Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 février 2019, M. B... E..., représenté par Me F... G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et notamment son article 41 modifié ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;
- et les observations de Me C... A... substituant Me G... pour M. E... et de Me D... H... pour la société Trémois.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 23 décembre 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le ministre des affaires sociales et le secrétaire d'Etat au budget ont complété la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité en y inscrivant le site de la société Trémois, sis 132, rue Kennedy à Saint-Quentin dans l'Aisne, pour la période de 1960 à 1996. Saisi par la société Trémois, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette modification par jugement du 11 décembre 2018. M. E..., ancien salarié de la société Trémois du 14 décembre 1976 au 30 septembre 2012, bénéficiaire de l'allocation de cessation anticipée depuis le 1er avril 2016 et qui était intervenu en première instance, relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de l'appel de la ministre du travail :
2. Si la ministre du travail soutient qu'elle vient au soutien des conclusions de M. E..., ses écritures ne le mentionnent pas et concluent clairement et directement à l'annulation du jugement du 11 décembre 2018. Au surplus, une partie qui a qualité pour faire appel n'est pas recevable à présenter une intervention. De telles conclusions à fin d'annulation, qui constituent un appel principal, ont été présentées pour la première fois dans le mémoire enregistré le 9 mai 2019, soit au-delà du délai d'appel de deux mois, prévu par l'article R. 811-2 du code de justice administrative. Par suite, ces conclusions sont tardives et donc irrecevables.
Sur le bienfondé du jugement :
3. En application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, les salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales peuvent bénéficier d'une allocation de cessation anticipée d'activité. La liste des établissements donnant droit à une telle allocation est fixée par arrêté interministériel. Peuvent seuls être légalement inscrits sur cette liste, les établissements dans lesquels les opérations de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de calorifugeage ou de flocage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté sur la période en cause une part significative de l'activité de ces établissements.
4. Les opérations de calorifugeage à l'amiante doivent, pour l'application des dispositions de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, s'entendre des interventions qui ont pour but d'utiliser l'amiante à des fins d'isolation thermique. Ne sauraient par suite ouvrir droit à l'allocation prévue par ce texte les utilisations de l'amiante à des fins autres que l'isolation thermique, par exemple à des fins d'isolation phonique ou aux fins de colmater des fuites de gaz, alors même que, par l'effet de ses propriétés intrinsèques, l'amiante ainsi utilisée assurerait également une isolation thermique.
5. Le site de la société Trémois implanté 132, rue Kennedy à Saint-Quentin fabriquait des produits non tissés, principalement des tapis de plancher pour l'industrie automobile. Il a fermé en 1996. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la société Trémois fabriquait des matériaux amiantés ou pratiquait le flocage à l'amiante qui consiste à appliquer des fibres d'amiante sur un support. Néanmoins, pour réaliser les tapis de sol des véhicules automobiles, l'usine était équipée de fours de thermo formage et de machines à enduction. Ces équipements étaient isolés à des fins thermiques sur leurs parois latérales par des plaques de matériaux calorifugés. Les témoignages d'anciens salariés affirment que ce calorifugeage était constitué par des plaques d'amiante. Si la société Trémois conteste la présence d'amiante au sein de ces fours, elle n'établit cependant pas que le calorifugeage utilisait en l'espèce d'autres matériaux alors que l'usage de l'amiante à des fins d'isolation thermique des équipements industriels fonctionnant à haute température était à l'époque très répandu. En outre, la société avait accepté de délivrer des certificats d'exposition potentielle à l'amiante à au moins six de ses salariés, reconnaissant par là-même la possible présence d'amiante sur son site de la rue Kennedy.
6. M. E... soutient que les opérations de calorifugeage constituaient une activité accessoire mais significative du site lors de l'entretien et de la maintenance des équipements précités. Il ressort des pièces du dossier que l'entretien des fours et machines à enduction comprenait des opérations quotidiennes de nettoyage, un nettoyage approfondi a priori hebdomadaire et enfin des interventions de maintenance plus lourdes.
