Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 janvier 2018, 26 janvier 2018 et 26 novembre 2019, la société Entime, représentée par Me A... D..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires au titre de son manque à gagner ;
2°) de condamner à titre principal le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme à lui verser la somme globale de 63 601,14 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du mémoire préalable en indemnités en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché public d'assistance à maîtrise d'ouvrage, ou à titre subsidiaire de confirmer le jugement du tribunal administratif de Lille, condamnant le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme à lui verser la somme de 5 000 euros, avec intérêts à compter de la date du mémoire préalable en indemnités au titre de l'indemnisation des frais de présentation de son offre ;
3°) de rejeter l'appel incident du syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme ;
4°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me A... D... pour la société Entime et de Me C... B... pour le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme.
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme a lancé par avis d'appel public à la concurrence publié le 4 avril 2014, un appel d'offres en procédure adaptée pour une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour le suivi de l'installation de stockage de déchets inertes, exploitée dans le cadre des travaux d'aménagement des parcs des rives de l'Aa. Il a informé, le 4 juin 2014, la société Entime, candidate à l'attribution de ce marché, qu'elle n'était pas retenue et a notifié, par courrier du 18 juin 2014, l'attribution du marché à l'autre candidat, le groupement constitué entre la société ERTS, l'agence Noyon et la société Magéo Morel. La société Entime a demandé au tribunal administratif de Lille, l'annulation de ce marché et de condamner le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme, à lui verser à titre principal, la somme de 129 465 euros toutes taxes comprises, ou à titre subsidiaire la somme de 109 313,25 euros toutes taxes comprises, en réparation du préjudice subi en raison de son éviction de la procédure d'attribution de ce marché. Par un jugement du 21 novembre 2017, le tribunal administratif de Lille a résilié ce marché à compter du 15 février 2018 et a condamné le syndicat intercommunal des rives de l'Aa et de la Colme à verser à la société Entime la somme de 5 000 euros au titre des frais de présentation de son offre. La société Entime relève appel de ce jugement uniquement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'indemnisation du manque à gagner résultant de la chance sérieuse qu'elle avait de remporter ce marché. Le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme conclut par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement.
Sur la résiliation du marché :
2. Il appartient au juge du contrat, lorsque le candidat évincé se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer et lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
3. La société Entime en tant que candidat évincé justifie d'un intérêt lésé qui rendait sa demande recevable. Par ailleurs, les deux vices qu'elle invoque sont en lien direct avec son éviction puisque l'information sur les modalités d'appréciation de la valeur technique lui aurait permis de présenter différemment son offre et que la méconnaissance de l'article 46 du code des marchés publics par l'attributaire impliquait que le marché lui soit attribué. Le syndicat conteste d'abord par la voie de l'appel incident les deux motifs d'irrégularité de la procédure de passation retenus par le tribunal administratif.
4. En premier lieu, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors également porter sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné.
5. En l'espèce, il résulte du règlement de consultation des entreprises que le choix de l'attributaire résultait des critères du prix et de la valeur technique, chacun comptant pour moitié. Par courrier du 12 juin 2014, le syndicat intercommunal a communiqué les motifs de rejet de son offre à la société Entime. Ce courrier indiquait que, s'agissant de la valeur technique, la société Entime s'était vue attribuer 5 points sur 5 pour le critère de la motivation et de l'intérêt de l'équipe, 15 points sur 15 pour les références et les moyens sur des projets similaires, 5 points sur 5 pour la présentation de l'équipe, 13 points sur 15 pour la méthodologie, et 9 points sur 10 pour la décomposition du prix. Certes, le règlement de consultation précisait que le dossier de candidature devait comporter un mémoire technique comprenant des éléments sur la motivation et l'intérêt de l'équipe pour cette mission, sur les références et moyens sur des projets similaires, sur la présentation de l'équipe, sur la méthodologie envisagée ainsi que sur la décomposition du prix. Mais, le dossier de consultation des entreprises ne stipulait nullement que ces éléments constituaient les sous-critères d'appréciation de la valeur technique, ni encore moins qu'ils faisaient l'objet d'une pondération accordant à deux d'entre eux une importance triple et à un autre une importance double de celle des autres sous-critères, alors même qu'une telle indication sur les conditions de mise en oeuvre des sous-critères d'appréciation de la valeur technique aurait eu une influence sur la présentation des offres. Par suite, le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que le marché en litige était irrégulier pour ce motif.
