Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 décembre 2021, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. H... D....
Il renvoie à ses écritures de première instance et soutient que :
- le refus de titre ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la famille peut se reconstituer en Algérie où la sœur de M. D... peut bénéficier d'une prise en charge adaptée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2022, M. F..., représenté par Me Cécile Madeline, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- sa présence aux côtés de sa mère est indispensable pour la prise en charge de son frère et de sa sœur, mineurs et handicapés ;
- sa sœur doit se maintenir sur le territoire français pour recevoir des soins dont elle ne peut effectivement bénéficier dans son pays ;
- il est isolé en Algérie, ses parents ainsi que ses frères et sa sœur vivant en France ;
- il s'est inséré en France, notamment en suivant avec succès une formation ;
- la décision préfectorale est donc entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision de refus de titre était également insuffisamment motivée ;
- il n'avait pas à disposer d'un visa de long séjour pour demander un titre sur le fondement de la vie privée et familiale ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
M. H... D... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 21 décembre 2021.
La clôture de l'instruction a été fixée au 7 février 2022 à 12 heures par ordonnance du 17 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... D..., né le 1er juin 2001, de nationalité algérienne, est entré en France, le 29 septembre 2016, sous couvert d'un visa de court séjour, accompagné de son frère aîné, majeur et de son père. Par courrier du 26 juin 2019, il a demandé un certificat de résidence d'un an sur le fondement du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par arrêté du 25 février 2021, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté cette demande et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et d'une décision fixant le pays de destination. Saisi par M. D..., le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement du 16 novembre 2021.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) / 5) Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
3. En l'espèce, M. H... D... est venu rejoindre sa mère, entrée en France le 3 mai 2015, également sous couvert d'un visa de court séjour. Celle-ci a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour à compter du 23 novembre 2016, puis d'un certificat de résident d'un an à compter du 6 août 2018. Ce titre a été régulièrement renouvelé depuis car elle accompagne sa fille C..., née en 2009, atteinte d'une maladie génétique rare. Cette enfant bénéficie d'un traitement hospitalier hebdomadaire, est incluse dans deux protocoles de recherche en France et est en attente d'une greffe de la moelle osseuse au centre hospitalier universitaire de Rouen. Si le préfet en appel soutient que C... pourrait bénéficier de soins adaptés dans son pays, il n'apporte aucune pièce nouvelle au soutien de ses allégations, alors que l'intimé avait produit en première instance un certificat du 4 mai 2021 d'un praticien hospitalier attestant que des soins adaptés ne peuvent être dispensés en Algérie. Par ailleurs, si le préfet avait produit en première instance, un article de presse sur l'ouverture d'une unité de greffe de moelle osseuse à Tizi-Ouzou, l'intimé établit que ce service, situé à plus de cinq heures de route de la résidence de la famille, n'est toujours pas opérationnel. En outre, A... D... était également accompagnée de son fils cadet, E... qui avait bénéficié d'une greffe de moelle en France en 2011. Les deux enfants mineurs A... A... D... souffrent également d'encéphalopathie et ne sont pas autonomes, C... ayant été reconnue handicapé, le 1er août 2019, avec un taux d'incapacité supérieur à quatre-vingt pour cent. Le père des enfants a rejoint sa femme avec leurs deux fils ainés. Il a sollicité un certificat de résidence algérien. Si le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande par arrêté du 8 décembre 2020, cet arrêté a été annulé par jugement du tribunal administratif de Rouen du 8 juillet 2021 pour erreur manifeste d'appréciation et cette annulation a été confirmée, pour le même motif, par arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 21 décembre 2021. Le jugement du tribunal administratif enjoignait en outre à l'autorité préfectorale de délivrer un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Il ressort également des pièces du dossier que M. F... a été scolarisé en France, dès l'année scolaire 2016-2017 et y a obtenu en juillet 2020, le certificat d'aptitude professionnelle en plasturgie. A... D... atteste que H... l'aide, voire la supplée, lorsqu'elle et son mari sont absents, dans la prise en charge de sa fille. Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que M. H... D..., arrivé mineur en France, a toujours vécu avec sa famille, qui est installée en France pour pourvoir aux soins de sa sœur. Il contribue à la prise en charge de celle-ci et s'est inséré en France par ses études. Ainsi, compte tenu des circonstances de l'espèce, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 25 février 2021 pour atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de M. H... D....
Sur les conclusions au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
4. M. D... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Cécile Madeline, avocate de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Madeline de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Cécile Madeline, la somme de 1 200 euros, au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F... et à Me Cécile Madeline.
Copie sera transmise, pour information, au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- A... Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mars 2022.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Chloé Huls-Carlier
N°21DA02788 2