7. En premier lieu, lors du nettoyage quotidien, qui était effectué par l'ensemble des salariés de production, les fours étaient nettoyés, notamment à l'aide de souffleuses pour dégager la poussière provenant du tapis soumis à haute température. M. E... s'appuie sur des témoignages pour affirmer qu'à cette occasion les plaques latérales de calorifugeage étaient brossées, ce que conteste la société. Toutefois, à supposer que tel fut le cas, il n'est pas établi, comme le reconnaît d'ailleurs la ministre du travail dans ses écritures, que de telles opérations constituent un calorifugeage d'amiante telle que définie au point 4.
8. En deuxième lieu, s'agissant du nettoyage de fin de semaine, le rapport d'enquête complémentaire de l'inspecteur du travail, établi le 27 mars 2015 indique que ce nettoyage utilisait des grattoirs et des spatules et pas seulement des soufflettes. Le rapport initial de l'inspection du travail daté du 7 novembre 2014 rapporte le témoignage d'un opérateur de four indiquant que les plaques de calorifugeage étaient déposées à cette occasion. D'autres témoignages produits par M. E... le confirment, ce que conteste la société Trémois, sans toutefois apporter d'éléments sur le processus de production au sein de l'usine. Le rapport complémentaire mentionne que des salariés de la production, voire des caristes aidaient le service maintenance lors de cette dépose, sans que soit précisée la fréquence de cette aide. Un témoignage d'un cariste confirme qu'il a procédé à cette dépose. Le nettoyage hebdomadaire, voire bihebdomadaire selon un témoignage, mobilisait des salariés volontaires. Il résulte donc de ces éléments que les opérations de nettoyage approfondi pouvaient comporter la manipulation des plaques d'amiante servant à l'isolation thermique des fours. Toutefois, et en tout état de cause, aucun élément ne permet de déterminer la part des salariés mobilisés par ces opérations de nettoyage hebdomadaire, ni le fait qu'ils aient été fréquemment appelés à cette occasion à manipuler les plaques de calorifuge, comme le souligne d'ailleurs le rapport complémentaire d'enquête de l'inspecteur du travail précité. Si ce rapport complémentaire se fonde sur le suivi médical entrepris par la société et la délivrance de certificats d'exposition potentielle à l'amiante, une telle circonstance si elle reconnaît une exposition à l'amiante, ne permet de distinguer les opérations de calorifugeage à l'amiante. De même, la circonstance que les locaux de la maintenance communiquaient avec le reste de l'usine et que la manipulation des plaques d'amiante avait lieu en présence des ouvriers de production ne permet pas de considérer que l'ensemble de ces salariés étaient employés à des tâches de calorifugeage à l'amiante. Il ressort de ces éléments que rien ne permet d'établir que les opérations de nettoyage hebdomadaire amenaient une proportion significative de salariés du site à effectuer des opérations de calorifugeage à l'amiante.
9. Enfin, en troisième lieu, les plaques assurant le calorifugeage étaient découpées à la scie dans un atelier par le service entretien qui assurait leur pose, comme leur remplacement. A ce service, étaient affectés six à douze salariés sur un effectif total de cent trente-deux personnes en 1996. Compte tenu du faible effectif de ce service, cette activité qui constitue une opération de calorifugeage, ne peut pas être considérée comme représentant une part significative de l'activité de l'établissement sis rue Kennedy à Saint-Quentin de la société Trémois. Si certains témoignages attestent la participation de caristes ou d'ouvriers de production, alors que d'autres se bornent à indiquer que ces interventions relevaient du service maintenance, il ne ressort pas des pièces du dossier que la fréquence de cette aide occasionnelle permette de considérer que d'autres salariés que ceux du service maintenance aient accompli des opérations de calorifugeage représentant une part significative de leur activité.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Trémois, que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 23 décembre 2015 inscrivant le site de ladite société, sis rue Kennedy à Saint-Quentin dans l'Aisne, pour la période de 1960 à 1996 sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Trémois, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la société Trémois.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel présentées par la ministre du travail sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la société Trémois au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me F... G... pour M. B... E..., à Me D... H... pour la société Trémois et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
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N°19DA00281
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