6. En second lieu, aux termes de l'article 46 du code des marchés publics, alors en vigueur " I. - Le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché produit en outre : 1° Les pièces prévues aux articles D. 8222-5 ou D. 8222-7 et D. 8222-8 du code du travail ; ces pièces sont à produire tous les six mois jusqu'à la fin de l'exécution du marché ; 2° Les attestations et certificats délivrés par les administrations et organismes compétents prouvant qu'il a satisfait à ses obligations fiscales et sociales. Un arrêté des ministres intéressés fixe la liste des administrations et organismes compétents ainsi que la liste des impôts et cotisations sociales devant donner lieu à délivrance du certificat. [...] III. - Le marché ne peut être attribué au candidat dont l'offre a été retenue que si celui-ci produit dans le délai imparti les certificats et attestations prévus au I et au II. S'il ne peut produire ces documents dans le délai imparti, son offre est rejetée et le candidat éliminé. Le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les certificats et attestations nécessaires avant que le marché ne lui soit attribué. Si nécessaire, cette procédure peut être reproduite tant qu'il subsiste des offres qui n'ont pas été écartées au motif qu'elles sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables (...) ".
7. En l'espèce, le syndicat a adressé, le 4 juin 2014, un courrier au groupement attributaire pour lui demander les documents à jour exigés par ces dispositions dans les huit jours suivant la réception de ce courrier. Par cette seule production, le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme, qui n'apporte aucun élément nouveau en cause d'appel sur ce point, n'établit pas que le groupement attributaire ait respecté les dispositions précitées alors que le marché a été signé dès le 5 juin 2014. C'est donc à bon droit, contrairement à ce que prétend le syndicat, que le tribunal administratif de Lille a également retenu ce second motif d'irrégularité du contrat.
8. Le syndicat conteste ensuite la conséquence que le tribunal administratif a tiré de ces deux irrégularités sur la validité du contrat en faisant valoir que les principes rappelés au point 2 n'ont pas été respectés.
9. S'agissant en premier lieu de l'absence d'information sur les modalités d'appréciation du critère de la valeur technique, compte tenu du faible écart entre les deux candidats d'un point sur la valeur technique et de cinquante et un centièmes de point sur le prix, ce vice a eu un impact sur la présentation de l'offre de l'appelante. En second lieu, s'agissant de l'article 46 du code des marchés publics, la méconnaissance de ces dispositions par l'attributaire aurait dû conduire, si elle était avérée, à l'attribution du marché à la société Entime. Par ailleurs, la gravité de ces vices et l'impossibilité de les régulariser après la signature du contrat justifient la résiliation du marché, comme l'a jugé le tribunal administratif de Lille. Enfin, en différant cette résiliation au 15 février 2018, permettant de lancer une nouvelle procédure adaptée, alors que le syndicat faisait seulement valoir que le suivi de l'installation du stockage de déchets inertes prévu jusqu'en 2019 ne devait pas s'interrompre pour prévenir tout risque environnemental et qu'il ne produit aucun élément nouveau sur ce point, le tribunal administratif de Lille a vérifié, contrairement à ce que soutient le syndicat, que cette résiliation à compter du 15 février 2018 ne portait pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a résilié le marché en litige. Son appel incident doit, par suite, être rejeté.
