Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2020, la préfète de la Somme demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... E... alias D... B... devant le tribunal administratif d'Amiens.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Une ressortissante étrangère se présentant sous l'identité suivante, Mme D... B..., née le 11 novembre 2000 à Kinshasa, en République démocratique du Congo, et qui a déclaré être entrée le 15 septembre 2016 sur le territoire français, a été confiée, par un jugement du 11 janvier 2017, auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Somme. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Amiens a cependant demandé, le 25 juillet 2017, des investigations de nature à authentifier les documents d'état civil dont l'intéressée s'était prévalue lors de son arrivée en France, lesquelles ont permis d'établir qu'il s'agissait de documents contrefaits. Dans le même temps, la consultation par l'administration du système automatisé de traitement des données Visabio a permis d'établir que les données biométriques personnelles de cette ressortissante de la République démocratique du Congo correspondaient à celles de Mme A... E..., née le 5 octobre 1991 en République démocratique du Congo, qui s'était vu délivrer, le 4 juillet 2016, un visa de court séjour auprès des autorités françaises en poste au Tchad. L'intéressée, qui s'est maintenue sur le territoire français, s'est présentée, le 25 novembre 2019, à la préfecture de la Somme, munie d'un acte de naissance et d'un passeport l'identifiant comme Mme D... B..., afin de solliciter son admission au séjour en tant que jeune confié, après l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Ayant, sur la base des renseignements précédemment recueillis, estimé que celle-ci s'était prévalue, une fois entrée en France, d'une identité usurpée dans le but d'obtenir son admission au séjour et qu'elle avait, en outre, fait usage de documents d'état civil contrefaits correspondant à cette identité d'emprunt, la préfète de la Somme a refusé, pour ce motif, par un arrêté du 2 mars 2020, de délivrer un titre de séjour à l'intéressée, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office. Saisi d'une demande formée par Mme D... B..., le tribunal administratif d'Amiens, par un jugement du 26 juin 2020, a annulé, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 2 mars 2020 de la préfète de la Somme et a fait injonction à cette autorité de procéder à un nouvel examen de la situation de l'intéressée. La préfète de la Somme relève appel de ce jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-15, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".
3. D'autre part, selon les dispositions de l'article R. 611-8, alors en vigueur, du même code : " Est autorisée la création (...) d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé VISABIO (...). / Ce traitement a pour finalité : / de mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, en prévenant les fraudes documentaires et les usurpations d'identité ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 611-9, alors en vigueur, de ce code : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé prévu à l'article R. 611-8 sont : / 1° Les images numérisées de la photographie et des empreintes digitales des dix doigts des demandeurs de visas, collectées par les chancelleries consulaires et les consulats français équipés du dispositif requis. / (...) / 2° Les données énumérées à l'annexe 6-3 communiquées automatiquement par le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Réseau mondial visas (...) lors de la demande et de la délivrance d'un visa. / (...) ". Aux termes de l'article R. 611-10, alors en vigueur, du même code : " Les données à caractère personnel mentionnées au 1° de l'article R. 611-9 peuvent également être collectées (...) / : 1° Par les chancelleries consulaires et les consulats des autres Etats membres de l'Union européenne ; / (...) ". Enfin, parmi les données énumérées à l'annexe 6-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, figurent celles relatives à l'état civil, notamment le nom, la date et le lieu de naissance de l'étranger ainsi que sa nationalité, et celles relatives aux documents de voyage du demandeur de visa ainsi que ses identifiants biométriques.
4. Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-6, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Ces dernières dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe cependant à l'administration, si elle entend renverser cette présomption, d'apporter la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non-conforme à la réalité des actes en cause. Cette preuve peut être apportée par tous moyens et, notamment, par les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé dénommé Visabio. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
5. Il ressort des pièces versées au dossier par la préfète de la Somme que, comme il a été dit au point 1, la consultation du système automatisé de traitement des données Visabio a permis d'établir que la ressortissante étrangère qui s'était présentée en préfecture sous l'identité de Mme D... B..., née le 11 novembre 2000 à Kinshasa, en République démocratique du Congo, était connue sous l'identité de Mme A... E..., née le 5 octobre 1991 en République démocratique du Congo, et qu'un visa lui avait été délivré par les autorités consulaires françaises en poste au Tchad au vu d'un passeport correspondant à cette identité. En outre, les investigations conduites par les services de la préfecture à la demande du parquet ont permis d'établir que l'acte de naissance, le jugement supplétif et le certificat de non-appel, établis sous l'identité de Mme D... B..., que l'intéressée avait produits après son arrivée sur le territoire français, pour obtenir, sous cette identité, sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, puis pour solliciter son admission au séjour, étaient des documents contrefaits, ce qui n'est pas contesté. En conséquence, l'intéressée ne peut se prévaloir de ces documents comme de nature à établir son identité, ni, compte-tenu des données la concernant figurant dans le système automatisé de traitement des données Visabio, se réclamer de l'identité de Charlotte B..., ni, enfin, se prévaloir d'un passeport établi à ce nom, quand bien même l'authenticité de celui-ci n'aurait pas formellement été remise en cause, dès lors qu'il s'agit d'un document de voyage et non d'une pièce d'état civil. Dans ces conditions, la préfète de la Somme a pu, à juste titre, estimer que les données figurant dans ce système de traitement devaient prévaloir pour déterminer l'identité de l'intéressée et refuser à celle-ci, au motif qu'elle avait fait usage en France d'une identité d'emprunt et de documents d'état civil contrefaits, un titre de séjour, notamment sur le fondement des dispositions, citées au point 2, de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, la préfète de la Somme est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens, pour annuler son arrêté du 2 mars 2020, a retenu qu'elle n'avait pu légalement opposer à l'intéressée la seule contradiction entre l'identité dont celle-ci s'était prévalue en France et celle dont elle avait précédemment fait état pour obtenir un visa de court séjour.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'intimée, se disant Mme C... B..., devant le tribunal administratif d'Amiens et la cour.
