraire qu'il a suivi pour arriver en France. Si M. F... soutient que l'information concernant sa nationalité n'a pas été reprise, il ressort du compte rendu de l'entretien individuel qu'il a signé, qu'il y certifie que les renseignements le concernant étaient exacts. Par ailleurs, il n'a à aucun moment, indiqué être de nationalité afghane, alors même qu'il a été mis en mesure de présenter des observations complémentaires et il a indiqué n'avoir rien de plus à déclarer. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 5 et 35 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
13. D'autre part, M. F... soutient qu'aucune disposition nationale ne précise que l'entretien individuel est mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " disposant " des connaissances appropriées " ou ayant reçu la " formation nécessaire pour remplir ses obligations ". Toutefois, les articles 5 et 35 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 citées au point 11 comportent des dispositions identiques qui sont directement applicables en droit interne. Par suite, le moyen doit, en tout état de cause, être écarté.
14. Il ressort des pièces versées au dossier en première instance par le préfet de la Seine-Maritime, et en particulier de l'accusé de réception électronique daté du 13 juin 2019 concernant la demande de reprise en charge de M. F..., qui comporte le numéro de référence de son dossier " DubliNet ", du formulaire de demande de reprise en charge désignant l'Autriche en tant qu'Etat requis et de la lettre du 14 juin 2019, par laquelle les autorités autrichiennes ont expressément indiqué accepter cette reprise en charge, que la saisine des autorités autrichiennes par les autorités françaises, ainsi que l'existence d'un accord explicite donné par ces dernières, sont établies.
15. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
16. La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile
17. M. F... soutient que le préfet aurait dû user de la clause discrétionnaire, prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 dès lors que les autorités autrichiennes, qui ont accepté de le reprendre en charge, auraient rejeté sa demande d'asile, et qu'il craint pour sa sécurité en cas de retour en Afghanistan au regard de la situation qui y prévaut, en particulier au sein de la ville de Kaboul, où régnerait une violence aveugle d'intensité exceptionnelle résultant d'une situation de conflit armé. Toutefois, le requérant ne verse au dossier aucun élément tendant à établir qu'il aurait fait l'objet en Autriche d'une décision d'éloignement vers l'Afghanistan dont l'exécution serait inévitable. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que les autorités autrichiennes ont accepté la reprise en charge de l'intéressé sur le fondement du b) du paragraphe premier de l'article 18 du règlement n° 604/2013, qui concerne la reprise en charge lorsque la demande est en cours d'examen. Il pourra faire valoir devant ces autorités les éléments justifiant, selon lui, de sa nationalité afghane et des risques qu'il allègue encourir en cas de retour dans ce pays. Au demeurant, l'intéressé n'établit pas sa nationalité afghane par la seule pièce qu'il verse au dossier au soutien de ses allégations et qui n'est pas traduite. Par ailleurs, il ne justifie pas d'une vie privée et familiale stable en France, ni de l'impossibilité de retourner en Autriche. Dans ces conditions, en n'ayant pas fait usage de la clause discrétionnaire que lui offre l'article 17 du règlement n° 604/2013, le préfet n'a entaché la décision de transfert attaquée ni d'un défaut d'examen de la situation du requérant, ni d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, ces moyens ne pourront qu'être écartés.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 19 septembre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé de son transfert vers l'Autriche, Etat responsable de sa demande d'asile. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 21 octobre 2019 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande M. F... et le surplus des conclusions qu'il présente devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., au ministre de l'intérieur et à Me B... D....
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Seine-Maritime.
N°19DA02554 7