Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 janvier 2019 et le 11 septembre 2020, la société Office Dépôt France, représentée par Me C... A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de Mme F... devant le tribunal administratif d'Amiens ;
3°) de mettre à la charge solidaire de Mme F... et de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Office dépôt France a demandé, dans le cadre de la suppression de son site de Nîmes et du regroupement de ses activités à Senlis, lieu de son siège social, l'autorisation de licencier Mme B... F..., correspondant commercial coordinateur qui exerçait les mandats de déléguée du personnel, membre du comité d'entreprise et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail. L'inspectrice du travail territorialement compétente a rejeté cette demande par décision du 29 juillet 2015. Sur recours hiérarchique de la société, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement, par une décision du 10 février 2016. La société Office dépôt France relève appel du jugement du 13 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision ministérielle.
2. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa version applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ".
3. La société Office dépôt France a indiqué à Mme F... par courrier du 7 septembre 2015 qu'elle exercerait sur le site de Saint Martin de Crau, " les missions qui lui ont été confiées depuis le 25 août 2015 ". Pour considérer que la société Office dépôt France avait ainsi satisfait à son obligation de reclassement, le ministre chargé du travail a estimé que ce courrier constituait une proposition de reclassement " aux meilleures conditions possibles ". Toutefois, il ressort des deux courriers de l'intéressée et de trois autres salariés du 10 et du 11 septembre 2015 que les tâches qui leur étaient confiées à Saint Martin de Crau étaient purement administratives, sans rapport avec les fonctions commerciales ou d'interface avec les clients qui étaient les leurs auparavant. Mme F... exerçait en effet sur le site de Nîmes les fonctions de correspondant commercial coordinateur. En outre, ces salariés indiquent que ces tâches ne les occupent que deux heures par jour au maximum. Ces éléments ne sont nullement contestés par la société appelante qui reconnaît, dans ses écritures en appel, qu'il s'agissait de missions temporaires d'une durée maximale de six mois sous forme d'un contrat à durée déterminée, sans qu'il ressorte en outre des pièces du dossier qu'un tel contrat ait été proposé à l'intéressée. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le courrier du 7 septembre 2015 ne constitue pas, contrairement à ce qu'a considéré le ministre chargé du travail dans sa décision contestée, une proposition loyale, sérieuse et individualisée de reclassement.
4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir, devant le juge de l'excès de pouvoir, que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. La ministre du travail a demandé, en cause d'appel, que soit, le cas échéant, substitué au motif initialement retenu en ce qui concerne l'obligation de reclassement, le motif tiré de ce que l'obligation de reclassement avait été satisfaite, d'autres postes de reclassement ayant été proposés à Mme F.... Il ressort des pièces du dossier que la société Office dépôt France a adressé à l'intéressée, à plusieurs reprises, par courriers du 24 avril 2015 puis des 25 septembre 2015, 24 novembre 2015 et 22 janvier 2016, des fiches de poste, dont toutes avaient un coefficient inférieur à celui détenu par l'intéressée. Ces postes, en outre, ne correspondaient pas pour la plupart aux compétences et à l'expérience de l'intéressée, des emplois de chauffeur-livreur, de chauffeur super poids lourds, de cariste ou encore de ripeur lui étant proposés alors que l'intéressée a toujours exercé des fonctions de relations avec les clients depuis son entrée dans l'entreprise. Si dans ses écritures en cause d'appel, la société soutient que les postes de correspondant commercial à Senlis ou de collaborateurs services clients dans différentes implantations du groupe auraient pu convenir à l'intéressée, il n'est pas contesté que ces postes avaient un coefficient inférieur à celui de 190 détenu par l'intéressée et supposaient en conséquence son accord express. Par ailleurs, la proposition d'emplois de catégorie inférieure supposait l'absence d'emplois équivalents, ce qui n'est pas établi en l'espèce. En particulier, il ressort des pièces du dossier que la salariée avait manifesté son intérêt pour un poste commercial sédentaire de même coefficient que le sien que la société ne lui a pas proposé, même avec une formation alors qu'elle lui a adressé des offres pour d'autres postes de commercial, mais avec un coefficient inférieur. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point 3, le transfert de l'implantation de Mme F... à Saint Martin de Crau ne constitue pas une proposition sérieuse de reclassement. Il ne résulte donc pas de ces éléments que la société Office dépôt France ait entrepris de manière sérieuse, loyale et individualisée, la recherche du reclassement de Mme F.... Il ne peut dont être fait droit à la demande de substitution de motifs présentée par la ministre du travail.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Office dépôt France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 février 2016 annulant la décision refusant le licenciement de Mme F... et autorisant celui-ci. La requête ne peut donc qu'être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Pour les mêmes motifs, les conclusions présentées par la ministre du travail doivent également être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société Office dépôt France et de l'Etat la somme globale de 500 euros à verser à Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Office dépôt France est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion sont rejetées.
Article 3 : La société Office dépôt France et l'Etat verseront à Mme F... la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... A... pour la société Office dépôt France, à Me D... E... pour Mme B... F... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
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N°19DA00060
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N°"Numéro"