7. L'intéressée se prévaut de ce qu'elle vivait habituellement en France, à la date de l'arrêté contesté, depuis près de quatre années, pour y être entrée le 15 septembre 2016, et fait état, en outre, de la présence auprès d'elle de sa soeur, de l'enfant de celle-ci et de ses deux frères, en compagnie desquels elle est entrée en France. Elle fait également état de la relation qu'elle a nouée avec un compatriote, demandeur d'asile, et de ce qu'elle était enceinte de trois mois à la date de l'arrêté contesté. Elle se prévaut enfin de la scolarité qu'elle a poursuivie en France en classe de seconde, en vue de l'obtention du baccalauréat professionnel en hygiène, propreté et stérilisation. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 5, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée a présenté sa demande de titre de séjour sous une identité d'emprunt. Or, cette circonstance, sur laquelle la préfète de la Somme s'est fondée pour refuser de faire droit à la demande de titre de séjour présente par l'intéressée, fait obstacle à ce que le lien familial dont l'intéressée fait état à l'égard des personnes qu'elle présente comme ses frères et sa soeur puisse être regardé comme établi. Ces derniers sont d'ailleurs tous en situation irrégulière de séjour en France. En outre, elle n'apporte aucun élément de nature à justifier de la réalité de la relation qu'elle allègue avoir nouée avec un compatriote autorisé provisoirement à séjourner en France durant l'examen de sa demande d'asile et, en se bornant à alléguer qu'elle n'entretient plus de liens avec les membres de sa famille restés en République démocratique du Congo, l'intéressée ne conteste pas y avoir conservé des attaches familiales. Enfin, si l'intéressée fait état des efforts qu'elle a accomplis dans le cadre de sa scolarité en lycée professionnel et si les relevés de notes qu'elle verse au dossier relèvent, dans l'ensemble, une implication réelle de l'intéressée dans certaines matières, les cinq documents ainsi produits, d'une part, soulignent aussi de nombreuses absences et retards injustifiés et, d'autre part, ne permettent pas de justifier d'un investissement continu de l'intéressée durant les trois années scolaires suivies depuis son arrivée en France. Dans ces conditions, la préfète de la Somme, pour refuser de régulariser la situation de l'intéressée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut être tenue comme ayant méconnu ces dispositions, ni comme ayant commis une erreur manifeste d'appréciation.
8. Dans les circonstances exposées au point précédent et alors, d'une part, que l'intéressée ne peut être regardée comme ayant établi la réalité du lien familial dont elle se prévaut à l'égard des personnes qu'elle présente comme ses frères et sa soeur, d'autre part, que la réalité de la relation qu'elle allègue entretenir avec un compatriote bénéficiant d'une admission provisoire au séjour ne peut davantage être tenue pour établie, la préfète de la Somme, pour assortir le refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français, n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de l'intéressée.
9. Enfin, aux termes du II. de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation par l'autorité administrative pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. / (...) ".
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que l'intéressée aurait sollicité de la préfète de la Somme, en faisant état de circonstances particulières tirées de sa situation, l'octroi d'un délai supérieur au délai de droit commun de trente jours fixé par ces dispositions. L'intéressée soutient cependant que ce délai serait inadapté à son cas, eu égard à sa grossesse et à la relation nouée par elle avec un compatriote, demandeur d'asile. Toutefois, les circonstances ainsi invoquées ne suffisent pas à établir, compte tenu de ce qui a été dit aux points 5 et 8 en ce qui concerne la situation personnelle et familiale de l'intéressée, que la préfète de la Somme, pour estimer qu'il n'y avait pas lieu de la faire bénéficier d'un délai plus long que le délai de droit commun, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Somme est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens, d'une part, a annulé son arrêté du 2 mars 2020 refusant de délivrer un titre de séjour à la personne se disant Mme D... B..., lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, d'autre part, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de l'intéressée. Dès lors, la demande présentée par cette dernière devant le tribunal administratif d'Amiens doit être rejetée, ainsi que sa demande présentée en cause d'appel sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001198 du 26 juin 2020 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif d'Amiens par la personne se disant Mme D... B..., ainsi que sa demande devant la cour tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la préfète de la Somme et à Mme A... E..., se disant Mme D... B....
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N°20DA01091