Sur les conclusions indemnitaires de la société Entime :
En ce qui concerne le droit à indemnisation :
10. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise et incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
11. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit, si la société Entime n'est arrivée qu'en seconde position tant sur le critère du prix que sur celui de la valeur technique, l'écart entre les deux offres était très réduit et le syndicat intercommunal n'apporte aucun autre élément que les motifs de rejet de son offre communiqués à la société pour justifier que, même en l'absence d'irrégularités dans la procédure de passation, l'offre de la société Entime n'aurait pas été retenue. Au contraire, une information appropriée des candidats sur les modalités d'appréciation de la valeur technique aurait permis à cette société d'améliorer son offre. En particulier, si la société avait connu la pondération de certains critères, elle aurait pu étayer sa présentation sur ces points, alors que précisément, il ressort des motifs de rejet de son offre que lui a été reproché un manque de précision tant pour la méthodologie que pour la décomposition du prix, sous critères comptant respectivement pour 15 et 10 points et pour lesquels elle a obtenu 13 et 9 points. Par ailleurs, la méconnaissance de l'article 46, seconde irrégularité du marché en litige, aurait dû entraîner l'attribution du marché à la société Entime, sous réserve évidemment que celle-ci justifie de ses obligations fiscales et sociales. Il résulte de ce qui précède que la société Entime a été irrégulièrement évincée et avait une chance sérieuse de remporter le marché et doit en conséquence être indemnisée du bénéfice net que lui aurait procuré ce marché.
En ce qui concerne la régularité du jugement sur l'évaluation des préjudices :
12. Il appartient au juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice d'user, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction pour apprécier le montant de ce préjudice, sans pouvoir exclure une telle indemnisation au seul motif que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation.
13. En se bornant, après avoir retenu la responsabilité du syndicat intercommunal et l'existence d'un préjudice, à considérer que la société Entime n'apportait pas les éléments permettant de justifier son préjudice sans user de ses pouvoirs d'instruction, le tribunal administratif a méconnu son office, comme le soutient la société Entime. Il y a lieu en conséquence d'annuler l'article 2 du jugement du 21 novembre 2017 en tant qu'il a exclu l'indemnisation du manque à gagner de la société Entime. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur l'évaluation du préjudice.
14. En l'espèce, si la société Entime s'était bornée en première instance à produire une évaluation de sa marge nette sur ce marché à 50% avant de la réduire à 38%, elle produit en cause d'appel, ses comptes annuels ainsi que des justificatifs de ses coûts et des factures des marchés obtenus qu'elle considère comme équivalents. Il résulte de ces éléments que sa marge nette est très variable selon les chantiers puisqu'elle est comprise entre 10,63% et 61,95%. Par ailleurs, les marchés présentés comme comparables concernent exclusivement des contrôles de qualité des eaux alors que le marché en litige consistait à contrôler les travaux de terrassement entrepris sur une décharge de déchets inertes. Il ressort également des comptes de la société Entime, produits en cause d'appel, que sa marge nette globale est également très variable sur les quatre dernières années. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, compte tenu de l'investissement humain nécessité par le marché en litige de suivi du stockage des déchets inertes, il sera fait une juste évaluation de la marge nette attendue avant impôt sur les sociétés, sur ce chantier, en la fixant à 15%. Eu égard au montant de l'offre de la société requérante, soit 119 108 euros hors taxe, le préjudice doit ainsi être fixé à la somme de 17 866,2 euros hors taxe, cette somme comprenant nécessairement les frais de présentation de l'offre que la société aurait de toutes façons déboursés. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 1er août 2014, date de réception de la demande préalable.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Entime, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de ce syndicat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Entime et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 21 novembre 2017 est annulé.
Article 2 : Le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme versera à la société Entime, la somme de 17 866,2 euros hors taxe, avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2014.
Article 3 : Le syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme versera à la société Entime, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Entime et au syndicat intercommunal à vocation multiple des rives de l'Aa et de la Colme, au groupement ETRS France, à l'agence Noyon et à la société Magéo Morel associés.
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N°18DA00158
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